Budget de la Sécurité sociale : « Ce qui est nouveau, c’est qu’on ne prévoit plus d’amélioration », alerte le Sénat

Les sénateurs ont commencé l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Lors des échanges de la discussion générale, en amorce de l’examen des articles, beaucoup ont partagé leurs inquiétudes face à un déficit amené à se creuser dangereusement dans les années à venir.
Guillaume Jacquot

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C’est le début d’une longue séquence budgétaire pour le Sénat, comme à chaque mois de novembre et de décembre. Les sénateurs ont entamé ce 13 novembre 2023 l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 (PLFSS 2024). Plus de 800 amendements ont été déposés sur ce texte budgétaire. Avec près de 640 milliards d’euros de dépenses, ce projet engage des moyens bien plus élevés que pour le projet de loi de finances, qui lui sera examiné à partir de la semaine prochaine. La discussion générale qui s’est tenue en fin d’après-midi ce lundi, le Sénat dominé par la droite et le centre a notamment exprimé de vives inquiétudes sur la tendance financière à moyen terme de la Sécurité sociale.

Bien que le gouvernement revoie désormais à la baisse le déficit prévu pour 2024, à 10,7 milliards (contre 11,2 milliards dans le texte initial) à la faveur d’amendements retenus dans le cadre de l’adoption par le 49.3 à l’Assemblée nationale, le tableau d’ensemble ne manque pas d’interpeller la majorité sénatoriale de droite et du centre. En guise d’avertissement politique, celle-ci compte provoquer le rejet symbolique cette semaine de la trajectoire pluriannuelle renseignée dans le projet de loi. Déjà plus important que l’an dernier, le « trou de la Sécu » devrait se creuser davantage au cours des prochaines années, pour atteindre plus de 17 milliards d’euros en 2026 et 2027.

« Le gouvernement assume de financer durablement la santé par le déficit »

Avec « l’abandon affiché de l’objectif de retour de la Sécurité sociale à l’équilibre » et même d’un « simple objectif de stabilisation du déficit », la rapporteure générale de la commission des affaires Élisabeth Doineau (Union centriste) considère que l’exécutif s’engage dans une « rupture » avec ce projet de loi de financement. « Ce qui est nouveau, c’est qu’on ne prévoit plus d’amélioration du solde de la branche maladie. Le gouvernement assume de financer durablement la santé par le déficit, c’est ça qui est véritablement contestable », a alerté dans l’hémicycle la sénatrice de la Mayenne.

Préoccupés par ces perspectives, les sénateurs de la commission des affaires sociales ont parallèlement mis doute la sincérité du montant du niveau des dépenses inscrit pour l’Assurance maladie. Proposé à un niveau de 254,9 milliards d’euros pour l’an prochain, l’Objectif de dépenses d’assurance maladie augmentera de 3,2 % par rapport à celui de 2023, dont le montant a lui-même été révisé. Rapporteure des dépenses de santé, Corinne Imbert (LR) a dénoncé un « manque de transparence » du gouvernement sur la construction de ce « montant vertigineux ».

Nombreux sont les sénateurs à faire le reproche au gouvernement que cette enveloppe est mal calibrée. « Malgré cette augmentation conséquente, cela risque d’être difficile pour les hôpitaux », a d’emblée fait remarquer le sénateur Daniel Chasseing (Les Indépendants). Le message, extrêmement pessimiste du président de la Fédération hospitalière de France, Arnaud Robinet, dans les colonnes du Figaro à la veille des débats, a provoqué de l’écho dans l’hémicycle. « Le budget de la Sécurité sociale n’est pas à la hauteur de la situation extrêmement critique des hôpitaux, il prévoit des crédits très largement insuffisants […] Sans action immédiate, nous allons vers la mort lente du service public de santé », a mis en garde le maire (Horizons) de Reims.

En progression de 3,2 % sur un an, l’objectif de dépenses de l’Assurance maladie proposé pour 2024 reste supérieur à l’inflation, attendue à 2,6 % par la Banque de France. Mais la progression du budget de la santé devrait d’abord être consommée pour une large partie dans les revalorisations salariales, comme la hausse du point d’indice et la meilleure rétribution des heures de nuit, des week-ends et des jours fériés par exemple. Si bien qu’il « ne restera quasiment rien pour la progression de l’inflation », a mis en garde le sénateur Bernard Jomier (groupe socialiste, républicain et écologiste). « Ce budget, s’il était respecté – ce qu’à peu près personne ne croit – financerait moins de soins en 2024 qu’en 2023 car le coût de ceux-ci progresse plus vite que l’enveloppe allouée. Vous tracez donc le même sillon que depuis des années, celui de la contrainte de l’offre pour comprimer la dépense », a-t-il reproché en direction du banc du gouvernement.

Une « double exigence d’ambition et de soutenabilité » pour le gouvernement

Le gouvernement a lui défendu son approche mêlant poursuite des investissements dans le système de santé « avec ambition », mais aussi des décisions pour rendre le système soutenable. « Le terme d’efficience ne doit pas être tabou. La ligne de crête est ténue », a souligné le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, en introduction des débats. « Je dois aussi dire que l’idée contre laquelle je m’élève en faux, ce serait qu’on laisse filer les dépenses et qu’on n’a pas d’objectif de maîtrise de la dépense. »

En matière de dépenses nouvelles, l’exécutif défend des investissements dans les ressources humaines et la poursuite du virage de la prévention. Côté maîtrise : le gouvernement prévoit, pour l’an prochain, 3,5 milliards d’économies dans le champ de la santé, en exigeant une modération dans les volumes d’achat et les prix des médicaments et des produits de santé, mais aussi en contrôlant davantage les arrêts maladie. Un volet entier dédié est par ailleurs prévu sur le renforcement de la lutte contre la fraude. « C’est autant un enjeu de soutenabilité que de justice sociale », a-t-il insisté.

Le ministre est par ailleurs revenu une nouvelle fois sur l’éventualité d’une augmentation de la somme à la charge des assurés de la Sécurité sociale pour leurs actes de santé. « La question des franchises et de la participation forfaitaire a déjà pu être évoquée à l’Assemblée nationale et nous poursuivrons ensemble ici cette réflexion », a-t-il annoncé.

« Le en même temps n’est pas une manière de gouverner »

Réfutant toute logique austéritaire, Aurélien Rousseau en a profité pour lancer un message aux hôpitaux, inquiets pour leurs budgets toujours sous pression de l’inflation : « Je vous assure que le gouvernement y est particulièrement attentif et, y compris d’ici la fin de l’année, il sait qu’il ne devra pas laisser ces établissements dans l’impasse. »

Sa présentation n’a cependant pas rassuré les oppositions, majoritaires au Sénat. « Le en même temps n’est pas une manière de gouverner. L’entre-deux en matière de santé n’est plus possible. L’austérité ou l’investissement, il faut choisir », a plaidé la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly. Comme lors des précédentes années, son groupe a tenté de provoquer le rejet du texte dès la discussion générale, sans y parvenir.

Durant les cinq de débats à venir, la majorité sénatoriale va s’employer à améliorer un texte sur lequel elle n’a pas masqué son scepticisme ce soir. Le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, déçu par un texte qu’il qualifie de « confus et bavard », veut aussi « aider le gouvernement à ne pas transformer des idées intéressantes en échecs programmés, faute de préparation adéquate ». Ses troupes ont, entre autres, en ligne de mire la réforme du financement des hôpitaux, que beaucoup de sénateurs jugent timide et pas suffisamment aboutie.

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