Le diagnostic est désormais connu de tous, mais comment sera-t-il traité ? La Sécurité sociale aborde son 80e anniversaire très affaiblie. Le déficit des régimes obligatoires de notre système de protection sociale devrait se creuser à 22 milliards d’euros cette année, et continuer à se dégrader jusqu’à atteindre 25 milliards en 2029. Ce sont des niveaux inédits hors période de crise.
Outre cette absence récurrente de maîtrise des comptes depuis 2020, la Sécu va également faire face dans les prochaines années aux enjeux du vieillissement de la population, et à ses conséquences financières. En février, au moment de l’adoption des textes budgétaires, au terme d’un examen parlementaire chamboulé, le gouvernement et plusieurs parlementaires avaient souligné la nécessité de réactualiser les conditions du financement et de se pencher sur le niveau des dépenses.
À quelques jours des 80 ans des ordonnances ayant donné naissance à la « Sécu », un rapport sénatorial a été adopté au Sénat ce 23 septembre sur les évolutions envisageables du financement de la protection sociale. Le rapport a été élaboré par la centriste Élisabeth Doineau (rapporteure générale de la commission des affaires sociales) et l’écologiste Raymonde Poncet Monge. Leurs travaux, réalisés dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), se présentent comme une « boîte à outils », dans la perspective des débats budgétaires des prochaines semaines, comme des années à venir.
Une centaine de pistes pour améliorer la santé financière de la Sécurité sociale
Le document sénatorial recense une centaine de mesures qui ont vocation à ramener la Sécurité sociale à l’équilibre financier, aussi bien dans la catégorie des dépenses que des recettes. Cumulées, celles-ci pourraient permettre un rendement théorique de plus de 100 milliards d’euros. Chacune d’entre elles a en effet été chiffrée. Il ne s’agit toutefois pas de recommandations. Le rapport conduit par une sénatrice de la majorité sénatoriale et une l’opposition, n’a pas pris de position sur chacune des options listées, pour certaines très théoriques, que ce soit dans un sens ou dans l’autre.
Certaines affichent des rendements massifs. Le passage du taux de prise en charge par l’Assurance maladie de 100 % à 90 % sur l’ensemble des soins allègerait les dépenses entre 8 et 9 milliards d’euros. 6 milliards d’euros de maîtrise pourraient être trouvés sur les produits de santé à l’horizon 2030. Un alignement du niveau de taxation de l’alcool du vin sur celle de l’alcool de la bière pourrait ramener 2,5 milliards d’euros dans les caisses.
S’appuyant sur des modèles économiques, le rapport avertit que la réduction des dépenses est à court terme la manière la moins efficace de réduire le déficit, en raison de l’effet récessif, mais qu’il reste la manière la plus efficace à long terme. Dans le cas d’une hausse de la TVA ou de la CSG par exemple, c’est l’inverse, l’efficacité de la mesure décroît avec le temps.
« Tous les leviers sont à prendre. Pour que ce soit acceptable, il faut agir sur l’ensemble. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, chacun sera en mesure de dire quelles sont les conséquences de telle ou telle mesure », souligne Elisabeth Doineau. « Ma collègue n’était pas là pour dire qu’il fallait diminuer les dépenses, et moi augmenter les recettes. Je suis tout à fait consciente que l’effort sur les recettes ne peut se faire que dans le cadre de dépenses efficientes », souligne quant à elle l’écologiste Raymonde Poncet-Monge.
Toujours sans prescrire de solutions, le rapport évoque également les enjeux de l’augmentation du PIB et du volume de travail dans la population. « Si la France avait le taux d’emploi de l’Allemagne, les administrations de sécurité sociale auraient 15 milliards de recettes en plus et 5 milliards d’euros de dépenses en moins », rappelle le rapport, citant une note du Trésor de 2024.
« L’équilibre en 2029 est un objectif ambitieux, mais atteignable »
Charge aux parlementaires ou au gouvernement de retenir des pistes dans le cadre des débats budgétaires de l’automne. Les deux auteures soulignent que « le retour de la Sécurité sociale à l’équilibre ne peut être déterminé simplement en piochant chaque année des mesures dans une liste. Il implique la mise en œuvre d’une stratégie, et donc une vision à long terme ». Les deux rapporteures, qui ne partagent pourtant pas les mêmes opinions politiques, se sont néanmoins entendues sur un certain nombre de « points d’accord » concernant les objectifs à atteindre et les règles de gouvernance à faire évoluer.
Élisabeth Doineau et Raymonde Poncet Monge partagent en premier lieu l’objectif de ramener la Sécurité sociale à l’équilibre structurel « si possible en 2029, et au plus tard en 2035 ». « Ramener la Sécurité sociale à l’équilibre en 2029 est un objectif ambitieux, mais atteignable si tous les leviers sont actionnés », ont-elles écrit.
Dans le premier cas, celui d’un retour à l’équilibre dès 2029, cela supposerait 40 milliards d’euros de mesures de redressement, soit 10 milliards par an. C’est cet objectif d’un retour à l’équilibre en 2029 qu’avaient d’ailleurs fixé les ministres sortantes Amélie de Montchalin (Comptes publics) et Catherine Vautrin (Travail, Santé, Solidarités et Familles). Cette échéance ne figure toutefois dans aucun document officiel. Les deux sénatrices partagent l’idée d’adopter dans le cadre de la loi de financement annuelle, dès cet automne, une trajectoire « crédible » de retour à l’équilibre, ainsi qu’une programmation budgétaire « à moyen terme ».
Le problème du financement des dépenses de santé, « l’éléphant dans la pièce »
Des projections à long terme inscrites dans le rapport donnent un aperçu des défis qui attendent les gouvernements à venir et les parlementaires, une fois l’équilibre atteint. Car sans action sur la dynamique tendancielle des dépenses ou des recettes, le déficit de la Sécurité sociale pourrait atteindre 3 points de PIB en 2040, et 9 points en 2070. Il est actuellement attendu à 0,7 point pour rappel, soit 22 milliards d’euros.
Dans le cadre d’une stabilisation des dépenses de santé dans le PIB – ce qui nécessite 4 milliards d’euros d’économie par an – le déficit atteindrait 1,4 point de PIB en 2040 et 3 points en 2070. La maîtrise des dépenses de santé demeure donc l’enjeu financier le plus important parmi toutes les branches de la Sécurité sociale, alors que le débat public a souvent eu tendance à mettre en avant les retraites par exemple. « On parle très peu du problème de financement des dépenses de santé, qui est pourtant l’éléphant dans la pièce », est-il écrit dans le rapport.
Les deux rapporteures partagent l’idée de maîtriser « la dynamique des dépenses de la branche maladie », et donc de stabiliser l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie (Ondam) par rapport à l’évolution du PIB. Il faut « reprendre le contrôle » de cet indicateur a par exemple souligné Élisabeth Doineau. Ce niveau, fixé par le Parlement chaque année, a systématiquement été dépassé depuis 2020. Les deux sénatrices s’accordent sur la nécessité de revoir la façon dont est piloté cet outil. Elles demandent des « prévisions non biaisées » et un renforcement des outils de régulation au fil de l’année.
Pour aider à la prise de décision, elles encouragent le partage de données pour les chercheurs et les universitaires, notamment des indicateurs liés à la surconsommation, à l’efficience du système de santé, aux prix ou encore à la prévention et à la fraude. Le rapport épingle en particulier l’absence en France, contrairement par exemple à ce qui se fait aux Etats-Unis, d’un chiffre sur les gaspillages dans le domaine de la santé. Selon une estimation produite pour cette mission d’information, les inefficiences représenteraient un quart des dépenses de santé.
Sur les retraites, les « leviers sont connus »
S’agissant des retraites, le rapport rappelle la dernière projection du Conseil d’orientation des retraites (COR), celle d’un déficit à 1,6 point de PIB à l’horizon 2070, pour la branche vieillesse de la Sécurité sociale. Ce chapitre reprend pour l’essentiel les scénarios établis par la Cour des comptes en février, dans le cadre d’une mission flash commandée par François Bayrou. Les « leviers sont connus » résume un document joint au rapport : niveau des recettes, âge de départ, niveau des pensions. Le rapport sénatorial explore également, toujours sans prendre parti, la piste des fonds de pension ou du Fonds de réserve des retraite (FRR) pour aider à passer la « bosse démographique ».
Si l’enjeu est moins massif que pour l’Assurance maladie, le rapport allume toutefois un voyant rouge pour la toute jeune branche de l’autonomie, dédiée pour l’essentiel à la prise en charge du grand âge. Sans changement de politique, ses dépenses devraient accélérer à partir de 2030, avec un déficit prévu à 0,6 point du PIB en 2070. Il existe toutefois un « fort aléa à la hausse ». La part dans le PIB pourrait en effet sensiblement augmenter, selon la Commission européenne, si le coût de prise en charge en France s’alignait sur la moyenne européenne. L’un des points d’accord des deux sénatrices est de « fixer des objectifs explicites de probabilité de prise en charge et de niveau de prise en charge, et se doter du financement permettant de les atteindre ».
Ce rapport, long de 400 pages, fait figure de source d’information précieuse pour les débats parlementaires à venir. Pour Raymonde Poncet Monge, l’étude des causes du déficit des comptes sociaux, ces dernières années, pourrait être riche d’enseignements pour le choix des mesures de rétablissement. « La Sécurité sociale avait l’air de bien se porter avant la crise sanitaire, alors qu’il y avait une attrition des recettes. Sa bonne santé était due à une situation conjoncturelle. »
« Nous ne pouvons pas nous réveiller à chaque fin de printemps, en nous demandant quelles mesures d’économies sur l’Ondam nous allons bien pouvoir prendre dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale », conclut Élisabeth Doineau.