Conséquence directe d’une motion de censure qui ferait tomber le gouvernement, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale est plus que jamais menacé. La rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, Elisabeth Doineau (Union centriste), rappelle l’importante de voter une disposition permettant à la Sécu de pouvoir emprunter.
Coup d’envoi du budget de la Sécu dans un Sénat à l’influence renforcée
Par François Vignal
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Après les députés, les sénateurs entament à leur tour le marathon budgétaire. Pour commencer, une pièce de choix, avec cette semaine le budget de la Sécu. Si l’Assemblée nationale n’est pas allée au bout de l’examen de ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour l’année 2025, rendant au final une copie blanche, les sénateurs comptent non seulement aller au bout, mais aussi imprimer leur marque. Une marque qui n’ira pas à l’encontre du gouvernement. La majorité sénatoriale de droite et du centre soutient en effet maintenant Michel Barnier, qui vient des LR.
« Le Sénat aura sans doute une influence beaucoup plus forte qu’à l’accoutumée sur la copie finale »
Les débats inachevés à l’Assemblée, faute de temps, donnent la main au Sénat dans des conditions jamais vues. « De ce fait, notre assemblée sera la seule en mesure de se prononcer sur l’ensemble des mesures de ce PLFSS », rappelle le président LR de la commission des affaires sociales du Sénat, Philippe Mouiller. Conséquence : « Le Sénat aura sans doute une influence beaucoup plus forte qu’à l’accoutumée sur la copie finale. Nous en prenons la responsabilité », lance le sénateur des Deux-Sèvres. Si la copie va évoluer, l’équilibre global restera, à la sortie du Sénat. C’est du moins l’objectif. « Nous ne souhaitons pas dégrader le solde proposé par le gouvernement », assure Philippe Mouiller, « la crédibilité des travaux du Sénat est en jeu. Il convient de faire preuve de responsabilité » (voir la première vidéo).
La rapporteure générale de la commission, la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, souligne le contexte : « La discussion du projet de loi de finances et du PLFSS se passent cet automne sous surveillance de la Commission européenne et des marchés financiers. La France est à nouveau sous procédure pour déficit excessif. Les pouvoirs publics, qui demandent un délai de 7 ans, au lieu de 4 ans, pour revenir sous les 3 % de déficit, doivent envoyer un message clair de maîtrise des comptes ».
Les comptes sont en effet dans le rouge. Face à un déficit de la Sécu en forte hausse et en plein dérape, avec une prévision de 18 milliards d’euros de déficit pour 2024, contre 10,5 milliards prévus initialement, le PLFSS prévoit plus de 12 milliards d’euros d’économies. Objectif : limiter le déficit 2025 à 16 milliards d’euros. « Sans mesure nouvelle, le déficit de la Sécu serait de 28 milliards. Ce n’est pas soutenable », alerte la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq.
La ministre de la Santé annonce une baisse du remboursement des médicaments en 2025
Alors que le gouvernement confirme que les dépenses de médicaments vont déraper de 1,2 milliard d’euros, alourdissant d’autant le déficit, le gouvernement vise des économies en réduisant les remboursements. La ministre de la Santé a ainsi annoncé une baisse du remboursement des médicaments en 2025. « J’ai décidé que le ticket modérateur de la consultation médicale, alors qu’il était potentiellement envisageable de l’augmenter de 10 %, n’évoluera que de 5 % », avance Geneviève Darrieussecq, qui ajoute aussitôt, mais sans davantage s’étendre : « En complément, le ticket modérateur sur les médicaments augmentera lui de 5 % » (voir vidéo ci-dessous). Ce ticket modérateur est le plus souvent à la charge des complémentaires santé.
Ces déremboursements, qui ne figurent pas dans le texte mais qui seront actés par arrêté ministériel, entraîneront un « transfert vers les complémentaires santé » dont le montant « a été ramené de 1,1 milliard à 900 millions d’euros » a précisé la ministre. Au total, le gouvernement a un objectif d’économies « à hauteur de 5 milliards d’euros » sur les dépenses de santé. « Ce PLFSS 2025 prévoit un coup de frein réel, mais proportionné, des dépenses sociales », soutient le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin.
Seconde journée de solidarité : la ministre du Travail juge « intéressante » la proposition des sénateurs
Si la majorité sénatoriale entend être « responsable », la commission des affaires sociales n’en a donc pas moins adopté plusieurs mesures, dont « une contribution de solidarité par le travail, soit sept heures de travail supplémentaires à effectuer par chacun. Sept heures, une journée, une demi-journée ou 35 minutes par mois, tout ça pour financer l’autonomie », avance Philippe Mouiller. Dans l’idée, cela revient à une seconde journée de solidarité, qui fait largement débat.
Une proposition qualifiée d’« intéressante » par la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, « elle permettrait de mieux financer la branche autonomie avec beaucoup de souplesse d’application, en laissant de la place au dialogue social », salue-t-elle.
Autre point important du texte : le gouvernement entend revenir en partie sur les exonérations de charges pour les entreprises sur les salaires proches du Smic, pour une économie de 4 milliards d’euros. Sujet qui passe très mal chez les députés Renaissance. « Sous sa forme actuelle, cette disposition détruirait environ 50.000 emplois », pointe aussi la rapporteure Elisabeth Doineau. La commission défend plutôt deux amendements pour ne pas diminuer les allègements « au niveau du Smic ». Sur ce sujet, le gouvernement s’est déjà montré ouvert à revoir sa copie.
Retraites : le compromis présenté par Laurent Wauquiez repris par la majorité sénatoriale
Sur la désindexation des retraites, on connaît déjà le compromis. C’est Laurent Wauquiez, à la tête des députés de la Droite républicaine (LR), qui l’a présenté lui-même. Les sénateurs LR, qui planchaient depuis quelques semaines sur le sujet, n’ont pas vraiment apprécié (lire notre article sur le sujet). Ils n’ont eu d’autre choix que de reprendre à leur compte la nouvelle mouture, qui prévoit une désindexation des pensions pour toutes les retraites, suivi d’un rattrapage pour les petites retraites au bout de six mois, l’une des options qu’ils avaient en tête.
Reste qu’au final les retraites restent globalement mises à contribution. S’il faut « demander aux retraités de contribuer à cet effort », assume la sénatrice LR de l’Aisne, Pascale Gruny, rapporteure de la branche vieillesse, « il faut protéger de l’inflation les plus faibles retraites inférieures au Smic, avec une seconde revalorisation au 1er juillet et un rattrapage ».
A noter qu’un sein de la majorité sénatoriale, le groupe Union centriste fait entendre sa propre voix sur un point sensible. « Pour augmenter les salaires et la compétitive des entreprises, il faut trouver des ressources nouvelles sans pénaliser le travail et la productivité. Le groupe Union centriste propose ainsi d’augmenter d’un point de TVA, hors biens de première nécessité, pour que les consommateurs partagent cet effort de justice sociale », avance le sénateur Modem du Pas-de-Calais, Jean-Marie Vanlerenberghe. Une idée déjà rejetée par le gouvernement.
« Une association de malfaisants, ce fameux socle commun, avec le gouvernement, a multiplié les manœuvres dilatoires », dénonce la socialiste Laurence Rossignol
A gauche, une fois n’est pas coutume, c’est le groupe PS qui a défendu une motion d’irrecevabilité – qui a été rejetée – pour tenter de mettre fin aux débats, pour dénoncer les conditions de l’examen à l’Assemblée. « Une association de malfaisants, ce fameux socle commun, avec le gouvernement, a multiplié les manœuvres dilatoires afin qu’aucun vote global n’ait lieu sur le PLFSS », dénonce la sénatrice PS du Val-de-Marne, Laurence Rossignol (voir la vidéo ci-dessous), alors que la gauche avait réussi à faire adopter des amendements apportant de nouvelles recettes contre l’avis du gouvernement. Elle ne veut pas « se réjouir à l’idée que le Sénat soit la chambre dans laquelle va s’écrire le PLFSS ». Rappelant que la Haute assemblée « représente les collectivités », « nous savons que l’Assemblée, élue au suffrage universel, contrairement à nous, ne peut être contournée sans que ce soit la souveraineté nationale qui soit contournée ». Et d’ajouter :
Sur le fond, la sénatrice PS des Côtes-d’Armor, Annie Le Houerou, dénonce « un budget qui cache en réalité une vision politique que nous refusons, celle de laisser filer les déficits pour simuler l’inefficacité de notre système de Sécurité sociale ».
S’ils saluent « la réforme de la taxe soda », les sénateurs écologistes veulent aller plus loin sur la fiscalité comportementale, avec une hausse des taxes sur le tabac pour « un paquet de cigarettes à 16 euros en 2027 » et un prix minimum de l’alcool, « qui tue chaque année l’équivalent de la ville d’Albi », soit environ 50.000 personnes, alerte la sénatrice des Ecologistes, Anne Souyris (voir notre article sur leurs propositions).
« Le gouvernement, sans majorité à l’Assemblée, peut compter ici sur ses soutiens pour faire le sale boulot », tacle la sénatrice PCF Cathy Apourceau-Poly
« Le gouvernement, sans majorité à l’Assemblée, peut compter ici sur ses soutiens pour faire le sale boulot », a taclé la sénatrice PCF du Pas-de-Calais, Cathy Apourceau-Poly, en défendant la question préalable défendue par le groupe CRCE-K. « Le PLFSS est un budget d’austérité dont les deux tiers des économies reposent sur les assurés sociaux, avec une baisse de leurs prestations, une baisse des indemnités journalières, une hausse des franchises médicales et la dernière en date, une baisse sur le remboursement des médicaments », dénonce la communiste, qui voit dans ce premier budget de la Sécu du gouvernement Barnier « un texte d’austérité totalement déshumanisé ».
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