Ces dispositions ne produiront leurs effets sur le terrain que dans quelques années mais elles sont une brique de plus dans les offensives législatives en cours pour remédier au manque de soignants dans le pays et répondre à la problématique profonde des déserts médicaux. Le Sénat a adopté ce 18 juin la proposition de loi de Yannick Neuder, déposée du temps où il était encore député LR. Le texte réforme les modalités d’admission et de places ouvertes dans les études de médecine, et vise à augmenter à terme le nombre de praticiens formés. « Ce qu’il nous faut pour assurer l’avenir de notre système de santé, c’est de réussir un véritable choc de formation, je dirais même, un électrochoc de formation », a fait valoir le ministre de la Santé Yannick Neuder, devant les sénateurs.
Les députés avaient voté en faveur du texte début décembre 2023, il y a près d’un an et demi. Dans ce contexte, les sénateurs ont adopté le texte sans modification, pour « favoriser son entrée en vigueur rapide ». Le texte est donc définitivement adopté et va pouvoir être promulgué dans les prochains jours.
Les ARS pourront appeler les universités à augmenter leurs capacités d’accueil
Le texte traduit un engagement du ministre de la Santé Yannick Neuder, celui de mettre fin au numerus apertus, le système actuel d’entrée dans les études de médecine. Ce système avait lui-même pris le relais du célèbre numerus clausus, qui limitait strictement chaque année au niveau national le nombre de places disponible en deuxième année pour les études médicales, depuis les années 70. « Nous formons aujourd’hui autant de médecins qu’en 1970. La nation doit garantir la protection de la santé. La situation est trop alarmante, nous devons réagir, mais agir avec méthode et pragmatisme », a ainsi encouragé le ministre lors de la discussion générale.
Ce numerus clausus avait été supprimé par la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé de 2019, au profit d’un numerus apertus, un système plus flexible correspondant aux capacités d’accueil fixées par les universités elles-mêmes, en concertation avec les agences régionales de santé (ARS), et sur la base d’objectifs pluriannuels. Ce système a permis d’augmenter le nombre d’étudiants en médecine de deuxième année de 18 %.
Ce système est encore jugé « trop restrictif » par le ministre de la Santé. Le texte voté cette nuit va permettre aux ARS et aux conseils territoriaux de santé (CTS) d’appeler une université à accroître ses capacités d’accueil, si celles-ci ne correspondent pas aux objectifs pluriannuels qu’elle a arrêtés. Un décret devra préciser les modalités. Toujours selon les termes de la loi, ces objectifs devront « garantir la répartition optimale des futurs professionnels sur le territoire ».
Le renversement de la logique dans la détermination des places dans les études de médecine a reçu un très large soutien dans l’hémicycle. « Ce texte tend à remédier à des déficits chroniques et insupportables en activant le seul levier réellement efficace, celui de la formation », a applaudi la sénatrice centriste Nadia Sollogoub. Le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller (LR), a salué des « mesures utiles pour renforcer à court terme les effectifs d’étudiants en santé » et une « nouvelle occasion d’œuvrer à l’amélioration de l’accès aux soins, en agissant à la racine ». Co-auteur d’une proposition de loi en faveur de l’amélioration de l’accès aux soins dans les territoires, adoptée le mois dernier au Sénat, le sénateur des Deux-Sèvres a estimé que la loi Neuder était « complémentaire ».
« Sa réussite dépendra également des moyens mis en œuvre par le gouvernement », rappelle Philippe Mouiller
Le parlementaire a cependant insisté sur les conditions de réussite des objectifs de la proposition de loi. « Sa réussite dépendra également des moyens mis en œuvre par le gouvernement pour augmenter les capacités d’accueil des universités et veiller à la réussite des étudiants », a-t-il prévenu. Cette préoccupation, également partagée par L’Association nationale des étudiants en médecine ou encore le syndicat Jeunes Médecins, est revenue à plusieurs reprises dans les débats.
« Pour former plus de professionnels, il ne suffit pas de passer du numerus clausus au numerus apertus. Il faut surtout donner aux universités les moyens d’accroître les capacités de formation, des moyens financiers certes, mais aussi des moyens humains, des enseignants, et ce dès le premier cycle », a ainsi déclaré la sénatrice socialiste Émilienne Poumirol. « Cela risque de se heurter à la volonté du gouvernement de réaliser 40 milliards d’euros d’économies dans le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale l’an prochain », s’est inquiété la sénatrice communiste Céline Brulin.
Alors que le gouvernement doit dévoiler sa stratégie budgétaire dans un peu moins d’un mois, le ministre a en tout cas assuré de sa mobilisation sur le sujet. « Je continuerai de me battre pour nos universités, pour qu’elles aient les moyens nécessaires au maintien de la qualité et de l’excellence de la formation médicale française », s’est-il engagé. « Nous vous prenons au mot. Nous attendons de votre part une mobilisation exceptionnelle […] Nous espérons une concrétisation dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale », a fait savoir l’écologiste Anne Souyris.
Lutter contre « la fuite des cerveaux à l’étranger »
L’un des leviers d’action du texte pour augmenter le nombre de médecins consiste aussi à récupérer les étudiants partis à l’étranger pour leur cursus. L’auteur du texte parle de « stopper l’hémorragie » des étudiants qui quittent la France pour embrasser des études de médecine en Belgique, en Espagne ou encore en Roumanie. Cette expatriation s’explique par la plus forte sélectivité du premier cycle des études de médecine en France par rapport à ces pays. Selon la Cour des comptes, 1 600 étudiants quitteraient le pays sur cette motivation chaque année.
Le texte propose que les étudiants français inscrits actuellement en études de médecine à l’étranger puissent être réintégrés, dans des modalités à définir par décret, au cursus français.
Un dernier point vise à consolider le dispositif des passerelles, qui consiste à permettre la reconversion de professionnels paramédicaux (infirmiers, les aides-soignants ou encore les kinésithérapeutes) dans des études de médecine. Actuellement, ils ne représentent que 5 % du total des admis en médecine.
Le sujet continuera de mobiliser la commission des affaires sociales du Sénat, puisque celle-ci a engagé en décembre des travaux sur l’accès aux études de santé.