Déserts médicaux : le Sénat conditionne la liberté d’installation des médecins dans certains territoires, avec l’aval du gouvernement

Les sénateurs, à l'initiative de la droite, ont adopté ce mardi 13 mai un dispositif d'encadrement de l'installation des médecins dans les territoires les mieux dotés. Ils ont également validé le mécanisme de solidarité à destination des déserts médicaux porté par le gouvernement. Celui-ci prévoit que les médecins déjà installés en zone dense effectuent un certain nombre de consultations dans des « zones prioritaires ».
Romain David

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Les sénateurs ont adopté ce mercredi 13 mai un mécanisme d’encadrement de l’installation des médecins, visant à lutter contre le phénomène de désertification médicale. L’adoption d’un tel dispositif marque un revirement d’ampleur au sein de la Chambre haute, dans la mesure où la droite sénatoriale, majoritaire au Palais du Luxembourg, s’est longtemps opposée à toute contrainte d’installation. « Notre logique à nous, c’est de conserver la notion de liberté d’installation, mais de dire aussi qu’il faut avancer dans les territoires où il y a trop de professionnels », a tenu à rassurer l’auteur de ce texte, le sénateur LR Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales.

En effet, ce vote intervient moins d’une semaine après l’adoption par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi transpartisane sur le même sujet, mais portant un dispositif de régulation des installations beaucoup plus coercitif, ce qui n’a pas manqué de braquer une large partie de la profession.

Le dispositif retenu par le Sénat conditionne l’installation de nouveaux médecins généralistes dans les territoires les mieux dotés en soignants au feu vert de l’Agence régionale de santé (ARS), moyennant l’engagement de réaliser un certain nombre d’actes dans une zone sous-dense. « Le dispositif que nous proposons est équilibré, il préserve la liberté d’installation en n’empêchant aucun médecin de s’installer où il le souhaite pour être conventionné. En revanche, ceux qui voudront s’installer dans les zones déjà bien dotées devront donner de leur temps pour contribuer à maîtriser les inégalités d’accès aux soins. Cette contrepartie sera connue à l’avance des médecins, qui s’installeront en connaissance de cause », a détaillé la rapporteure LR Corinne Imbert.

Les élus ont également adopté, à l’article 5, le principe d’une rémunération forfaitaire modulée en fonction de la part de patientèle traité en zone sous-dense. L’objectif est de relancer l’attractivité des territoires les moins bien dotés, même si le risque de « financiarisation » de la profession a été pointé à plusieurs reprises au cours des débats.

« Les soignants ne sont pas des poissons rouges que l’on transvase d’un aquarium à un autre »

La gauche, très critique vis-à-vis de l’encadrement proposé par la droite sénatoriale, a tenté à plusieurs reprises de durcir le texte, avec plusieurs amendements tendant à se rapprocher du dispositif de coercition adopté le 7 mai à l’Assemblée nationale. À savoir : conditionner chaque installation en zone sur-dense au départ d’un praticien, par exemple à la retraite. Les élus centristes, d’ordinaire alliés aux LR, ont été plusieurs à estimer que la proposition de loi de Philippe Mouiller ne répondait pas à la pénurie globale de généralistes.

« Je pense qu’on ne peut pas distribuer ce que l’on n’a pas. La pénurie est une vraie difficulté mais la régulation n’est pas une réponse », s’est agacée la sénatrice centriste Élisabeth Doineau, également rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Sa collègue Sonia de La Provôté lui a emboîté le pas. « Ce qui est proposé là, c’est : on n’en a pas assez, mais ce n’est pas grave, avec peu on va faire du moins que peu. Ça n’est pas comme ça que l’on va régler la question de l’accès aux soins », a taclé l’élue.

« Les soignants ne sont pas des poissons rouges que l’on transvase d’un aquarium à un autre », a regretté le sénateur Place publique Bernard Jomier, médecin de profession. « Ils ont une vie, et toute contrainte, toute coercition dans un système ouvert ne fonctionne pas ! ». Il a également déploré la mise en place d’un dispositif qui cible les jeunes médecins « qui ne sont en rien responsable de la situation ».

Un pacte de « solidarité territoriale obligatoire »

Adopté par les sénateurs, un amendement du gouvernement permet d’introduire dans ce texte le principe de « solidarité territoriale obligatoire », l’un des dispositifs du « pacte de lutte contre les déserts médicaux », présenté par le Premier ministre fin avril.

 

Visant à pallier le plus urgent, ce mécanisme impose aux médecins déjà installés, libéraux ou salariés d’une structure, une continuité d’exercice dans les zones sous dense, selon un planning défini à l’avance. Le texte prévoit de consacrer jusqu’à deux jours par mois d’activités dans ces zones prioritaires, qui seront définies par l’ARS. Les médecins pourront se faire remplacer dans leur cabinet principal, et bénéficieront pour ces missions d’une indemnisation supplémentaire, fixée par arrêté. En cas de refus de participation, ils seront passibles d’une pénalité financière.

« Cet amendement est assez complémentaire du dispositif sénatorial, avec la philosophie consistant à demander peu à beaucoup de professionnels, afin d’alléger la charge individuelle », a défendu Yannick Neuder, le ministre chargé de la Santé. Privé de majorité à l’Assemblée nationale, le gouvernement espère s’appuyer sur le Sénat pour imposer un dispositif moins radical que celui adopté par les députés.

Pour autant, le flou autour de la mise en œuvre de ces différentes mesures a soulevé une certaine inquiétude dans l’hémicycle, de nombreux paramètres restant aux mains de l’exécutif, car définis par arrêté. « Je ne suis pas capable de vous donner le nombre d’heures et de jours, mais l’idée c’est d’avoir une présence qui pèse réellement, une véritable offre secondaire, ce n’est pas minime », a expliqué Philippe Mouiller. Avant d’ironiser : « Si le ministre nous propose de rédiger une copie de décret, on sera preneur ! »

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