9.7 milliards de dollars. C’est le montant du stock de contraceptifs féminins que les États-Unis comptent incinérer. Une énième décision vivement critiquée de l’administration de Donald Trump, qui s’inscrit dans le sillage du démantèlement de l’USAID, l’agence pour le développement international, jugée incompatible avec la logique de l’ « America First », et de la politique anti-avortement du président américain. L’annonce de cette destruction, prévue sur le territoire européen, dans des conditions et délais flous, a provoqué une levée de boucliers des militants et des élus de gauche, qui dénoncent un scandale portant atteinte à la santé publique et aux droits des femmes.
La « croisade » contre « les droits des femmes » de Trump
Ces matériels de contraception, essentiellement des implants, pilules contraceptives et stérilets, étaient initialement destinés à des femmes vivant dans des zones défavorisées et proviennent de contrats de l’USAID. En juillet, le département d’État américain a acté leur incinération, a révélé The Guardian, arguant qu’il ne trouverait pas d’acheteurs, et s’appuyant sur la « Mexico City Policy », une règle fédérale instaurée en 1984 et ressuscitée en début d’année par Donald Trump, qui bannit tout envoi d’aide à des organisations étrangères qui conseillent sur l’avortement. Actuellement stockés dans un entrepôt à Geel, en Belgique, les contraceptifs devraient être brûlés en France, par une entreprise spécialisée dans la destruction des déchets médicaux, pour un coût de 167 000 dollars. Les protestations se succèdent devant l’ambassade américaine à Bruxelles et la vigilance est de mise, de part et d’autre de la frontière franco-belge, pour surveiller d’éventuels transferts de stocks.
Depuis, le flou demeure. « On ne sait pas très bien où on en est », soupire la députée PS Céline Thiébault-Martinez. Des suspicions de destruction partielle, un temps relayées par The New York Times, ont été contredites par les autorités flamandes, « pour motif d’autorisations non demandées », explique l’élue, « à ce jour, sauf information contraire non divulguée, les stocks existent toujours ». Nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour s’opposer à la décision des États-Unis. Des associations féministes et ONG, à l’instar de Médecins sans frontières, se sont par ailleurs manifestées pour reprendre à leur charge la distribution et l’acheminement de ces contraceptifs, qui sont encore « tout à fait utilisables et non périmés », souligne la sénatrice socialiste Colombe Brossel. Le gouvernement américain n’a pas donné suite à ces propositions, rapporte la députée de Seine-et-Marne, « dans une logique de croisade engagée par Donald Trump contre tout ce qui défend peu ou prou l’IVG et les droits des femmes à disposer de leurs corps ». Sauf qu’à la fin, « ce n’est pas que de l’idéologie », ce sont « des grossesses indésirées, une mortalité infantile et maternelle, et des avortements clandestins et dangereux », s’alarme Colombe Brossel.
Un silence « totalement incohérent »
Vendredi dernier, en préambule de la journée internationale de l’accès à la contraception du 28 septembre, Céline Thiébault-Martinez et d’autres personnalités socialistes, dont Colombe Brossel, Olivier Faure et Patrick Kanner, ont signé une tribune dans le Nouvel Obs, pour alerter sur l’avenir de ces stocks et réclamer des actions diplomatiques. Cet été déjà, des élus socialistes, insoumis et écologistes se sont à tour de rôle saisis de la question pour enjoindre le président français à intervenir. Des appels restés sans réponse, « même pas d’accusé de réception », dénonce la sénatrice Colombe Brossel. Également interpellée sur la question par le groupe PS, Aurore Bergé, ministre démissionnaire chargée de l’Égalité entre les Femmes et les Hommes, n’a pas pris d’engagement particulier. « On est confronté à un silence immense de la part des autorités », déplore Céline Thiébault-Martinez.
Toujours muet ce lundi, le chef d’État français avait fait savoir par le biais du ministère de la Santé, au début du mois d’août, l’« impuissance juridique » de la France en la matière, les contraceptifs n’étant pas considérés comme des médicaments essentiels, ni sujets à une pénurie sur le territoire. Un non-argument pour Céline Thiébault-Martinez, qui accuse le gouvernement de « se dessaisir du sujet », d’ « une façon assez vilaine ». Alors qu’Emmanuel Macron « a fait des droits des femmes, à deux reprises, la cause de son quinquennat », et que la France « se veut pays fer de lance en termes de diplomatie féministe », la députée pointe du doigt un silence « totalement incohérent ».
De son côté, la Belgique a annoncé, il y a près de deux mois, avoir engagé « des démarches diplomatiques » auprès des États-Unis, et être en train d’ « explorer toutes les pistes possibles pour éviter la destruction de ces produits, y compris des solutions de relocalisation temporaire ». Sans que davantage d’avancées ne soient observées.
Le « devoir » de la France d’intervenir
La position des socialistes est claire : « C’est bien d’avoir en bouche tous les éléments de discours sur la diplomatie féministe », mais « les paroles doivent se traduire par des actes ». Colombe Brossel l’affirme, « ça devient urgent ». Les élus signataires de la tribune avancent l’échéance du 22 et 23 octobre prochains, date à laquelle la France accueillera la 4e Conférence ministérielle des Politiques étrangères féministes, l’occasion « historique » de montrer « au monde que notre pays porte une voix forte pour les droits sexuels et reproductifs ». « C’est notre devoir d’intervenir et d’engager une situation diplomatique, si nous ne faisons rien, ce serait une trahison pour les femmes », martèle la députée de Seine-et-Marne, « surtout en tant que premier pays du monde qui a inscrit la liberté de recourir à l’avortement dans sa Constitution ».
Et, « si rien n’est réglé d’ici-là », les socialistes comptent bien utiliser « toutes les tribunes ouvertes et tous les moments où nous pourrons nous exprimer sur ce scandale absolu », promet Colombe Brossel. La sénatrice envisage les « modalités d’interpellation écrites et orales », une fois que le Parlement aura repris son fonctionnement. Et prévient : « La situation particulière en France ne peut pas être une excuse, ni un motif, qui permettrait à quiconque de dire ‘On ne pouvait pas’. »
Le sujet des contraceptifs et « l’ambivalence de la position de la France » vont « revenir sur la table dans le cadre du PLF [ndlr : projet de loi de finances] », dans une « ambiance générale de baisses des moyens », affirme Céline Thiébault-Martinez. L’élue s’inquiète des réductions accordées à l’aide au développement, « qui impactent presque immédiatement les droits des femmes ». Pas sûr que l’arrivée de Sébastien Lecornu au gouvernement change la donne. Si elle ne veut pas se montrer pessimiste, la députée PS n’en demeure pas moins sceptique : « On va voir ce qu’il présente », mais « ses annonces d’il y a trois jours laissent peu d’espoir d’orientations différentes sur le budget ».