Devant le Sénat, les producteurs d’alcool demandent des actions de prévention « ciblées »

Les différentes fédérations professionnelles de production d’alcool ont été auditionnées ce 19 mars 2024 par la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) du Sénat. Les organisations estiment qu’un relèvement des taxes comportementales ne permettrait pas de faire reculer les consommations excessives.
Guillaume Jacquot

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L’objet des travaux a de quoi inquiéter les représentants des productions de boissons alcoolisées. Une réflexion est engagée, depuis le mois dernier par la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) du Sénat, sur la fiscalité comportementale dans le cadre des politiques publiques. Chaque année, dans le cadre du budget de l’Assurance maladie, les parlementaires se penchent sur le niveau de ces taxes qui ont pour but de détourner la population de consommations excessives ou de pratiques à risque, en particulier le tabagisme, l’alcoolisme ou encore l’achat de produits gras ou sucrés.

Confrontés à un recul structurel de la consommation de leurs produits sur le territoire national et à un contexte économique moins porteur à l’international, les différents représentants des filières ont, sans surprise, fait part de leur perplexité face à la possibilité d’un rehaussement de taxes comme moyen de lutter contre les consommations excessives.

« Contrairement à d’autres boissons alcoolisées, qui ont une forte fiscalité, sur le vin, il y a peu de fiscalité, et sans cette fiscalité comportementale, nous avons assisté à une déconsommation généralisée, beaucoup plus sociétale », s’est opposé Samuel Montgermont, président Vin et Société, l’influente organisation qui fédère le monde de la viticulture en France. « Une augmentation de la fiscalité aggraverait une situation économique déjà très dégradée pour notre secteur économique », a abondé Jérôme Volle, vice-président de la FNSEA, viticulteur. Tour à tour, les représentants du secteur face aux sénateurs on dépeint un tableau de ventes en déclin sur les derniers mois, couplé à une hausse de leurs coûts (matières premières, énergie), tout en rappelant le poids économique en termes d’emplois de leurs productions.

« On n’a plus les recettes nécessaires pour faire fonctionner convenablement notre système de santé sur l’ensemble du territoire »

« Notre constat, c’est que la fiscalité n’entraîne pas une amélioration de la situation de la santé de nos concitoyens. Si on a mis en place cette commission, c’est pour trouver de meilleures solutions, qui permettent à nos concitoyens d’apprécier vos produits et en même temps de se protéger au niveau de la santé, c’est ça notre but », a souhaité rassurer Alain Milon, le président de la MECSS. Médecin, le sénateur de Vaucluse, réputé pour ses cépages, a néanmoins fait souffler le froid et le chaud. Il a notamment indiqué que les « dépenses de santé liées au sucre, à l’alcool, au tabac, sont en augmentation ». Et que face à cette tendance, « on n’a plus les recettes nécessaires pour faire fonctionner convenablement notre système de santé sur l’ensemble du territoire », a insisté le parlementaire.

L’intervention n’a pas entièrement rassuré tous ses interlocuteurs. Il faut dire qu’à l’été dernier, la piste d’une meilleure indexation sur l’inflation des droits d’accise sur l’alcool avait été ouvertement posée sur la table par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, lui-même rejoint par le ministre de la Santé Aurélien Rousseau.

« On essaye d’interroger ce qui existe aujourd’hui », a expliqué la sénatrice (Union centriste) Elisabeth Doineau, l’une des deux co-rapporteures de la mission en cours. « Les taxes ne sont pas responsables de la baisse structurelle, oui effectivement. Pour autant, dans certains comportements excessifs, est-ce que la taxe ne contribue pas partiellement ? » s’est-elle interrogée. La rapporteure générale de la commission des affaires sociales a parallèlement sourcillé face aux déclarations parfois « contradictoires », selon ses mots, de ses interlocuteurs. « 10 % de la population consomment 58 % du volume. Vous ne voulez pas trop baisser le volume de consommation si on vous entend », s’est-elle étonnée.

Le prix minimum par litre d’alcool, « une fausse bonne idée », selon Vin et Société

Parmi les questions, les alcooliers ont également dû se prononcer sur l’idée d’un prix minimum. Là non plus, cette modalité a rencontré une farouche opposition. « Augmenter le prix par la taxe ou un mécanisme de prix minimum pourrait conduire les catégories sociales les moins favorisées à faire des arbitrages de consommation au détriment d’autres bien alimentaires ou sanitaires », a mis en garde Jérôme Perchet, président de la Fédération française des vins d’apéritif. « Une fausse bonne idée », a renchéri Samuel Montgermont, le président Vin et Société.

« Ce sont des questions qu’on doit explorer », a réagi Elisabeth Doineau. Plusieurs sénateurs avaient tenté, sans succès, d’introduire ce prix minimum dans le budget de la Sécurité sociale, en s’inspirant du modèle écossais. Au printemps dernier, une étude conduite par des chercheurs du Public Health Scotland et de l’université de Glasgow avaient noté une réduction « signification » de 13 % du nombre de décès entièrement imputables à l’alcool, par rapport à la situation prévalant avant la réforme de 2018.

« Quand la prévention est ciblée sur les personnes à risque, elle démontre clairement une efficacité », estime l’organisation Brasseurs de France

Sur quels leviers agir alors ? « Une prévention ciblée, avec des moyens sur ces préventions ciblées, c’est un point fort sur lequel on s’attaque », a encouragé Magalie Filhue, déléguée générale de Brasseurs de France. « Quand la prévention est ciblée sur les personnes à risque, elle démontre clairement une efficacité. La fiscalité, de par son aspect global ne le permet pas » : la représentante des producteurs de bière donne notamment l’exemple du soutien à des actions de sensibilisation en direction des femmes enceintes, sur les dangers d’une consommation durant la grossesse.

Les fédérations auditionnées ont rappelé leurs engagements à travers l’association « Prévention et modération », née en 2019, pour donner plus de poids à des initiatives visant à combattre les comportements à risque ou promouvoir la consommation responsable. Thomas Gauthier, directeur général de la Fédération française des spiritueux a fait remonter une difficulté aux parlementaires en matière de soutiens. Les associations ne peuvent cumuler des subventions publiques avec un financement issu des organisations professionnelles. « Certains nous disent : si on accepte nos financements publics vont disparaître […] Si on avait beaucoup d’argent à mettre sur la table, on serait bien en peine de l’utiliser », rappelle le représentant d’une organisation composée à 95 % de PME.

Partisan également d’un « combat ciblé », le président de Vin et Société a par ailleurs demandé aux sénateurs une solution afin de « réactualiser » certaines statistiques publiques. Dans son viseur : un chiffre régulièrement mis en avant par Santé publique France, qui fait état de 41 000 morts imputables à l’alcool. La donnée provient d’une étude datée de 2015.

À ce stade, la commission n’a pas exposé ses intentions. Alain Milon a néanmoins affiché son intention d’agir contre « certains produits d’appel au niveau de la jeunesse ». « On luttera contre ça, c’est une évidence. Je pense en particulier dans le cadre du tabac, mais il n’est pas impossible que ça se fasse ailleurs. » La mission sénatoriale va se poursuivre le 2 avril, en se penchant cette fois, sur les boissons sucrées et les produits « à faible qualité nutritionnelle ».

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