Frédéric Valletoux à la Santé : une confiance à reconstruire avec les médecins

Frédéric Valletoux à la Santé : une confiance à reconstruire avec les médecins

Décrit comme expérimenté chez les sénateurs, le nouveau ministre délégué à la Santé n’arrive pas en terre inconnue, lui qui a présidé la Fédération hospitalière française. L’ancien parlementaire laisse toutefois un mauvais souvenir aux médecins libéraux. Plusieurs sénateurs de la commission des affaires sociales attendent du nouveau ministre une « stratégie » qui « embarque l’ensemble » des soignants.
Guillaume Jacquot

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Son nom avait déjà circulé en juillet pour succéder à François Braun, hypothèse démentie par l’arrivée d’Aurélien Rousseau. C’est finalement le député Horizons Frédéric Valletoux qui hérite de la rue de Ségur, laissée sans ministre à plein temps après le bref intérim d’Agnès Firmin-Le Bodo de la fin 2023. Sous la responsabilité du vaste ministère de Catherine Vautrin, l’ancien maire de Fontainebleau occupe désormais depuis ce jeudi les fonctions de ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention. Des missions complexes attendent ce proche d’Edouard Philippe, dans un système de soin marqué par la pénurie de professionnels et des difficultés budgétaires.

Les sujets de santé, cet ancien journaliste a déjà eu l’occasion de les aborder longuement pendant sa carrière. Durant les dix années qui ont précédé son élection à l’Assemblée nationale en 2022, il a présidé la Fédération hospitalière de France. Un point commun avec Gérard Larcher, passé par les mêmes responsabilités avant son entrée au gouvernement. On retient également de lui durant cette législature, l’adoption d’une proposition de loi en faveur de l’accès aux soins, qui rééquilibre la permanence des soins entre les établissements privés de santé et l’hôpital public.

Sur fond de négociations conventionnelles tendues avec l’Assurance maladie, ce texte soutenu par le gouvernement avait largement contribué à alimenter cet automne la colère des médecins libéraux, inquiets de voir se multiplier les contraintes ou des formes d’obligations à leur égard. La profession s’est mobilisée comme rarement dans le passé. Si les dispositions les plus irritantes ont été évacuées lors de l’examen au Sénat, l’épisode a laissé des traces profondes.

« Une déclaration de guerre » et un « cauchemar » pour les médecins libéraux

Preuve en est avec l’accueil pour le moins glacial du ministre chez les organisations professionnelles. En particulier chez les représentants des médecins libéraux. Le CSMF (Confédération des syndicaux médicaux français) considère que l’exécutif « choisit de déclarer la guerre à la médecine libérale ». « Personne ne peut en effet avoir oublié les prises de position scandaleuses de Monsieur Valletoux lorsqu’il était président de la Fédération Hospitalière de France, accusant la médecine libérale d’être la cause des maux de l’hôpital. Personne n’a oublié sa proposition de loi coercitive dont les aspects les plus durs ont été écartés, sous pression de la CSMF », rappelle le docteur Franck Devulder. Pour le SML (Syndicat des médecins libéraux), la nomination est vécue comme une « gifle » mais aussi le « cauchemar » de la profession. « Comment pourrait-il être l’homme de la situation », s’exclame le syndicat, encore marqué par la proposition de loi de 2023. Voici dans quel contexte se poursuivent les négociations conventionnelles.

« Vous avez la confiance d’Emmanuel Macron, mais pas celle des médecins libéraux. Vous l’avez perdu avec vos positions démagogiques et dangereuses », écrit également Jérémy Darenne, président de l’ANEMF, association qui représente les 94 000 étudiants en médecine.

À l’hôpital, la « circonspection » est aussi de mise. « Les praticiens hospitaliers sont inquiets. Durant les 11 années de présidence de la FHF du nouveau ministre (2011-2022), les médecins n’ont cessé de quitter l’hôpital public, faute de propositions à la hauteur mais aussi faute de soutien de nos propositions », s’émeut le SNPHARE.

« Il sait discuter »

Au Sénat, le parcours et le profil du nouveau ministre suscitent moins de réserves aussi tranchées. Les pas effectués dans sa direction, lors de la commission mixte paritaire sur la proposition sur l’accès aux soins, n’y sont sans doute pas étrangers. « Il a de l’expérience. J’ai plutôt un sentiment favorable. Voyons les dispositions qu’il va prendre », attend de voir Philippe Mouiller, le président (LR) de la commission des affaires sociales.

« C’est un homme affable, intelligent, il a de l’empathie, il sait discuter », témoigne Alain Milon. Médecin généraliste à la retraite, ce sénateur LR l’a côtoyé de près pour avoir présidé la Fédération hospitalière de la région Paca. « Mais la médecine, c’est quand même deux jambes. La médecine publique et libérale. Son expérience au niveau libéral n’existe pas, ça peut être un handicap », observe toutefois le parlementaire qui s’était abstenu sur le vote de la proposition de loi de son ami.

Également en désaccord marqué avec la proposition de loi Valletoux, la rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, se rappelle avoir eu un « entretien musclé » au sujet des mesures portées dans le texte, qu’elle avait qualifié de « miroir aux alouettes ». « Sur un sujet aussi complexe que l’accès aux soins, il va falloir qu’il fasse preuve d’attention et de compréhension », plaide la sénatrice de la Mayenne.

« Je lui souhaite le meilleur mandat qui soit, qu’il trouve les clés pour embarquer tout le monde. J’espère que l’on verra une vraie loi sur le système de santé, qui puisse apporter satisfaction, et qui pose une stratégie. J’attends de l’efficacité et du pragmatisme », souligne-t-elle.

« Un chemin de pragmatisme », c’est justement l’approche que défendait Frédéric Valletoux l’an dernier. « Intéressé par la régulation » mais, « à partir du moment où il y aura suffisamment de jeunes qui rentrent dans la carrière », le député avait pointé la tendance ces dernières années à un discours « trop lâche » vis-à-vis de la médecine libérale.

« Il faut qu’il arrive à tourner la page et à rassembler les soignants »

« On voit bien qu’il est accueilli avec beaucoup de scepticisme, pour ne pas dire d’hostilité », réagit le sénateur Bernard Jomier (membre du groupe socialiste, écologiste et républicain). « C’est quelqu’un d’intelligent, il faut qu’il arrive à tourner la page et à rassembler les soignants. On ne réglera pas les problèmes, l’accès aux soins, les problèmes de l’hôpital, sans fédérer, rassembler les soignants », prévient ce médecin généraliste de Paris, remonté par l’instabilité ministérielle rue de Ségur.

L’ancien président de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France espère désormais que le nouveau ministre parviendra à apporter des réponses de fond à la crise. « Le président de la République devrait laisser les ministres de la santé mener leur action. Il a multiplié les coups de barre dans un sens ou dans l’autre qui ne règlent rien. »

Alors, comment s’incarnera la méthode Valletoux ? L’intéressé avait esquissé son portrait-robot du ministre idéal de la Santé, en mai 2023, sur LCP. À ses yeux, un bon ministre de la santé ne doit « pas forcément être un docteur, parce qu’on est dans un secteur où les corporatismes sont importants et on le voit dès qu’on veut faire bouger les lignes ». Le député avait ajouté qu’une telle personne devait être quelqu’un « capable d’être un peu volontariste et audacieux, parce que s’il y a bien un secteur des politiques publiques qui est quand même très sclérosé, c’est bien les politiques de santé. »

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