C’est un nouvel impair qui n’aidera sans doute pas les parlementaires à avaler la pilule. À l’approche d’un vote de confiance, dont il a très peu de chance de se relever, François Bayrou vient probablement de crisper plusieurs forces politiques sur le dossier explosif des franchises médicales, cette fraction du prix d’un médicament ou d’une consultation qui n’est pas prise en charge par la Sécurité sociale, et qui est donc laissée au patient.
L’objectif était connu depuis plusieurs semaines, mais l’accélération du calendrier a surpris plusieurs acteurs de ce dossier. Lors de la présentation de ses orientations budgétaires le 15 juillet, le Premier ministre a mis sur la table des mesures pour « responsabiliser les patients », dans un contexte de hausse croissante – et inquiétante – des dépenses de santé. François Bayrou avait proposé d’augmenter les montants payés par les assurés sur les médicaments et actes médicaux, mais également d’augmenter les plafonds annuels des franchises et des participations forfaitaires.
La limite annuelle pourrait être deux fois moins protectrice, en cas de publication des décrets
Malgré l’engagement de l’ouverture d’un dialogue avec les groupes parlementaires sur cette ébauche budgétaire, avec l’objectif d’aboutir à des compromis, le gouvernement a dévoilé trois projets de décrets devant le conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), traduisant les annonces du mois dernier, et allant dans le sens d’une hausse du reste à charge pour les patients.
Si les décrets étaient signés, plusieurs franchises pourraient doubler : celle sur les boîtes de médicament pourrait passer de 1 à 2 euros, celles sur les consultations médicales de 2 à 4 euros, celles sur les actes paramédicaux (kinés, infirmiers) de 2 à 2 euros, et celle sur les transports sanitaires de 8 à 16 euros.
Les franchises médicales et les participations forfaitaires avaient déjà doublé début 2024, mais à l’époque le plafond du total des franchises n’avait pas été modifié. C’est le seuil au-delà duquel les assurés sociaux sont exemptés des franchises, ce qui permet de protéger les patients qui ont besoin de beaucoup de prises en charge. Le gouvernement prévoit de relever ces barrières. Le projet est de passer le plafond de 50 à 100 euros par an pour les consultations chez le médecin, mais également de 50 à 100 euros par an pour les médicaments, actes paramédicaux et l’utilisation de transports sanitaires.
Un rejet par le conseil d’administration de l’Assurance maladie, qui n’est que consultatif
Le conseil de l’Assurance maladie, où siègent des instances paritaires (syndicats et organisations patronales) et des institutions de l’assurance santé, a rejeté ces projets gouvernementaux jeudi. Son avis n’est que consultatif, et le ministère de la Santé n’est pas tenu de le suivre. Invité du journal de 20 heures de France 2, ce 4 septembre, François Bayrou a continué à justifier cette idée, sans confirmer toutefois qu’il signerait bien le décret. « Je trouve que c’est une mesure qui fait en effet partie des efforts normaux qu’on devrait pouvoir tous accepter pour que notre pays se sauve. Ce qui est en question aujourd’hui […] ça n’est pas faire des sacrifices excessifs, c’est faire chacun un geste pour que le pays se sauve », a-t-il répondu.
Ce matin sur l’antenne de RTL, interrogé sur l’éventualité de publier les décrets avant le vote de lundi, le Premier ministre a répondu par la négative, en assurant qu’il ne faisait « jamais rien de manière dissimulée ». « Je suis contre les passages en force. La décision que j’ai prise, c’est une décision pour qu’il n’y ait pas d’affrontement et pas de passage en force. On a besoin de regarder la situation en face et de prendre des décisions, mais de le faire dans un climat de sérénité et de concitoyenneté », a-t-il affirmé. La ministre du Travail et de la Santé Catherine Vautrin a également affiché un certain flou sur les intentions du gouvernement.
Un trouble jusque dans les rangs de la droite
Les décrets, toujours au stade de projets, ont néanmoins fait bondir les associations de patients, qui dénoncent un « passage en force » et les oppositions au gouvernement. « On demande encore aux malades de contribuer alors qu’ils contribuent de manière importante. C’est une remise en question du principe de la Sécurité sociale », condamne la sénatrice socialiste Annie Le Houérou, qui évoque les « sommes très élevées » qui restent à débourser par les personnes en affection de longue durée (ALD). Selon une étude Malakoff Humanis de juin 2025, le reste à charge d’un patient en ALD, après remboursement de l’Assurance maladie, atteint en moyenne 1055 euros.
La sénatrice des Côtes-d’Armor déplore également un faux pas du Premier ministre. « On peut se poser des questions sur sa volonté de trouver des accords avec les uns et les autres. Il met de l’huile sur le feu en ayant ce type d’attitude ! »
Sur la forme, Corinne Imbert (apparentée LR), rapporteure de la branche maladie des projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), ne valide pas non plus le procédé, d’autant que « beaucoup de patients » vont être concernés par le relèvement des franchises, sous l’effet du relèvement des plafonds, souligne-t-elle. « Bien sûr, le Parlement ne peut pas agir dessus, c’est un texte réglementaire, mais cela mérite une discussion et des éléments sur l’impact ! » Problème, en prévoyant une entrée en vigueur au 1er novembre et non en 2026 pour le relèvement des plafonds, le gouvernement empêche des débats sur la question en hémicycle au Sénat.
« Le projet de décret va paraître avant même la discussion du PLFSS, dont on ne sait même pas quand elle aura lieu. Même si les comptes publics appellent cette augmentation, qu’elle s’applique au 1er janvier et non au 1er novembre. Le moment est très mal choisi et la forme ne va pas, c’est très cavalier de la part du gouvernement », ajoute la sénatrice de la Charente-Maritime.
Dans les rangs de LR, plusieurs responsables ont conscience que la mesure est inflammable politiquement. Et pour cause, la mesure est massivement rejetée dans l’opinion publique. 72 % des Français s’y déclarent opposés, selon une enquête Elabe réalisée les 15 et 16 juillet. C’est la proposition du plan gouvernemental d’économies la plus impopulaire, après la piste de suppression de deux jours fériés. Le 2 septembre, à la sortie d’un entretien avec le Premier ministre, le président de LR et ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau avait affiché son refus de voir ces franchises médicales relevées, pressant le gouvernement de diminuer plutôt les crédits de l’Aide médicale d’Etat (AME).
Une situation budgétaire très dégradée pour l’Assurance maladie
Philippe Mouiller, le président (LR) de la commission des affaires sociales, juge la situation difficile. « Ces propositions de relèvement des franchises sont nées de la réunion du comité d’alerte de l’Assurance maladie en juin, où on a constaté une pente exponentielle et non maîtrisée des dépenses d’Assurance maladie », rappelle-t-il
Le comité d’alerte en question avait détecté à la mi-juin un dépassement de 1,3 milliard d’euros de l’objectif de dépenses d’assurance maladie (Ondam), fixé à 265,9 milliards. Selon les éléments communiqués ces derniers jours au bureau de la commission des affaires sociales du Sénat, l’écart pourrait atteindre 3 à 5 milliards d’euros, en raison de recettes de TVA plus basses qu’attendu.
« Sur le principe, que l’on cherche à mieux responsabiliser les assurés et les faire participer un peu plus ne me pose pas de difficulté en soi », poursuit Philippe Mouiller, qui rappelle que les bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire (moins de 14 000 euros de revenus annuels) sont exemptés des franchises médicales.
« Sur la méthode, là où je suis gêné, c’est que cela consiste à prendre un décret alors qu’on connaît la situation politique du moment. Et les délais pour le dialogue entre le gouvernement et le conseil de l’Assurance maladie sont cours », regrette Philippe Mouiller.
Dans le contexte actuel, et face à l’urgence budgétaire, la rapporteure générale de la commission, Elisabeth Doineau (Union centriste) se montre fataliste. « Comme on ne peut pas faire de réformes structurelles, car on ne peut pas trouver de majorité, on est obligé de faire des choses qui vont porter sur le plus grand nombre, et qui ont un rendement rapide. On n’a pas 36 leviers. D’un autre côté, cela permet aussi de faire réfléchir à la consommation de soins, quand on parle d’efficience et de parcours des soins. »
Le doublement des franchises mais également des plafonds annuels va représenter économies de l’ordre de deux milliards d’euros. Il s’agit donc d’une mesure les plus lourdes dans l’objectif du gouvernement de modérer à hauteur de « près de 5,5 milliards d’euros » les dépenses sociales.