Conséquence directe d’une motion de censure qui ferait tomber le gouvernement, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale est plus que jamais menacé. La rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, Elisabeth Doineau (Union centriste), rappelle l’importante de voter une disposition permettant à la Sécu de pouvoir emprunter.
Hôpital : Gabriel Attal défend un budget en hausse, les sénateurs le mettent en doute en raison de l’inflation
Par François Vignal
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Retenu la semaine dernière à l’Assemblée pour cause de 49.3 sur le budget, le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, a été auditionné par les sénateurs de la commission des affaires sociales, en vue de l’examen au Sénat du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, quelques jours après son collègue de la Santé, François Braun.
« Depuis 2017, nous avons investi 53 milliards d’euros de plus dans notre système de santé »
Le ministre de Bercy a évoqué une série de mesures de ce PLFSS, comme les aides renforcées pour les modes de garde des enfants, mais aussi les économies demandées aux laboratoires pharmaceutiques (250 millions d’euros), à l’imagerie médicale (150 millions d’euros) et surtout à l’industrie du médicament (800 millions d’euros) ou encore les complémentaires santé. Sans oublier la lutte contre la fraude, avec la reprise d’une proposition portée par la sénatrice centriste Nathalie Goulet pour interdire les versements d’allocations sur des comptes basés en dehors de l’Union européenne.
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Il s’est aussi attaché à défendre l’effort financier réalisé par l’exécutif dans ce budget de la Sécu, et même avant. « Depuis 2017, nous avons investi 53 milliards d’euros de plus dans notre système de santé avec un Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance maladie) passé de 191 milliards d’euros en 2017 à 244 milliards entre 2023 », souligne Gabriel Attal, qui rappelle « la fin des baisses de tarifs hospitaliers », « le 100 % santé », « la suppression du numerus clausus » ou encore le « soutien au secteur de l’aide à domicile et aux Ehpad. Et nous allons poursuivre cet effort ».
« L’Ondam progresse à un niveau historique de 3,7 % dans ce PLFSS », s’enorgueillit le membre du gouvernement. Quant à l’Ondam hospitalier, c’est-à-dire le budget alloué à l’hôpital, il est en hausse de « 4,1 %. C’est deux fois plus qu’au cours de la décennie 2010 ».
« Les comptes se dégradent très vite » souligne la sénatrice Elisabeth Doineau
Une présentation des comptes que les sénateurs jugent trop flatteuse, pour ne pas dire trompeuse. « Le Haut conseil des finances publiques considère que les prévisions sont optimistes », souligne la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale du Budget de la Sécu au Sénat. Après une « nette amélioration du déficit », à 6,8 milliards d’euros en 2023, ce dernier est ensuite attendu à 8,8 milliards puis 12 milliards d’euros.
« Les comptes se dégradent très vite », pointe la sénatrice de la Mayenne. Les évolutions de l’Ondam, avec 2,7 % pour 2025 puis 2,6 % en 2027, ne sont « pas tenables au regard des incertitudes de la crise du covid et de l’inflation », note la sénatrice LR Corinne Imbert, qui demande, par la voix de Philippe Mouiller, « quelles économies sous-tendent cette trajectoire de maîtrise des dépenses publiques ».
« Quand vous dites que jamais, on a consacré autant d’argent à l’hôpital, en euros constants, ce n’est pas vrai »
Le sénateur du groupe PS, Bernard Jomier, pointe lui un budget de l’hôpital faussement en hausse, car sa progression (+4,1 %) est « inférieure » à la forte inflation actuelle (proche de 6 % en 2022, puis 4,2 % en 2023 selon le gouvernement, mais 4,7 % selon les prévisions de la Banque de France, avec une fourchette entre 4,2 et 6,9 %). « Quand vous dites que jamais, on a consacré autant d’argent à l’hôpital. Oui, en euros courants. Mais en euros constants, ce n’est pas vrai », relève le sénateur de Paris, « on est dans un budget extrêmement contraint » (voir vidéo ci-dessous). Il pointe aussi les prévisions, forcément incertaines. « En 2026, vous avez dit qu’on sera au-dessus du taux de progression de l’inflation. C’est dans 3/4 ans. En 2019, qui pouvait penser que l’inflation serait aujourd’hui à 6 % ? Les hypothèses sont faites pour être démontées par les faits », met en garde Bernard Jomier. Des interrogations sur l’hôpital relayées également par le sénateur du groupe Les Indépendants, Daniel Chasseing, selon qui « il faut tempérer (la hausse), car l’inflation aura un impact important ».
Bernard Jomier souligne par ailleurs que les exonérations de cotisations pour les entreprises sont passées « d’un peu moins de 40 milliards d’euros en 2018, à 71 milliards en 2023 ». Il appelle à en « étudier de près le détail pour éventuellement mettre fin à certaines d’entre elles ».
Le sénateur apparenté PS évoque enfin la situation critique de la pédiatrie à l’hôpital (voir notre article sur le sujet), avec « l’expression comme le « tri » (des enfants) qui refait surface », et les 150 millions d’euros d’urgence promis par le ministre de la Santé pour les secteurs en tension. « On n’est pas encore au début de l’application de ce budget qu’on voit déjà qu’il est insuffisant », constate le sénateur, médecin de profession.
L’inflation représente pour l’hôpital « 20 à 25 milliards d’euros de dépenses », selon Gabriel Attal
Des critiques sur le budget de l’hôpital que rejette le ministre des Comptes publics. Il tacle au passage l’ancien Président socialiste. « Pour avoir participé au quinquennat Hollande au ministère de la Santé, je vois mal comment on peut associer la politique de santé et l’Ondam à une politique d’austérité », rétorque Gabriel Attal, « l’Ondam hospitalier est à 4,1 % alors que c’était 2 % en moyenne sous François Hollande. On voit que c’est un investissement massif ». Ce que le ministre oublie de dire, c’est que l’inflation était située en moyenne entre 2013 (premier budget de François Hollande) et 2017 autour de 0,5 %…
« J’entends les débats sur l’inflation mais nous avons tenu compte des besoins exprimés par les fédérations hospitalières et nous avons ouvert une enveloppe exceptionnelle de 800 millions d’euros supplémentaires en 2022 et 800 millions en 2023, pour couvrir les effets de l’inflation sur les achats hospitaliers et le coût de l’énergie, qui s’ajoutent au financement intégral du point d’indice des fonctionnaires », détaille le ministre des Comptes publics, qui insiste :
L’inflation n’a pas d’impact uniforme sur l’ensemble des dépenses de santé.
Au final, l’effet de l’inflation représente pour l’hôpital « 20 à 25 milliards d’euros de dépenses. Je ne dis pas que ce n’est rien. C’est important. Mais ce n’est pas l’intégralité de nos dépenses de santé, les 244 milliards d’euros sous Ondam », contextualise Gabriel Attal.
« La dégradation du déficit est largement tirée aussi par le déficit prévu sur les retraites »
Concernant la dégradation du déficit de la Sécurité sociale, elle s’explique « par une forme d’effet ciseau », explique le ministre, où « un point d’inflation supplémentaire (ajoute) 3 milliards d’euros de dépenses en plus automatiques, du fait de l’indexation » de nombreuses prestations. Gabriel Attal en profite pour justifier au passage la nécessité d’une réforme des retraites, sur le plan budgétaire. « La dégradation du déficit est largement tirée aussi par le déficit prévu sur les retraites, lié à un nombre important de départs à la retraite, 700.000 dans les années qui viennent. Ce qui justifie d’autant plus une réforme des retraites », soutient le ministre de Bercy.
Un temps évoqué, l’idée d’un amendement au PLFSS pour appliquer cette réforme a été pour l’heure écartée, l’exécutif préférant laisser un peu de temps à la concertation en vue d’un texte à part entière début 2023.
« Les gains indirects de la réforme des retraites » rapporteront « entre 15 et 20 milliards d’euros les recettes fiscales et sociales »
Le ministre rappelle que « l’engagement de campagne du Président, qui est un report progressif de l’âge légal de départ à la retraite, à raison de quatre mois par an à partir de l’été 2023, pour atteindre les 65 ans au bout de 10 ans, c’est un engagement chiffré pendant la campagne à un peu plus de 8 milliards d’euros de gains, à l’horizon 2027 ». Mais en raison d’autres engagements sur « le relèvement du minimum contributif pour ceux qui ont une carrière complète, à 1.100 euros » et sur la pénibilité, « à la fin, le gain net n’est pas le même ».
Gabriel Attal souligne par ailleurs « les gains indirects de la réforme des retraites », avec une amélioration du taux d’emploi, « ce qui finance ensuite des cotisations sociales et recettes fiscales supplémentaires. Une étude de la Direction générale du Trésor chiffre entre 15 et 20 milliards d’euros les recettes fiscales et sociales à l’horizon 2027 liées à un recul de l’âge légal de départ à la retraite ». Le ministre ajoute que « contrairement à ce qu’on peut entendre, reporter l’âge légal ne se traduit pas par une diminution du taux d’emploi des seniors ». « C’est une lapalissade », raille la sénatrice socialiste Monique Lubin à la fin de cette audition, qui a pris des allures de bon tour de chauffe avant l’examen du PLFSS en séance, prévu dans deux semaines au Sénat.