La rue de Ségur est toujours en attente du nom du successeur d’Olivier Véran. Quand le prochain gouvernement sera installé, le ministère de la Santé ne manquera pas de littérature pour résoudre la crise de l’hôpital. Un rapport d’une commission d’enquête du Sénat, remis en mars. Martin Hirsch se place également dans la lumière. Le directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a transmis au gouvernement un long manifeste en faveur d’une « refondation » de l’hôpital. Sa tribune, publiée sur le site des Échos, énumère une série de propositions. Certains rejoignent les conclusions formulées par la commission d’enquête du Sénat sur la situation de l’hôpital, d’autres constituent des solutions de rupture avec le cadre en vigueur depuis plus de 60 ans. Pour lui, le cadre législatif de 1958 est devenu source de rigidité.
Le patron de l’AP-HP défend notamment plus de souplesse dans l’organisation des carrières et dans la rémunération des soignants. Dans son propos, il souligne que le manque de personnel ne concerne pas que la France. Cependant, certaines spécificités rendent « plus difficiles » les adaptations de l’hôpital français. « La France est probablement le seul grand pays où les rémunérations des médecins et des paramédicaux sont fixées au niveau national avec une grande uniformité », souligne-t-il. Selon lui, il faut revoir les statuts des médecins et personnels paramédicaux, en les rendant « plus souples ».
Un plaidoyer contre la grille de rémunération unique
Son projet envisage une rémunération « à trois étages », pour les médecins comme pour les paramédicaux (infirmiers par exemple). Une première strate serait un « plancher » national et statutaire, une seconde dépendrait d’un indicateur géographique lié au coût de la vie locale. Le troisième enfin serait à la main de l’établissement et dépendrait de critères définis collectivement. L’idée serait de « mieux rémunérer certaines spécialités, certaines fonctions, un investissement particulier dans la vie de l’établissement », détaille Martin Hirsch. À ces trois étages s’ajouteraient des primes liées aux fonctions d’encadrement, ou d’enseignement et de recherche.
Il n’est pas le premier à évoquer la nécessité de prendre en compte les différences du coût de la vie d’un point à l’autre du territoire. La commission d’enquête du Sénat a notamment intégré le fait que les personnels de l’AP-HP étaient particulièrement confrontés aux prix élevés du logement, les reléguant à une distance plus longue de leur lieu de travail. « Une adaptation des rémunérations au coût de la vie, si elles excèdent manifestement le champ de la commission d’enquête, doivent être évoquées », reconnaissaient les sénateurs dans leur rapport publié fin mars.
Outre les salaires, Martin Hirsch propose également d’assouplir le système des affectations, pour les coller au plus près des besoins. Selon lui, la « nomination à vie dans un établissement a des effets pervers », et notamment une « mobilité très faible ». « Ces rigidités sont paradoxales pour des métiers pour lesquels il n’y a pas de risque de chômage pour les vingt prochaines années », écrit-il. Le directeur général de l’AP-HP imagine pour les médecins un système de corps national ou régional, dans lequel ces derniers pourraient être affectés « pour des périodes de cinq ans renouvelables dans un établissement, ce qui favoriserait la mobilité ».
Dans son rapport, la commission d’enquête sénatoriale a en tout cas mis en évidence « la grande liberté d’organisation » des établissements privés à but non lucratif. « Le fonctionnement des établissements privés non lucratifs, notamment leurs possibilités de différenciation en matière d’organisation et de gestion des ressources humaines, par opposition à l’application de règles uniformes, doit constituer une source d’inspiration », recommandaient les parlementaires.
Effort pour la formation continue, réforme de la gouvernance
S’il y a bien un point où la contribution de Martin Hirsch et le rapport sénatorial se rejoignent, c’est sur la formation des professions paramédicales. « La promotion professionnelle est en effet une porte d’entrée particulièrement intéressante pour recruter durablement à l’hôpital public (et pas forcément dans l’établissement d’origine) des professionnels aguerris et motivés : les agents hospitaliers peuvent devenir aides-soignants qui peuvent devenir infirmiers, qui peuvent ensuite progresser », expose le DG de l’AP-HP. Or, la formation au métier d’infirmier pour un aide-soignant représente un investissement de 200 000 euros à son établissement. Martin Hirsch demande une prise en charge par l’État.
La commission d’enquête a également maintes fois été alertée sur les difficultés d’accès des infirmiers et des aides-soignants à la formation continue. Pour le Sénat, il convient de « favoriser l’accès des personnels soignants à la formation continue », « y compris financièrement ».
Le patron des hôpitaux parisiens appelle également à réunifier la gouvernance des établissements, qui fonctionnent actuellement avec trois chaînes hiérarchiques (administrative, médicale et paramédicale). Le haut fonctionnaire appelle à « repenser la gouvernance et l’ossature de l’organisation hospitalière », en soulignant que « la médicalisation de la gouvernance est un impératif ». Dans le système qu’il imagine, les médecins devraient exercer de « réelles responsabilités » dans les directeurs, aux côtés des autres acteurs, notamment les personnels non-médecins. « Il faut également une paramédicalisation de la gouvernance », ajoute-t-il.
« Des choses intéressantes » mais aussi une « lecture technocratique et incomplète », selon le sénateur Bernard Jomier
Sur ce thème, là aussi les sénateurs ont plaidé pour une revalorisation du rôle de la commission des soins infirmiers, « afin de mieux associer les personnels paramédicaux à la gouvernance ». Et surtout une symbiose des différents acteurs, un « pilotage médico-administratif équilibré ».
Casser les barrières, Martin Hirsch l’appelle également de ses vœux pour les liens entre l’hôpital et la médecine libérale de ville. « L’objectif est de construire des structures mixtes, liées à l’hôpital, permettant le salariat ou la rémunération sous forme d’honoraires. »
Interrogé par Public Sénat, le sénateur Bernard Jomier (apparenté PS), qui a présidé la commission d’enquête, reste un peu sur sa faim. « Il y a des choses intéressantes, des choses justes, mais c’est quand même une lecture technocratique et incomplète », regrette ce médecin de profession. « À aucun moment il ne parle de la qualité de vie au travail, qui est le problème numéro un. Les ratios patients soignants, c’est le scotome total. »
Martin Hirsch plaide enfin pour une réduction du poids de la bureaucratie à l’hôpital, en demandant une simplification du codage des actes médicaux et paramédicaux. Mais aussi en étirant sa proposition d’un payeur unique pour l’hôpital. Il préconise par exemple que la Sécurité sociale intervienne seule pour simplifier la gestion des factures. « Ce sont des problèmes de tuyauterie des hôpitaux, mais pas une ligne politique », note Bernard Jomier.
La contribution de Martin Hirsch entre néanmoins en résonance avec les quelques éléments disséminés par Emmanuel Macron dans son programme pour « poursuivre le sauvetage de l’hôpital ». Outre un plan de recrutement, le président réélu a promis de « rendre l’hôpital plus humain » avec « moins de charges administratives pour les soignants, plus de responsabilités pour les paramédicaux et une place centrale des médecins dans la gouvernance ».
La méthode de rénovation imaginée par Martin Hirsch rappelle également les conventions ou commissions imaginées par Emmanuel Macron pour préparer la réforme institutionnelle ou le débat sur la fin de vie. Sur l’hôpital, le DG de l’AP-HP, passé par le Conseil d’État, préconise « une commission confiée à une ou deux grandes personnalités reconnues du monde de la santé » et « présidée par le vice-président du Conseil d’Etat », « incluant des professionnels de toutes générations ».