Conséquence directe d’une motion de censure qui ferait tomber le gouvernement, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale est plus que jamais menacé. La rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, Elisabeth Doineau (Union centriste), rappelle l’importante de voter une disposition permettant à la Sécu de pouvoir emprunter.
« La santé ce n’est pas seulement une question de biologie, c’est avant tout une affaire de société », pour Catherine Vidal
Par Lucille Gadler
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« Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique ». C’est le nom du rapport que sont venus présenter à la Délégation aux droits des femmes du Sénat, le 17 novembre, Gilles Lazimi et Catherine Vidal, membres du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE). En 2020, le HCE remettait ce rapport au ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran. Sa conclusion est édifiante : s’il existe bien des spécificités biologiques liées au sexe participant à des différences de santé entre les femmes et les hommes, l’influence du genre (les rapports sociaux entre les sexes) est aussi un facteur d’inégalité dans l’accès aux soins et la prise en charge médicale des femmes.
Santé des femmes et travail, accès au soin, inégalités socio-économiques, endométrioses, violences sexuelles et sexistes, sont autant de sujets fondamentaux dans l’accès à la santé des femmes dont il a été fait état lors de cette audition.
« Les normes sociales et les stéréotypes liés au genre influent sur l’attitude des médecins et des malades »
D’après l’OMS, les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès chez les femmes. Elles le seraient même de façon exponentielle : « Depuis 15 ans, l’incidence de l’infarctus a augmenté de 25 % chez les femmes de moins de 50 ans » rapporte Catherine Vidal. Pendant longtemps, l’infarctus féminin a été attribué à une baisse d’œstrogènes et à la prise d’âge. C’est le rajeunissement des femmes victimes d’infarctus qui a orienté le corps médical à s’intéresser à d’autres théories explique l’auteure du rapport.
Parmi les pistes d’explications évoquées par les chercheurs, celle du biais dans les diagnostics des femmes et dans leur accès au soin : « L’infarctus est considéré comme une maladie masculine, d’homme stressé au travail dans la cinquantaine. Pour les mêmes symptômes de douleurs dans la poitrine, ceux des femmes ont 3 fois plus de chance d’être attribués à des raisons émotionnelles plutôt qu’à des troubles cardiaques ». On retient aussi un retard de prise en charge des femmes aux urgences par rapport aux hommes en cas de suspicion d’infarctus : « Les femmes minimisent les symptômes et tardent à appeler les urgences ». Pour Catherine Vidal ces faits, constatés dans de nombreux pays, « illustrent à quel point les normes sociales et les stéréotypes liés au genre influent les attitudes des médecins et des malades ».
Même constat lorsqu’il s’agit de détecter l’autisme chez les jeunes enfants : « il y a un retard au diagnostic chez les filles » accuse Catherine Vidal. « Aux États-Unis par exemple, 37 % des garçons sont détectés en bas âge contre 18 % des filles ». Là encore, on retrouve un rôle prépondérant de la norme sociale liée au genre : « Un jeune enfant qui présente des comportements de retrait sur soi, avec un défaut d’interaction sociale, chez une fille on va qualifier cette attitude de timidité ou de réserve, chez un garçon on va s’inquiéter d’un potentiel trouble de la communication ».
C’est bien là l’un des points cardinaux du rapport présenté par Gilles Lazimi et Catherine Vidal : en fonction des maladies « dites féminines ou masculines », les codes sociaux liés au genre influencent les malades dans l’expression des symptômes et le recours aux soins, mais également l’interprétation des signes cliniques chez les personnels soignants menant, le plus souvent, à des diagnostics tardifs.
Endométriose : « Il faut former les infirmières scolaires et la médecine du travail. Il faut faire un effort dans ce domaine-là. »
Environs 10 % des Françaises en âge de procréer sont touchées par l’endométriose en France, soit 1,5 à 2,5 millions de femmes. « C’est la première cause d’arrêt de travail pour les femmes en France » rappelle l’auteure du rapport.
Ce n’est pourtant qu’à partir des années 90 que l’endométriose a commencé à être reconnue par le corps médical comme pathologie à part entière. Grâce à la mobilisation de la société civile et des associations, l’endométriose sera exposée au grand public et des politiques de santé seront finalement prises pour les femmes touchées par cette maladie. En France, il a fallu attendre 2019 pour voir apparaître le premier plan national de lutte contre l’endométriose. En 2022 un second plan était lancé, reconnaissant l’endométriose comme une maladie longue durée.
« Ce n’est qu’en 2020 que l’endométriose a été intégrée au programme d’études médicales de second cycle. Voyez le temps de latence qu’il a fallu pour reconnaître cette maladie, la plainte des femmes sur cette maladie a été trop souvent occultée. » précise Catherine Vidal. Et comme le recommande le rapport du HCE, s’il est fondamental de soutenir la recherche sur cette maladie, c’est également sur la formation des soignants qu’il faut insister : « Il faut former les infirmières scolaires et la médecine du travail. Il faut faire un effort dans ce domaine-là ».
Pénibilité au travail : « Les critères de pénibilité ne sont pas adaptés aux femmes ! »
C’est un chiffre tristement connu que Catherine Vidal a rappelé au Sénat lors de son audition : en France 70 % des travailleurs pauvres sont des femmes. Cette précarité a pour effet d’entraîner « un renoncement aux soins, qui contribue à une dégradation de santé physique et mentale » a précisé l’auteure de rapport. Le manque de moyens dans les campagnes de prévention a également été pointé du doigt par Gilles Lazimi, co-président de la commission « Santé, droits sexuels et reproductifs », notamment envers les femmes les plus vulnérables : « Il ne faut pas d’égalité mais de l’équité, il faut faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin. Par exemple, les femmes migrantes ont moins de dépistages, elles sont également moins prises en charge face aux violences sexistes et sexuelles ».
Également, l’impact de la pénibilité du travail sur la santé des femmes ne serait pas suffisamment pris en compte par la médecine selon les deux membres du HCE. Par exemple, comme le précise Catherine Vidal, le travail de nuit augmenterait de 26 % les risques de cancer du sein. Les troubles musculo – squelettiques et risques psychosociaux seraient quant à eux plus fréquents chez les femmes, du fait de l’occupation plus importante de postes dits « peu qualifiés » par celles-ci.
Or, comme le rappelle Gilles Lazimi « Les critères de pénibilité ne sont pas adaptés aux femmes ! ». D’après le rapport de l’HCE, les critères de reconnaissance de la pénibilité au travail seraient fondés sur des critères principalement masculins. Il devient dès lors difficile pour les femmes de les faire reconnaître, notamment au regard de la charge domestique et familiale, cette double journée de travail que la majorité des femmes occupent.
Formation des soignants : « Notre profession est pétrie de stéréotypes »
Parmi les 40 recommandations formulées par l’HCE, la formation des soignants contre les violences et stéréotypes de genre en est un des axes essentiels. « Il faut vraiment qu’on s’assure que les formations soient faites à l’université et dans les centres de santé. Sur les sujets genre et santé, violence, ou inégalité : il n’y a que 3 jours par an de formation pour les professionnels de santé. Ce n’est pas suffisant. » déplore Gilles Lazimi.
« Notre profession est pétrie de stéréotypes. Lorsque j’interroge mes collègues, et que je leur demande s’ils soignent de la même façon les femmes et les hommes, mes collègues me disent « évidemment ! ». Mais je sais que c’est faux, ce rapport le prouve. Il faut déconstruire les stéréotypes de genre. » poursuit le médecin généraliste.
Pour permettre aux médecins de se former, ce sont de véritables politiques publiques et formations des soignants auxquelles le rapport du HCE appelle. « Il faut des démarches actives, il faut s’assurer que ça soit fait efficacement par des politiques publiques ». C’est également, selon celui qui est également Maître de conférences dans une faculté de médecine, dès les bancs de l’école qu’il faut lutter contre les stéréotypes sexistes et sexuels.
« Il a été annoncé que des cellules de lutte contre les violences sexistes et sexuelles seraient mises en place dans les universités. Aujourd’hui rien n’a été fait ». Pourtant, pour Gilles Lazimi c’est essentiel dans la formation des futurs médecins. Il s’explique : « près de 40 % des étudiants subissent du harcèlement moral, 18 % du harcèlement sexuel […] cela a forcément un impact sur la prise en charge des femmes et des femmes victimes de violence. »
Pour finir, la féminisation de la profession, notamment des postes à responsabilité, est l’une des clés de la sensibilisation de la profession sur le genre et la santé des femmes comme le précise Gilles Lazimi. Car si l’on observe une part plus importante de femmes aux postes de cadres, le plafond de verre est loin de s’être brisé : « Le nombre de postes de professeurs des universités-praticiens hospitaliers ou de chefs de service reste encore majoritairement masculin » relève Gilles Lazimi. En 2018 seules 33 % des directions générales de centres hospitaliers universitaires et des directions d’hôpitaux étaient occupées par des femmes.