« Difficile de rester optimiste quand même… C’est beaucoup à faire dans beaucoup de domaines ». La remarque vient de la sénatrice Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales, quelque peu sonnée ce mardi 8 juillet après la présentation du rapport « charges et produits 2025 » de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM). Un rendez-vous incontournable pour les membres de la commission, lors duquel l’Assurance maladie présente aux parlementaires les pistes possibles d’évolution des dépenses et recettes de la branche maladie. Cette année la marche s’annonce d’autant plus haute dans un contexte financier extrêmement tendu. Pour rappel : le gouvernement entend dégager 40 milliards d’euros d’économies sur la dépense publique en 2026, pour atteindre 4,6 % du PIB.
« De manière inquiétante, ce déficit ira en s’accroissant si l’on ne prend aucune mesure. À hauteur de 5 milliards d’euros par an, soit 25 milliards de plus à l’horizon 2030, ce qui nous amènerait à un déficit 2030 de 41 milliards d’euros, avec des dépenses qui vont nettement plus vite que les recettes », a expliqué Thomas Fatôme, le directeur général de la CNAM.
Cette dégradation financière s’explique par le double impact du vieillissement de la population et la hausse des maladies chroniques. « Nous remboursons un peu moins de 3 000 euros par assuré chaque année, mais cette moyenne ne dit pas grand-chose. Elle se distingue entre un peu plus de 1 200 euros pour un assuré qui n’est pas en affection longue durée, et presque 10 000 euros pour un assuré en affection longue durée. » La part des maladies chroniques dans les dépenses de santé s’élevait en 2023 à 37 %, elle pourrait atteindre 39,6 à 43 % en 2035, selon la méthodologie de projection retenue.
Renforcer la prévention sur certaines pathologies
Le rapport de la CNAM formule une soixantaine de propositions pour ralentir la courbe des dépenses. Premier pilier sur lequel elle souhaite s’appuyer : le développement de la prévention. « Si nous ne prenons pas, radicalement, le virage de la prévention, nous n’y arriverons pas », a alerté devant les élus Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de l’Assurance maladie. « L’accélération des pathologies chroniques est telle que nous avons besoin que, dans notre pays, les gens soient moins malades ou, s’ils le sont, qu’ils restent en meilleure santé. »
« La grippe a entraîné 3 millions de consultations cet hiver, quasiment 30 000 hospitalisations et 10 000 morts, avec, en face, des taux de vaccination très bas, à la fois chez les personnes éligibles et les soignants » pointe Marguerite Cazeneuve. Proposition non consensuelle : une vaccination obligatoire, avec plusieurs périmètres d’application, allant de la vaccination obligatoire en EHPAD à celle de tous les soignants.
Autre sujet : le manque de suivi sur l’hypertension artérielle. « 17 millions de personnes sont touchées par cette maladie silencieuse. On a seulement une personne sur deux qui est dépistée et une personne sur quatre qui est traitée », explique la directrice déléguée de l’Assurance maladie. Elle évoque également certaines défaillances dans les parcours de soins, pouvant conduire à une aggravation des états de santé. « 40 % des patients diabétiques n’ont pas de dépistage annuel de la maladie rénale chronique, alors qu’on sait qu’elle est à très haut risque chez les personnes diabétiques. »
Redéfinir le périmètre des taxes comportementales
La CNAM pointe également la baisse de rendement de la fiscalité dite « comportementale », c’est-à-dire la taxation des produits, principalement alimentaires, dont la consommation peut avoir un impact sur la santé en favorisant le développement de certaines pathologies. Sans toucher au rendement global de cette fiscalité, le rapport de l’Assurance maladie propose d’en redéfinir le périmètre. « On vous invite à réfléchir à la redéfinition des taux de TVA. Les taux entre 5 et 20 % sur les produits alimentaires incluent aussi bien la pizza ultra transformée que le brocoli. On a sans doute, à rendement constant, des choses intéressantes à faire sur la TVA »
Les affections longue durée
Alors que le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a évoqué début juin une possible « réévaluation » des conditions de prise en charge des dépenses liées aux affections de longue durée (ALD), Thomas Fatôme a tenu à redire que ce dispositif restait « l’un des piliers de l’Assurance maladie ». « On souhaite à tout prix le préserver, car il protège les assurés sur des restes à charge élevés », a-t-il martelé.
Néanmoins, la CNAM mise aussi sur des baisses de dépenses de ce côté-là. « Est-ce que l’on continue à prendre en charge à 100 % des cures thermales, est-ce que l’on continue à prendre en charge à 100 % des médicaments dont l’efficacité n’est pas pleinement démontrée ? », a-t-il interrogé, tout en insistant sur le fait qu’il n’était pas question d’aller vers un déremboursement complet. « On pourrait aller plus loin et travailler avec la Haute Autorité de Santé à une liste de soins spécifiques, opposables à chaque ALD, c’est un travail de longue haleine », a-t-il indiqué.
Parmi les autres options sur la table : la création d’un « un statut de risque chronique ». « C’est-à-dire identifier les situations d’hypertension artérielle, d’obésité, d’hypercholestérolémie qui permettraient d’agir en amont en déclenchant des obligations thérapeutiques, avec des bilans diététiques, des bilans sur l’activité physique pour retarder l’entrée en ALD. »
Un système de malus pour les entreprises avec un nombre important d’arrêts de travail
Autre sujet sensible évoqué au cours de cette audition : l’envolée des arrêts maladies. « Plus de 6 % en moyenne par an sur la période 2019-2023. Une augmentation significative. C’est plus d’un milliard de dépenses en arrêt de travail par an », rappelle Thomas Fatôme. Mais là encore, ce phénomène trouve pour partie des explications démographiques : « La population active augmente en même temps qu’elle vieillit. Le Smic augmente, et il y a une indexation des indemnités journalières. »
« 40 % de cette augmentation, en revanche, ne s’explique pas ». Le patron de la CNAM évoque des raisons multifactorielles, liées aux conditions de travail, mais aussi un possible recours à des arrêts injustifiés.
« Ne serait-il pas intéressant de réfléchir à un système de bonus-malus sur la tarification, sur les systèmes de prise en charge par les entreprises ? On voit, sur un même territoire de très fortes inégalités dans les taux d’absentéisme de courte durée », glisse-t-il. Une proposition qui a fait bondir la sénatrice LR Pascale Gruny : « Il faut arrêter de penser que l’entreprise, on peut tout lui prendre. Nous n’avons pas que des entreprises du CAC40, mais plutôt un maillage de TPE et de PME qui en ont assez d’êtres ponctionnées de cette manière », s’est-elle agacée.