Clap de fin d’une séquence budgétaire inhabituellement longue au Parlement. Après avoir mis un point final à l’examen du budget de l’Etat le 6 février, le Sénat a clos ce 17 février le débat parlementaire sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), le second texte budgétaire, qui faisait l’objet d’une nouvelle lecture. Les sénateurs ont adopté par 225 voix pour, 104 voix contre, le texte transmis par l’Assemblée nationale la semaine dernière, au terme d’un ultime 49.3. Sans modification apportée, c’est une adoption conforme, donc définitive. Restent à présent les traditionnelles vérifications par le Conseil constitutionnel, ultime étape avant la promulgation.
Avec près de deux mois de retard sur le calendrier habituel, une séquence budgétaire, qualifiée de « chaotique » par plusieurs sénateurs, s’achève. Entamés en octobre sous la conduite du gouvernement de Michel Barnier, après des premiers préparatifs sous le gouvernement de Gabriel Attal cet été, les textes ont subi de nouvelles retouches à partir de janvier sous l’égide du gouvernement Bayrou, pour éviter une deuxième censure. C’est sur le PLFSS, dans sa version sortie de la commission mixte paritaire, que son prédécesseur était tombé, le 4 décembre.
« Un texte qui a pour objectif de nous rassembler »
« Nous avons pris en compte les priorités exprimées pour proposer un texte, probablement imparfait — j’en ai conscience — mais un texte qui a pour objectif de nous réunir et de nous rassembler », a affirmé la ministre du Travail, de la Santé, des Solides et des Familles, Catherine Vautrin, en ouverture des débats.
« Il est indispensable d’adopter ce PLFSS, même imparfait », a pressé quant à lui le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller (LR). « Comme disait ma grand-mère, c’est mieux que si c’était pire. Mais en toute lucidité, nous ne pourrons pas considérer que ce PLFSS est assez satisfaisant », a également conclu le sénateur Olivier Henno (Union centriste).
Toutes branches confondues, pour ce qui est des régimes obligatoires, ce budget 2025 de la Sécu engage 666 milliards d’euros de dépenses, soit 3,7 % de plus par rapport à 2024. « Cet effort en faveur de notre protection sociale est loin d’être anodin, dans le contexte de nos finances publiques », a souligné la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin.
Première grande concession obtenue lors du dialogue entamé en janvier : l’enveloppe destinée aux dépenses de santé augmentera d’un milliard d’euros supplémentaires, par rapport à l’objectif tel qu’il figurait dans le texte cet automne. Sur un an, l’objectif de dépenses de l’Assurance maladie progresse de 3,4 %. Le gouvernement a également accepté de tripler les moyens du fonds d’urgence pour les Ehpad, réintroduit au Sénat, en le portant à 300 millions d’euros.
Philippe Mouiller (LR) appelle à « rediscuter très rapidement » d’une « contribution de solidarité » par le travail
Abandonnée automatiquement avec l’absence d’entrée en vigueur au 1er janvier, la revalorisation partielle des pensions de retraite fait partie de l’histoire ancienne. Le montant des retraites progresse de 2,2 % cette année. Compte tenu des signaux d’alerte sur l’économie, le gouvernement a également réduit l’économie attendue sur la refonte des allègements de cotisations patronales, à 1,6 milliard.
Le texte définitif est également délesté d’une mesure qui n’a pas convaincu au-delà de la majorité sénatoriale, qui en est à l’origine : l’instauration d’une « contribution de solidarité par le travail ». Il s’agissait de 7 heures de travail supplémentaires, non rétribuées, pour financer les dépenses croissantes liées au vieillissement de la population. « Le débat n’est pas encore totalement mûr. Nous ne reprendrons pas à ce stade cette disposition », a tranché Catherine Vautrin. Philippe Mouiller (LR) a appelé à « rediscuter très rapidement de ce point, avec notamment une négociation avec les partenaires sociaux ».
Lutte contre la fraude, recettes, taxe « lapin » : plusieurs modifications du Sénat entérinées
Le Sénat a cependant eu gain de cause sur de nombreux autres points. Du côté des recettes : la taxe sur les sodas et édulcorants a été renforcée, tout comme celle sur les jeux de hasard (400 millions d’euros pour l’ensemble de ces prélèvements). La contribution patronale sur les attributions d’actions gratuites a été rehaussée à un niveau en vigueur il y a quelques années, et rapportera près d’un demi-milliard d’euros supplémentaires. C’est l’une des rares victoires de la gauche sur le volet recettes du projet de loi.
Souvent retirée en fin de parcours, la fameuse taxe « lapin », pour « responsabiliser » les patients qui n’honorent pas leurs rendez-vous médicaux, fait cette fois-ci partie du texte définitif. Ses modalités devront faire l’objet d’un texte réglementaire. « Je souhaite que nous puissions aboutir rapidement sur ce dossier », s’est prononcée Catherine Vautrin.
Le texte intègre par ailleurs plusieurs dispositions de lutte contre la fraude : accélération dans le déploiement d’une application électronique pour sécuriser la carte Vitale, renforcement des contrôles des versements de pensions de retraite à l’étranger, ou encore interdiction de la délivrance d’arrêts maladie via des plateformes numériques. Le Sénat est aussi à l’origine d’un article qui incitera davantage les professionnels de santé à utiliser le dossier médical partagé, avec l’objectif de réduire les actes redondants.
Les sénateurs ont enfin à leur actif un étalement sur quatre ans, et non plus trois, de la hausse des cotisations employeurs à la CNRACL, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, et des personnels hospitaliers. Le nouveau taux a fait l’objet d’un décret en janvier. Autre mesure d’ordre réglementaire, et non législative : le gouvernement a abandonné tout relèvement du ticket modérateur, pour le remboursement des médicaments ou des consultations.
Le déficit prévu pour 2025 se creuse de plus de 6 milliards d’euros par rapport au texte initial
Les « bougés » de ces dernières semaines n’ont toutefois pas entièrement convaincu à gauche. « Les négociations menées par les socialistes ont permis d’adoucir la note pour les assurés, mais le résultat est largement insuffisant », a déploré la sénatrice (PS) Annie Le Houérou. Les trois groupes de la gauche de l’hémicycle regrettent en particulier l’absence de disposition nouvelle sur le front des recettes, pour améliorer le solde budgétaire. « Nos propositions ont été rejetées sèchement par le gouvernement. Aucune de nos priorités n’a été retenue ni même entendue », a regretté l’écologiste Anne Souyris.
« Oui, il faut un budget pour la Sécurité sociale, mais pas à n’importe quel prix. Pour nous, le budget Bayrou n’est pas plus acceptable que le budget Barnier. Cela demeure un très mauvais budget », a rétorqué la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly.
Conséquence des négociations ouvertes en janvier, en particulier avec les socialistes, mais aussi du retard pris dans l’adoption des mesures d’économie, le déficit de la Sécurité sociale s’est aggravé par rapport au texte tel qu’il était à la veille de la censure. Il est estimé à 22,1 milliards d’euros, soit près de 4 milliards de plus que dans la version modifiée fin novembre, et plus de 6 milliards par rapport au texte initial déposé par le gouvernement Barnier. Ce niveau n’a jamais été atteint hors période de crise, selon les ministres. Plus inquiétant encore, le trou de la Sécu devrait continuer à se creuser, pour dépasser les 24 milliards à l’horizon 2028.
« Il faut évidemment faire davantage pour réduire le déficit, mais cela ne pourra être fait que dans les textes à venir. Sinon, c’est une bombe à retardement pour les générations qui suivront », a averti la rapporteure générale Élisabeth Doineau (Union centriste). « L’essentiel reste à faire. »
« La politique du sparadrap ne peut plus perdurer », selon Corinne Imbert
Comme cet automne, la majorité sénatoriale a appelé à se pencher dans les mois à venir sur des réformes structurelles, en particulier dans le domaine de la santé, qui explique 60 % du déficit des comptes sociaux. « La politique du sparadrap ne peut plus perdurer », a fait savoir la rapporteur de la branche maladie, Corinne Imbert (apparentée au groupe LR).
De son côté, le gouvernement a donné rendez-vous aux parlementaires pour un travail de long cours sur les dépenses et le financement de la protection sociale, bousculés par le « virage démographique » de la population française, qu’il s’agisse des naissances ou du vieillissement. « Nous devons remettre à jour ce contrat social que la nation réalise avec elle-même », a résumé Amélie de Montchalin, appelant à mener une « approche transpartisane ». La commission des affaires sociales va également produire ses propres réflexions (relire notre article).
Oppositions de gauche comme groupes engagés dans le « socle commun » soutenant le gouvernement, ont par ailleurs convenu que la Sécurité sociale devait être pilotée selon une stratégie pluriannuelle. « Il faut avoir une vraie réflexion dans les mois à venir sur le financement de notre modèle social. Cette situation ne peut plus durer », a insisté le sénateur (Renaissance) Xavier Iacovelli. « Sans loi de programmation, une simple réflexion pluriannuelle n’est pas suffisante », a néanmoins averti la socialiste Annie Le Houérou, dénonçant la « vision court-termiste » du projet de loi adopté ce lundi.
Le débat se joue en parallèle entre les partenaires sociaux, chargés de trouver des pistes d’évolution pour le financement des retraites d’ici la fin du mois de mai. La Cour des comptes doit fournir des chiffres sur l’état du système ce mercredi. Le centriste Olivier Henno a d’ailleurs brandi une ligne rouge, si d’aventure le conclave ne devait pas aller dans le sens d’un retour à l’équilibre des comptes : « Nous n’accepterons pas une nouvelle fuite en avant, au nom d’un prétendu consensus. »