Comme pour le projet de loi d’approbation des comptes de l’Etat, débattu juste avant, le Sénat a rejeté ce 23 juin celui dédié aux comptes de la Sécurité sociale pour 2024, par 301 voix contre 20. Dans un cas comme dans l’autre, les députés s’étaient aussi prononcés début juin contre les deux textes comptables. Ce rejet définitif, symbolique avant tout, n’entraînera cependant aucune conséquence budgétaire.
Pour la commission des affaires sociales du Sénat, ce rejet du projet de loi d’approbation des comptes de la Sécurité sociale tient « essentiellement » en partie au refus de la Cour des comptes de certifier, pour la deuxième année consécutive, les comptes de la branche famille et de la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf).
Détérioration des indicateurs relatifs aux erreurs de versement dans les CAF
Les magistrats financiers ont en effet jugé qu’il leur était impossible de se prononcer sur ces comptes, en raison d’un taux important d’erreurs dans les versements des caisses. Sur les 24 derniers mois, on comptait 6,5 % de sommes payées à tort et 1,4 % de sommes dues mais non payées par la Cnaf. Ces indicateurs se sont même dégradés en l’espace d’un an. En 2023, ces indus représentaient 4,2 milliards d’euros, selon une estimation communiquée par la Cour des comptes.
« Ce n’est pas un simple accident comptable, c’est un signal d’alerte. Cela met en cause la fiabilité même de l’information budgétaire, sur laquelle nous sommes censés fonder notre vote. Comment valider un texte sans avoir la garantie que les chiffres qu’il contient sont sincères ? » s’est interrogé le sénateur (Union centriste) Olivier Henno, spécialisé sur cette thématique. En cas de progrès l’an prochain, le Sénat pourrait être amené à « reconsidérer sa position » à l’avenir sur son vote sur ce type de projet de loi, a précisé la rapporteure générale, Élisabeth Doineau (Union centriste).
« Inquiétante absence maîtrise des comptes sociaux »
Le projet de loi a surtout tiré le constat d’une forte dégradation des comptes sociaux dans leur ensemble en 2024, avec un déficit inquiétant de 15,3 milliards d’euros, contre 10,5 milliards prévus en loi de financement initiale. Un double mouvement était à l’œuvre : des dépenses plus élevées sous l’effet de l’inflation, et des recettes finalement beaucoup moins élevées qu’anticipé. Les dépenses ont été supérieures de 1,1 milliard d’euros aux prévisions, quand les recettes leur ont été inférieures de 3,7 milliards d’euros.
La tendance pour les prochaines années est jugée préoccupante sur de nombreux bancs au Sénat. Selon la commission des comptes de la Sécurité sociale, le déficit pourrait atteindre près de 25 milliards d’euros en 2029.
Alignée avec l’alerte émise par la Cour des comptes, Élisabeth Doineau a d’ailleurs souligné que les administrations de Sécurité sociale pourraient entrer dans une « zone de risque » en fin d’année concernant leurs besoins de financement. Cette potentielle crise de liquidité pourrait même être « critique » en 2027, en raison de l’accumulation des déficits à venir. « Les travaux de la commission des affaires sociales ont démontré une inquiétante absence de maîtrise des comptes sociaux », a soulevé la sénatrice LR Pascale Gruny.
Le gouvernement prépare des mesures de correction pour éviter une aggravation du déficit de l’Assurance maladie
L’essentiel du déficit actuel de la Sécu provient de l’Assurance maladie, c’est-à-dire 13,8 milliards sur 15,3 milliards. « La santé n’a pas de prix, mais comprenez bien qu’elle a un coût », a rappelé le ministre de la Santé Yannick Neuder. Les regards sont en ce moment tournés vers l’évolution constatée au premier semestre de l’année en cours.
La semaine dernière, le comité de suivi de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) a, pour la première depuis 2007, alerté sur un risque de dépassement important, de 1,3 milliard d’euros par rapport au montant inscrit dans la loi, après avoir constaté les dépenses dans la médecine libérale, à l’hôpital, ou encore dans le champ du médicament et des arrêts maladie. La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a qualifié de « très forte » l’augmentation des dépenses liées à ces indemnités journalières. En an, elles sont en progression de 7 %, en particulier chez les jeunes adultes.
La ministre s’est engagée à mettre en œuvre des « mesures de freinage », « en s’appuyant sur les propositions des caisses nationales », « pour sécuriser les économies prévues et redresser la trajectoire ». Le gouvernement en fera l’annonce ce mercredi, lors d’une audition de la commission des affaires sociales du Sénat. Yannick Neuder a par ailleurs indiqué que les risques d’une crise de liquidités, brandis par la Cour des comptes, étaient un « signal d’alerte qui ne peut plus être ignoré ». « Ce n’est pas un accident structurel, c’est le symptôme d’un modèle à bout de souffle qui demande une refondation. Sa soutenabilité est la condition de sa pérennité », a-t-il averti.
Les groupes de gauche dénoncent les politiques d’exonération de cotisations sociales
La gauche a attaqué le gouvernement sur le manque de moyens affectés à la Sécurité sociale, en particulier sous l’effet des allègements de cotisations patronales, ou encore du développement de modes de rémunération ne faisant pas l’objet de cotisations sociales. « Ce déficit est la résultante d’une politique d’appauvrissement des recettes », a fustigé le sénateur Bernard Jomier (Place publique), membre du groupe PS. La sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly a également dénoncé un « déficit organisé sciemment, en asséchant les caisses avec des exonérations ».
Ces allègements généraux de cotisations sont compensés par l’Etat à la Sécurité sociale via une fraction de TVA, mais celle-ci « s’avère régulièrement insuffisante », a pointé l’écologiste Raymonde Poncet Monge. La Cour des comptes estime le montant des sous-compensations depuis 2019 à la Sécurité sociale à plus de 18 milliards d’euros.
Amélie de Montchalin a, de son côté, « réfuté » le terme de « sous-compensation », en affirmant que l’Etat avait parfois « surcompensé » selon les années, en raison de rendements plus importants au niveau des rentrées de TVA. La ministre a appelé les parlementaires à ne pas se focaliser sur des « transferts comptables » mais à « s’intéresser au rythme de la dépense ».