Weekly Cabinet Meeting, Elysee Palace, Paris, France – 12 Jan 2024

« Mauvais signal » ou « message fort » : l’étendue du ministère de Catherine Vautrin surprend au Sénat

La Santé et le Travail, mais aussi les Solidarités seront fusionnés sous la houlette d’une même ministre, qui s’est fait connaître durant le dernier mandat de Jacques Chirac. L’évènement ne laisse personne indifférent au Sénat, et particulièrement au sein de la commission des affaires sociales, au premier chef concernée.
Guillaume Jacquot

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

C’est l’une des autres surprises du nouveau gouvernement. Chiraquienne, puis sarkozyste, Catherine Vautrin, 63 ans, intègre l’équipe de Gabriel Attal à la tête d’un super ministère fusionnant le travail, la santé et les solidarités. Une responsabilité étendue pour la présidente du grand Reims qui figure en troisième position dans l’ordre protocolaire, symbole de l’importance qu’a voulu lui donner l’Élysée. Pendant quelques heures en mai 2022, son nom avait tenu la corde pour la tête du gouvernement.

Au Sénat, la configuration de son portefeuille ministériel, qui croise la rue Ségur avec celle de la rue de Grenelle, suscite des réactions contrastées. « Il y avait un choix politique de dire qu’il y a une cohérence, un lien entre le travail, et tout ce qui concerne la partie sociale, l’autonomie et la santé », analyse Philippe Mouiller, président (LR) de la commission des affaires sociales du Sénat. Le champ de cette dernière se confond désormais avec l’ensemble des attributions de l’élue rémoise.

Pour Daniel Chasseing (Les Indépendants), qui siège avec de nombreux sénateurs Horizons, la nouvelle famille politique de Catherine Vautrin, cet assemblage est aussi logique. « C’est bien qu’il y ait une personne qui ait la main sur tous ces ministères. C’est complètement lié : les cotisations sociales, l’emploi, la santé… »

Il faut dire que ce n’est pas la première fois que de telles attributions sont regroupées sous l’autorité d’une personne. Xavier Bertrand était en charge à la fois du travail et de la santé à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Un autre signe que cette époque a infusé dans les fondations du gouvernement nouvellement installé.

« J’espère qu’elle sera engagée dans tous les domaines »

« On a fait un super ministère pour une personnalité politique qui a été mise en avant comme étant un futur pilier du gouvernement. C’est un message fort, mais c’est aussi source d’inquiétude, vu l’ampleur des tâches et le volume de travail de ces différents ministères », poursuit Philippe Mouiller, toujours en attente du reste du casting. « Je ne vous cache pas que je suis un peu surpris. On savait qu’il y avait volonté de faire un gouvernement ramassé. Là, on envoie le balancier un peu loin. J’espère qu’elle sera engagée dans tous les domaines », témoigne Christian Bruyen. Le sénateur (apparenté LR) de la Marne, a confiance en elle, pour l’avoir vue à l’œuvre dans le département. « Elle travaille énormément, elle a un grand sens de l’engagement public, un sens de l’État et une vraie capacité d’écoute. »

La composition totale du gouvernement n’est pas encore achevée. L’annonce de ministres délégués pour épauler Catherine Vautrin interviendra plus tard. Le nom d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, est évoqué dans différents médias pour le sujet spécifique de la santé.

Le pilotage de la santé « dégradé », selon Bernard Jomier

À gauche, le regroupement du travail, de la santé et des solidarités est perçu comme un mauvais signal. « Il n’y a plus de ministère de plein exercice pour la santé, alors que c’est le premier sujet de préoccupation des Français. Je pense qu’on va retourner à une vision de la santé, qui est une annexe des politiques publiques. En dégradant le pilotage, le gouvernement n’en fait pas une priorité. Tout ça n’est pas un très bon signal », considère Bernard Jomier, sénateur écologiste de Paris (apparenté PS) et médecin généraliste.

« Sans préjuger de sa compétence, ce sont des thèmes qui pris individuellement sont déjà très lourds. Ce cumul n’a pas de sens à mes yeux, ce n’est pas un bon signe », s’inquiète la socialiste Corinne Féret, déjà refroidie par le « virage à droite » désormais « nettement affiché ».

Au-delà de ses attributions, Catherine Vautrin n’inspire rien de bon sur les bancs de gauche, eu égard à son parcours politique. En 2013, cette députée avait voté contre le mariage pour tous. « L’année où on doit faire la proposition de loi sur la fin de vie, la constitutionnalisation de l’IVG, on a un profil conservateur sur le plan sociétal », redoute la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge. Lors de sa passation de pouvoir avec Agnès Firmin Le Bodo, Catherine Vautrin a voulu rassurer sur le point de l’IVG, en rendant « immédiatement » hommage à Simone Veil. Quant à l’autre grande réforme sensible sur la table, la ministre s’est contentée de dire, sans en dire davantage : « Je n’oublie pas ce grand sujet de la fin de vie. »

Une chose est sûre, les dossiers sont de taille pour l’ancienne parlementaire et ancienne ministre, qui a successivement été chargée des personnes âgées, de l’intégration ou encore de la cohésion sociale. Dans les dossiers chauds, la réforme de l’aide médicale d’État. Autres chantiers de long cours : un système de santé en grande souffrance, que ce soit à l’hôpital ou dans la médecine de ville, un objectif de plein emploi côté travail avec la problématique de l’activité des seniors, ou encore une protection sociale en mutation, avec une société vieillissante.

« Il y a beaucoup de points d’interrogation »

À ce titre, les sénateurs attendent avec impatience la feuille de la nouvelle ministre. Quid des engagements pris ces derniers mois par Élisabeth Borne et Aurore Bergé, comme la préparation d’une future loi de programmation sur le grand âge avant la fin 2024 ? « Est-ce qu’elle maintiendra ce travail ? Il y a beaucoup de points d’interrogation. Le sujet du grand âge est très attendu, il a été reporté à plusieurs reprises, et on ne vient rien venir en dehors de la proposition de loi sur le bien vieillir, qui n’est pas satisfaisante en elle seule », relève la socialiste Corinne Féret.

« Les solidarités sont un domaine extrêmement important. Il y a des fractures qui ne s’atténuent pas dans ce pays », tient à rappeler Christian Bruyen, le sénateur marnais qui n’a pas oublié son expérience de président du Conseil départemental. « Je compte sur elle pour être à l’écoute de départements, qui n’ont plus de marges de manœuvre. »

Quant à la santé, beaucoup forment le vœu au sein de la commission des affaires sociales que l’arrivée de Catherine Vautrin mettra un terme à une instabilité particulièrement criante rue de Ségur. Depuis mai 2022, elle est la cinquième personne à occuper ce poste, après Brigitte Bourguignon, François Braun, Aurélien Rousseau et le bref intérim d’Agnès Firmin Le Bodo. « Il faut une constance dans cette action. Je pense que le fait d’avoir un grand ministère et le fait d’avoir quelqu’un qui a de l’expérience, ça me paraît très important pour l’avenir », veut croire Daniel Chasseing.

Dans la même thématique