Amoxicilline – Penurie de medicaments

Pénurie de médicaments : quelles solutions émergent des différents rapports ? 

Depuis l’hiver 2022, les pénuries de médicaments se multiplient. La situation inquiète et a donné lieu à plusieurs rapports, dont un au Sénat, au cours de l’année 2023, afin de proposer des solutions. Dans le cas de l’Amoxicilline, qui est l’antibiotique le plus prescrit en France, le gouvernement vient de faire le choix de l’augmentation des prix, en contrepartie de laquelle les laboratoires s’engagent à fournir des stocks suffisants du médicament. Une solution qui est loin de faire consensus.
Ella Couet

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Le 3 septembre dernier, le ministre de la santé Aurélien Rousseau a annoncé sur LCI une augmentation de 10 % sur le prix de l’Amoxicilline, à compter du 1er octobre. En cause, une pénurie de cet antibiotique qui dure depuis fin 2022. Et l’Amoxicilline n’est pas le seul médicament en risque de rupture de stock. L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) a recensé plus de 3 700 déclarations de ruptures ou de risques de ruptures de stock au cours de l’année 2022. Les pénuries sont en hausse et concernent des médicaments de toutes classes thérapeutiques, des traitements anticancéreux aux médicaments antiépileptiques. D’après l’ANSM, 37 % des Français auraient déjà été confrontés à des pénuries de médicaments.

Pénuries de médicaments : les rapports se multiplient

Le sujet des pénuries de médicaments a légitimement inquiété, notamment à l’hiver 2022. Plusieurs travaux ont été lancés sur la question, pour en saisir les causes et y apporter des solutions.

Le 6 juillet dernier, c’est le Sénat qui a remis son rapport sur les pénuries, après six mois d’auditions dans le cadre d’une commission d’enquête. Il alerte sur des « dysfonctionnements graves » dans les chaînes d’approvisionnements mondiales des médicaments, pouvant être à l’origine de pénuries. Pour y remédier, les sénateurs membres de la commission d’enquête formulent plusieurs recommandations. Certaines d’entre elles sont ambitieuses : ils envisagent par exemple la hausse des prix des médicaments matures, mais sous conditions pour les laboratoires, ainsi que la conditionnalisation du versement du crédit d’impôt recherche et des autres aides publiques aux entreprises pharmaceutiques.

Dès sa sortie, ce rapport a immédiatement été décrié par les entreprises du médicament. Le Leem (organisation professionnelle des entreprises du médicament en France) a en effet dénoncé dans un communiqué un « procès en cynisme » à son égard, ciblant la rapporteure Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val-de-Marne. Mais elle n’en démord pas : « Les laboratoires qui font la pluie et le beau temps sur la politique du médicament, ce n’est pas dans l’intérêt des patients. Aujourd’hui, il y a un accès à la santé pour toutes et tous qui est remis en cause », affirme-t-elle à publicsenat.fr.

Mais le Sénat n’est pas le seul à s’être penché sur la problématique. En parallèle de la commission d’enquête sénatoriale, la Première ministre a commandé à un groupe de travail interministériel un rapport sur le sujet des pénuries de médicaments, en janvier 2023. Ce doublon avec la commission d’enquête du Sénat agace du côté du Palais du Luxembourg. Laurence Cohen déplore une Première ministre qui « ne tient pas compte du travail des parlementaires ». « Elle a lancé sa mission juste après le vote de la commission d’enquête par le Sénat, elle n’organise pas les conditions pour nous recevoir, ni pour faire en sorte que le travail du Sénat puisse nourrir la réflexion du gouvernement », regrette-t-elle.

C’est le 30 août dernier que la mission de régulation des produits de santé a remis son texte à Elisabeth Borne. Intitulé « Pour un ‘New Deal’garantissant un accès égal et durable des patients à tous les produits de santé », le rapport préconise, plutôt qu’un grand chamboulement, des « recalages ». Ainsi, il recommande entre autres « d’agir sur les volumes, la qualité et la pertinence des prescriptions et des choix thérapeutiques », ou encore de développer l’usage des médicaments génériques et biosimilaires. Ce rapport n’a pas été du goût de l’Union des Syndicats de Pharmaciens d‘Officine (USPO), qui ont dénoncé un rapport « rédigé par les industriels pour les industriels ». Laurence Cohen, elle, reste « dubitative sur les conclusions de ce rapport », car « il n’y a pas de remise en cause profonde de la politique du médicament. Or, c’est ce qu’il faudrait faire ».

La hausse des prix, une solution miracle ?

Mais alors, que faire ?

C’est quelques jours après la publication du rapport du groupe de travail interministériel que le gouvernement a proposé à treize industriels une augmentation temporaire de 10 % du prix de l’Amoxicilline. En contrepartie, les laboratoires doivent s’engager à produire 12,8 millions de boîtes sur la période hivernale. En cas d’échec, ils pourraient être contraints de rembourser le supplément perçu. Pour la présidente de la commission d’enquête sénatoriale sur les pénuries de médicament, Sonia de La Provôté, cette décision n’est « pas délirante » et répond à la préconisation du rapport d’augmenter le prix de certains médicaments dits matures. « On a beaucoup baissé le prix des médicaments matures au fil des années, explique-t-elle. Mais ce n’est pas parce qu’un médicament est ancien qu’il n’a pas un intérêt thérapeutique majeur. Les médicaments comme l’Amoxicilline sont très demandés par beaucoup de pays, donc il ne faut pas qu’on se mette en situation défavorable parce qu’on paie moins cher. »

Pour la rapporteure Laurence Cohen, en revanche, il s’agit plutôt d’une « fausse bonne idée ». Elle renvoie aux conclusions du rapport publié début juillet, qui montre que « les pénuries de médicaments sont multifactorielles » et rappelle que « dans des pays où les prix sont plus élevés comme en Suisse, il y a tout autant, voire plus, de pénuries ». Pour elle, le gouvernement a traité la crise créée par la pénurie dans le mauvais sens. « On commence par annoncer l’augmentation du prix avant d’être sûrs de pouvoir pérenniser la production, répondre à la demande », critique la sénatrice du Val-de-Marne. « On sait que les labos ont déjà bien rentabilisé leurs profits au travers de la vente de l’Amoxicilline. La hausse des prix est une mauvaise solution qui ne réglera absolument rien. Tant que le gouvernement répond aux desiderata des grands labos, on n’arrivera à rien ».

Satisfaire les laboratoires au détriment du porte-monnaie des Français, c’est ce que dénonce la sénatrice. En effet, ceux-ci devront payer 23 centimes supplémentaires de leur poche pour une boîte d’Amoxicilline à partir du 1er octobre. Pour Sonia de la Provôté, cependant, cette hausse est une mesure juste. « On a tellement tiré vers le bas le prix de certains médicaments, par exemple en délocalisant une grande partie de la production en Inde, qu’on en est arrivé à un prix inférieur au coût de fabrication. Mais derrière ce sont des hommes et des femmes qui travaillent, il faut prendre en compte le coût environnemental et social de la fabrication ».

Vers une relocalisation d’une partie des médicaments ?

La situation est complexe, les solutions sont donc multiples. L’une d’entre elles est préconisée non seulement par le gouvernement, mais aussi par le Sénat, c’est la relocalisation d’une partie de la production de médicaments en France et en Europe. Pour Sonia de la Provôté, « la hausse des prix est seulement un des éléments, ça nous permet de nous remettre à niveau par rapport à nos voisins européens. Mais c’est un ‘deal’ au sens économique, c’est-à-dire que c’est ‘donnant-donnant’et qu’il faut en parallèle reconstituer l’outil productif en France et en Europe ». Cela permettrait, selon elle, de « sortir de cette situation de dépendance ». Les annonces faites par Emmanuel Macron en 2020 concernant la relocalisation de la production de paracétamol suivent la même direction, même si la mise en œuvre s’avère plus longue que prévue.

Les sénatrices à la tête de la commission d’enquête évoquent également une meilleure information quant à l’état des stocks de médicaments. « Il faut mettre en place une liste des médicaments essentiels, qui en cas de crise entraîne une obligation de production et de stocks. Dès les premiers signes d’action, on doit pouvoir suivre un protocole d’action qui déclenche des actions en chaîne », rappelle Sonia de la Provôté. Laurence Cohen, elle, en appelle à une conditionnalité des aides publiques envers les entreprises pharmaceutiques, ou encore au recours à des dispositifs comme la licence d’office, qui permet à l’Etat d’obtenir la licence d’un médicament pour l’exploiter en cas de besoin, ou encore la réquisition des laboratoires en cas de pénurie.
Le sujet est loin d’être clos, à quelques mois de l’hiver et de la reprise des épidémies saisonnières.

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