Pénuries de médicaments : les cabinets de conseil démentent avoir conseillé des délocalisations

Des représentants des principaux cabinets de conseil du domaine de la santé étaient auditionnés par la commission d’enquête sur les pénuries de médicaments, ce mercredi au Sénat. Ils affirment ne jamais avoir conseillé à des grands groupes industriels de délocaliser leurs activités pour des raisons de coûts, et ont soulevé des questions sur les prix des médicaments les plus matures.
Louis Mollier-Sabet

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« Est-ce que vous avez conseillé à des entreprises de délocaliser telle ou telle activité de production ? » La question de Laurence Cohen, rapporteure de la commission d’enquête sur les pénuries de médicaments, était simple. Difficile pourtant, pour la sénatrice communiste et Sonia de la Provôté, présidente centriste de la commission d’enquête, d’obtenir plus d’éléments qu’une simple réponse négative.

Les cabinets assurent ne jamais avoir conseillé de délocalisations à leurs clients

Des représentants des cabinets AEC Partners, Bain & Company, Boston Consulting Group (BCG), McKinsey et Roland Berger étaient auditionnés sous serment, et sur ce point, tous ont invariablement fourni la même réponse : leurs cabinets de conseils n’ont jamais produit de travaux incitant des groupes français à délocaliser leur production à l’étranger. Jean-François Lopez, Managing Partner à AEC Partner, a par exemple renvoyé aux décisions des maisons-mères : « La question industrielle ce n’est pas le cœur de notre activité. Parfois on essaie de faire valoir les atouts d’un territoire auprès d’une maison-mère, après le rationnel de la décision de la maison mère peut nous échapper… Pour avoir essayé de défendre des implantations, ou des extensions de site en France, je peux vous dire que la France n’a pas une aura positive sur le sujet fiscal. »

Loïc Plantevin, associé de Bain & Company et directeur du pôle Santé en Europe, a lui aussi assuré que son cabinet « n’avait pas travaillé sur des problématiques de délocalisation de sites industriels en France sur les cinq dernières années », avant de préciser que son cabinet avait en revanche pu travailler sur de la « spécialisation de sites » pour « répondre à des besoins d’efficience. » Du côté de BCG ou de McKinsey, même réponse : les cabinets n’ont pas accompagné de décisions de délocalisations. « Cela doit être un effet connexe », s’amuse Sonia de la Provôté, qui a semblé relativement insatisfaite des réponses fournies, tout comme la rapporteure communiste Laurence Cohen : « Je suis un peu dubitative, on peut jouer au chat et à la souris […], mais il ne me semble pas aberrant de penser que la notion de fiscalité joue un rôle [dans ces décisions]. »

Sanofi : « Nous avons travaillé à la mise en œuvre d’un PSE en 2019, mais je ne pourrais pas vous dire ce que l’on a fait précisément »

Un peu plus tard au cours de l’audition, la sénatrice communiste revient à la charge, en interrogeant plus spécifiquement les cabinets BCG et McKinsey à propos de leur travail sur un « PSE » (plan de sauvegarde de l’emploi) de Sanofi : « Au niveau des décisions stratégiques de Sanofi, BCG a travaillé sur un PSE et sur la rationalisation du nombre de produits distribués par le groupe. Il y a un lien direct avec les pénuries de médicaments : à partir du moment où vos conseils entraînent des suspensions de postes et donc un affaiblissement de la production, vous comprendrez bien qu’il y a une incidence sur les pénuries. Sur la période 2015-2019, c’est McKinsey qui a pris la relève sur ce PSE. »

« Effectivement nous avons travaillé à la mise en œuvre d’un PSE en 2019, mais je ne pourrais pas vous dire ce que l’on a fait précisément », a répondu Olivier Wierzba, Managing Director du bureau de Paris du BCG, en promettant de transmettre des détails par écrit à la commission d’enquête ultérieurement. De même, Thomas London, directeur des pôles Santé et Secteur Public du bureau français de McKinsey a dit ne pas avoir d’éléments sur le travail de McKinsey sur ce PSE, et a renvoyé à une transmission « d’éléments complémentaires par écrit. »

Prix des médicaments : « Est-ce que ça peut engendrer des pénuries ? Je le pense, oui »

Un autre élément a été abordé avec les cabinets de conseil : la fixation des prix. Sur cette question qui revient audition après audition de la commission d’enquête, certains cabinets présents ont pu témoigner de leur rôle dans certaines négociations de prix. Depuis le début des travaux de la commission d’enquête, la régulation des prix a en effet été pointée par les laboratoires comme un risque pour l’approvisionnement de certains médicaments « matures », alors que d’autres acteurs, comme la Caisse nationale d’Assurance Maladie, ont relativisé l’impact des prix pratiqués en France sur la capacité du pays à s’approvisionner sur certaines molécules.

Jean-François Lopez, Managing Partner à AEC Partner, a ainsi expliqué conseiller des entreprises sur les négociations de prix auprès du Comité économique des produits de santé (CEPS) depuis 25 ans. « Quand des clients viennent nous voir pour savoir quel est l’horizon des prix qu’ils pourraient escompter en France, on les aide à comprendre qu’ils ne vont pas obtenir ce qu’ils pensaient obtenir au départ », raconte-t-il. « Est-ce que ça peut engendrer des pénuries ? Je le pense, oui. J’ai deux exemples récents en tête, notamment d’un médicament où la proposition du comité est en dessous du prix de revient industriel. La question de lancer un produit qui vous coûte de l’argent à chaque boîte que vous allez vendre, elle est un peu compliquée, et on est sur un coût de traitement à 5000 euros par an. »

La question qui émerge est celle des critères dont dispose le CEPS pour fournir des propositions de prix, qui sont d’ordre législatif, qui ne prennent pas assez en compte la rentabilité industrielle, argumentent les industriels du secteur. Nul doute que ce point sera l’une des recommandations les plus attendues du rapport de la commission d’enquête.

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