C’est l’autre projet de loi qui va cheminer aux côtés des deux textes budgétaires. Réclamé en particulier par les Républicains comme l’une des conditions de leur maintien au gouvernement, le projet de loi de lutte contre les fraudes sociales et fiscales a commencé son parcours parlementaire au Sénat ce 5 novembre. Il traduit les engagements pris ces derniers mois par Catherine Vautrin, alors en charge du Travail et des Affaires sociales, et d’Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, de renforcer les outils des différentes administrations pour intensifier la lutte contre les fraudes.
Le texte réintègre certaines dispositions, censurées l’an dernier par le Conseil constitutionnel car elles ne relevaient pas d’une loi de financement. Le gouvernement les a étendues, avec l’objectif de mieux prévenir et détecter les fraudes, mieux lutter et sanctionner, mais aussi mieux recouvrir les sommes indûment perçues. Le gouvernement espère que ce texte va contribuer à améliorer les comptes sociaux de 1,5 milliard d’euros.
Le projet de loi prévoit notamment de meilleurs échanges de données entre des services, en particulier des informations fiscales et douanières, l’obligation pour les entreprises de transport sanitaire d’équiper leurs véhicules d’un dispositif de géolocalisation pour lutter contre les surfacturations. Ou encore l’obligation de verser les indemnités chômage sur des comptes bancaires domiciliés en France ou dans l’espace unique de paiement en euros de l’Union européenne.
Les sénateurs, qui l’examinaient en commission des affaires sociales ce jeudi, la commission saisie au fond, ont donné un premier feu vert au texte gouvernemental, tout en l’amplifiant. Les amendements adoptés renforcent ainsi les pouvoirs de contrôle et de détection, durcissent les sanctions et améliorent la récupération des montants détournés. La commission de l’aménagement du territoire, et celles des finances, ont également travaillé sur le texte, sur les articles les concernant.
L’accès à certaines bases de données étendues à des services départementaux
« La première chose qui nous a animés, c’est qu’on ne pouvait pas mettre les administrations de l’État dans une injonction paradoxale, de recouvrer la fraude sans leur donner les moyens techniques de le faire. On ne pouvait pas les priver d’avoir les outils ad hoc », expose Frédérique Puissat, co-rapporteure (LR) du projet de loi. La sénatrice de l’Isère revendique également une copie qui s’attaque à toutes les catégories de fraude. « On y va sur tous les publics. La fraude d’un médecin, c’est une fraude. La fraude d’un centre de formation, c’est une fraude. La fraude d’un allocataire du RSA, c’est une fraude. Aucune administration n’a été épargnée. »
Les rapporteurs sont par exemple allés au-delà des dispositions initiales du projet de loi en matière de partage d’informations. Le texte initial prévoyait le droit d’accès aux organismes de sécurité sociale à des bases de données patrimoniales, en particulier l’Assurance maladie. Les sénateurs ont étendu cet accès à des agents habilités des maisons départementales des personnes handicapées, ainsi qu’à ceux de la Caisse nationale des allocations familiales.
L’amendement prévoit aussi de fournir un accès direct au fichier des comptes bancaires aux agents des services départementaux qui gèrent l’instruction du revenu de solidarité active (RSA). « On a tout ouvert, on ne s’est rien privé à la matière. On a été extrêmement respectueux de l’encadrement des personnes qui y auront accès et du respect du contradictoire », insiste Frédérique Puissat.
À noter que le texte de la commission prévoit de revoir les conditions du cumul entre la perception du RSA et des revenus liés à un statut d’auto-entrepreneur. La dérogation à la recherche d’un emploi sera supprimée pour les personnes dans cette situation au bout de deux ans. Les rapporteurs motivent leur décision par le fait que « les bénéficiaires concernés peuvent être tentés de maintenir durablement une activité limitée pour bénéficier du RSA ».
De nouveaux outils conférés à France Travail pour lutter contre la fraude
L’un des marqueurs de l’examen en commission concerne le renforcement des outils à la main des agents de France Travail, pour lutter contre la fraude. Rappelons le versement d’une indemnisation d’assurance chômage se fait sous condition d’une résidence en France, c’est-à-dire au minimum six mois. Les personnes habilitées de France Travail pourront ainsi vérifier le fichier des compagnies aériennes (PNR), obtenir auprès des opérateurs de téléphonie des relevés de communication, interroger le registre des Français établis hors de France, ou encore traiter les données de connexion à l’espace personnel, pour vérifier si la condition de résidence n’est pas enfreinte. L’amendement permet par ailleurs au directeur général de France Travail de suspendre à titre conservatoire le versement d’une allocation en cas d’indices sérieux de fraude.
Suspension du tiers payant pour les Français sanctionnés pour fraude
D’autres dispositions, introduites par la majorité sénatoriale, vont dans le sens de sanctions plus « dissuasives ». La commission a voté en faveur d’une suspension du bénéfice du tiers payant pour les assurés sanctionnés pour fraude, proposition portée par la Sécurité sociale. Ces derniers devront donc avancer des frais directement, avant le remboursement par l’Assurance maladie. Toujours en matière de santé, le texte amendé prévoit de dérembourser les prescriptions émises par des professionnels de santé qui auraient été déconventionnés pour manquement à leurs engagements avec l’Assurance maladie.
Initialement, le projet de loi prévoyait d’interdire le cumul des indemnités chômage avec des revenus issus d’une activité illicite comme le trafic de drogue. Les sénateurs ont étendu cette fermeté à l’ensemble des aides et prestations sociales versées sous condition de ressources. Les revenus illicites devront être pris en compte dans le calcul des aides par chaque organisme.
Des sanctions nettement renforcées
Sur divers sujets, les sanctions contre la fraude ont également été nettement durcies. Un amendement a par exemple considérablement relevé le plafond annuel de l’amende administrative, qui sanctionne une plateforme qui ne respecterait pas son devoir de vigilance vis-à-vis des exploitants de VTC avec lesquels elle contractualise : le plafond a été multiplié par 20, pour être porté à 3 millions d’euros. Les peines maximales pour l’exercice illégal des professions de transport public particulier de personnes sont triplées, passant à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
Un autre amendement, présenté par les écologistes, a également été adopté pour augmenter les sanctions contre la fraude au travail dissimulé. Le nouvel article augmente de 10 points les majorations de taux de cotisation des employeurs dans cette illégalité.
Les débats sur la lutte contre les fraudes, qui se tiendront en séance les 12 et 13 novembre (avec un scrutin sur l’ensemble du texte le 18). Mais des amendements sur les textes budgétaires pourraient aussi prolonger l’exercice. « On aura la question des moyens humains. Il y a de moins en moins de contrôleurs du travail », s’inquiète Frédérique Puissat, qui pointe aussi les suppressions de postes à France Travail.