Il paraît que la santé commence dans l’assiette. C’est, en tout cas, ce qui a conduit une quarantaine de chercheurs internationaux à appeler les pouvoirs publics à prendre des mesures sanitaires relatives aux aliments ultra transformés (AUT), dans la revue The Lancet mi-novembre. Un appel fort, mais visiblement pas suffisant, pour empêcher le gouvernement de supprimer la mention visant à les limiter dans la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC), publiée aujourd’hui, d’après des informations de la cellule d’investigation de Radio France.
Ces produits sont obtenus grâce à des processus physico-chimiques qui modifient leur texture, leur goût et leur conservation. Ils contiennent des additifs qu’on ne retrouve pas en cuisine traditionnelle, et qui peuvent être difficiles à déceler pour ceux qui les ingèrent. Les experts de The Lancet ont identifié les conséquences délétères de leur consommation, et la liste est longue. Entre autres : l’obésité, le diabète et la dépression. En 2023, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, signée par l’ex-sénatrice socialiste Angèle Préville, lançait déjà un signal d’alerte : « Le déséquilibre de l’alimentation est l’une des premières causes de l’épidémie de maladies chroniques constatées en France ».
« La marque des priorités et des faiblesses de l’exécutif »
La SNANC a pour objectif d’établir les lignes directrices d’un modèle alimentaire plus sain et durable, elle est issue de la Convention citoyenne sur le climat et de la loi Climat et résilience de 2021. Renforcer la souveraineté agricole de la France et respecter les engagements en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, figurent aussi parmi les aspirations de ce document officiel. Attendue depuis juillet 2023, sa publication n’a eu de cesse d’être repoussée, d’abord mise à mal par la chute du gouvernement de François Bayrou, puis par la bataille à laquelle se sont livrés les ministères en charge du dossier, à savoir : Santé, Agriculture et Transition écologique. Résultat de ce bras de fer : la formule « limiter les produits ultra-transformés » a été effacée, alors qu’elle figurait dans la version adoptée par l’exécutif en septembre, en vertu des recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), révèle Radio France.
« Malheureusement, je ne suis pas surpris », soupire le sénateur Place Publique Bernard Jomier, « c’est la marque des priorités et des faiblesses de l’exécutif ». La SNANC a aussi vu la « réduction » de la consommation de viande et de charcuterie, être remplacée par une « limitation », non chiffrée, « alors que, là aussi, les scientifiques sont d’accord sur le fait qu’il faut diminuer l’alimentation carnée », rapporte l’élu. Ce médecin de profession rappelle la suppression du projet de budget de la sécurité sociale (PLFSS) d’une taxe, insérée à l’Assemblée nationale, visant les entreprises qui n’apposent pas le Nutri-Score sur leurs denrées alimentaires, la semaine dernière par la Chambre haute : « J’ai vu un débat où la ministre de la Santé n’a pas été capable de soutenir un outil de santé publique qui fait pourtant consensus dans le monde scientifique ». L’amendement souhaitant instaurer une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits destinés aux enfants de moins de trois ans a, quant à lui, été adopté, « mais contre l’avis du gouvernement », signale le sénateur, « c’est grave de ne pas porter ce genre de mesures ».
Le poids des filières agro-industrielles
Ces produits ultra-transformés sont tout de même mentionnés à la toute fin du rapport, la SNANC indiquant que des travaux de recherche seront menés pour en établir une « définition opérationnelle ». « C’est parce que l’Anses [ndlr : Agence nationale de sécurité sanitaire] a sorti en janvier 2025 un rapport qui indique que la problématique ne peut pas être traitée comme ça, car il n’existe pas à ce stade de définition réglementaire ni scientifique », nuance la sénatrice centriste Anne-Catherine Loisier. « Dans ce cadre, on ne peut pas dire aux gens de diminuer leur consommation de ces produits, dans la mesure où on n’est pas en capacité de leur dire ce que c’est vraiment », poursuit l’élue de la Côte-d’Or.
Mais, selon Radio France, ce rétropédalage dans la SNANC proviendrait d’une demande du ministère de l’Agriculture, sous pressions de lobbies. « C’est évident », pour Bernard Jomier : « C’est un système agro-industriel qui vit d’un certain mode d’alimentation, de la transformation des aliments et d’une consommation de calories grasses et sucrées qui coûtent peu cher à produire et rapportent beaucoup, alors que les protéines végétales coûtent plus cher. Ce système en place ne se soucie absolument pas des intérêts de santé publique ».
Le sénateur de Paris se remémore des débats houleux sur la loi Duplomb : « Qui veut qu’on rétablisse l’acétamipride ? Ce sont les betteraviers. Et qui produit le sucre des produits pour bébés ? Les betteraviers. C’est la même logique pour l’alimentation ultra-transformée. Les intérêts de ces filières ne veulent rien changer, quelles que soient les conséquences. Et on ne peut que constater que le poids de l’industrie agro-alimentaire est majeur, sur un gouvernement très faible ». Bernard Jomier tire la sonnette d’alarme : « On ne prend pas le virage de la prévention et on le paiera cher en termes de pathologies, et de coût pour notre système de Sécurité sociale ».