Le débat parlementaire sur le budget de la Sécurité sociale n’a pas encore repris, mais le gouvernement prépare déjà l’échéance. L’une de ses pistes concerne les complémentaires santé, qui pourraient être mises à contribution, en raison de leurs récents choix tarifaires.
Petit rappel des épisodes précédents. Cet automne, le gouvernement de Michel Barnier prévoyait de relever le ticket modérateur, c’est-à-dire la part du coût d’une consultation médicale ou d’un achat de médicament qui n’est pas pris en charge par la Sécurité sociale. S’agissant des rendez-vous médicaux, le projet du précédent gouvernement était de relever la part remboursée par les mutuelles, les assureurs santé et autres instituts de prévoyance à de 30 à 40 %. Le ministère des Comptes publics estimait que la mesure devait soulager de 1,1 milliard d’euros lu budget de l’Assurance maladie.
Des hausses de cotisations de 6 % en moyenne pour l’année 2025
À quelques heures de la motion de censure début décembre, Michel Barnier avait fait marche arrière pour la baisse du remboursement des médicaments. Pas sur le ticket modérateur sur les consultations. Dans sa déclaration de politique générale ce mardi, François Bayrou a tourné la page de ces mesures. « La mesure de déremboursement de certains médicaments et consultations ne sera pas reprise », s’est engagé le chef du gouvernement devant les parlementaires.
Les mutuelles ont toutefois déjà fixé en novembre l’évolution du niveau des cotisations de leurs adhérents pour 2025. En décembre, la Mutualité française indiquait que les cotisations allaient augmenter en moyenne de 6 %. Cette fédération nationale avait justifié cette évolution par la « poursuite de la hausse des dépenses de santé en France ». Elle avait notamment mentionné la revalorisation des professionnels de santé ou encore « l’accélération des dépenses remboursées par les complémentaires santé ces dernières années ».
La piste du relèvement temporaire d’une taxe assise sur les cotisations
Le gouvernement ne compte pas en rester là. « Les mutuelles ont déjà augmenté et l’État leur demande la restitution de cette somme […] Est-ce qu’on peut laisser les mutuelles augmenter d’une somme qui n’a pas à être compensée puisque nous ne déremboursons strictement rien ? », a fait savoir la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, mardi sur BFMTV.
Selon Le Parisien, le gouvernement mettrait donc les complémentaires à contribution, à travers une augmentation temporaire de la taxe de solidarité additionnelle (TSA), qui est assise sur les cotisations. « La proposition du ministre peut paraître recevable et justifiée », accueille la sénatrice Corinne Imbert (apparentée LR).
Les sommes récoltées pourraient correspondre aux transferts de charges vers ces organismes qui étaient envisagés à l’automne, même si le ministère de la Santé avait atténué l’effort en novembre. De quoi ramener au moins un milliard d’euros dans les caisses de la Sécurité sociale.
Reste à savoir si la disposition pourra avoir sa place dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui va reprendre son parcours au Parlement dans une nouvelle lecture, avec des possibilités de modifications restreintes. « La règle de l’entonnoir va s’appliquer », note la rapporteure de la branche maladie de la Sécu. Lorsque le parcours législatif dépasse le stade de la commission mixte paritaire, les amendements doivent être directement liés aux dispositions inscrites dans le projet de loi en question.
Des contributions déjà instaurées durant la crise sanitaire
Cette contribution ne serait pas une première pour les complémentaires santé. Celles-ci ont déjà dû mettre la main à la poche à deux reprises durant la pandémie, sur les années 2022 et 2023. Gouvernement et parlementaires justifiaient cette contribution, qui avait rapporté 1,5 milliard d’euros en cumulé sur ces deux exercices, par la baisse de certaines consultations et opérations programmées durant le covid-19, donc de moindres dépenses prises en charge par les complémentaires.
Une question désormais se pose : si la contribution est mise en place, les assurés verront-ils un retour des cotisations, relevées par précaution en fin d’année dernière ? Ce n’est pas la direction que semble prendre l’exécutif. Les sommes récupérées iront « à l’État ce qui permettra de contribuer au financement du système de santé », a déclaré Catherine Vautrin sur BFMTV, mardi.
Sollicitée, la Mutualité française indique ne pas avoir plus d’informations à ce stade que les informations révélées par le quotidien. « Nos appels à cotisation se font en novembre, on anticipe les risques, le fait que les dépenses de santé augmentent, mais aussi par rapport aux dispositions du PLFSS. De plus en plus, il y a un désengagement au profit des mutuelles », nous indique-t-on à la fédération du secteur. La Mutualité française souligne également la dernière étude de la DREES, publiée en décembre. « Malgré une forte hausse des cotisations », les complémentaires étaient « en déficit sur leur activité santé en 2023 », indique la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.
Les complémentaires ont aussi la possibilité de corriger le tir elles-mêmes. « Elles ont la possibilité de réajuster les cotisations en fin d’année. S’il y a un réajustement à envisager, il se fera », nous répond-on à la Mutualité française.
Appels à une politique de prévention pour la santé
Face à cet énième jeu de transferts, l’économiste de la Santé Frédéric Bizard estime que le moment est venu est venu de réformer en profondeur les relations entre l’Assurance maladie et les complémentaires. « Je comprends cette rustine, taxer ce qui a été taxé aux assurés. Ce n’est pas la première augmentation injustifiée. Est-ce que ça règle quelque chose sur le fond ? Non. »
Ce professeur d’économie associé à l’ESCP Europe, et expert sur la protection sociale, appelle notamment à poser la question de l’utilisation des réserves des organismes complémentaires, évaluées à plus de 80 milliards d’euros. « Je suis plutôt pour qu’il y ait une utilisation productive d’une partie de ces réserves pour en faire un vrai opérateur de la prévention, plutôt que cette espèce de jeu de bonneteau. »
Au Sénat également, une partie importante de la commission des affaires sociales pousse tous les acteurs du financement de la santé à mettre la vitesse supérieure dans les politiques de prévention, à l’heure où l’Assurance maladie multiplie les déficits inquiétants. « Il est vrai que les relations ne sont pas au beau fixe entre l’État et les complémentaires. Il faudrait que tout le monde se mette autour de la table. Or on a intérêt à le faire, car aujourd’hui tout le monde y va de son action de prévention, il n’y a pas de lisibilité, personne ne se parle », regrette la sénatrice Corinne Imbert. Pour le moment, Matignon tout comme les parlementaires doivent déjà passer la haie budgétaire, l’urgence du moment.