Conséquence directe d’une motion de censure qui ferait tomber le gouvernement, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale est plus que jamais menacé. La rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, Elisabeth Doineau (Union centriste), rappelle l’importante de voter une disposition permettant à la Sécu de pouvoir emprunter.
Télémédecine : le Sénat vote son encadrement et veut l’exclure des supermarchés
Par François Vignal
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Certains l’ont découverte ou pratiquée pendant la crise du covid-19, la téléconsultation se développe. C’est pour cette raison que le gouvernement souhaite l’encadrer, par l’intermédiaire du budget de la Sécu. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), les sénateurs ont adopté ce jeudi la mesure, après l’avoir en partie modifiée, et non sans débat sur le risque « consumériste » de la téléconsultation en médecine.
« La téléconsultation est un enjeu majeur pour notre système de santé de demain. Ça a été largement démontré par la crise covid. Elle n’est pas faite pour remplacer les médecins, mais pour proposer des nouveaux parcours de soin. C’est un outil, mais ça ne reste qu’un outil. […] Ce n’est pas un médecin de substitution », a défendu le ministre de la Santé, François Braun. Il a souligné qu’« en cas de manquement avéré, le ministre peut à tout moment retirer l’agrément de la société » de téléconsultation. Il est aussi prévu que la Haute autorité de santé établisse un référentiel de bonnes pratiques professionnelles applicable aux sociétés de téléconsultation.
« Soumettre les cabines de téléconsultation à une autorisation de l’agence régionale de santé tenant compte de leur localisation »
Pour la commission des affaires sociales du Sénat, cet encadrement est bienvenu. Elle soutient la volonté du gouvernement d’apporter un cadre juridique à cette activité en expansion rapide. Lors de la séance, les sénateurs se sont penchés sur les lieux d’implantation des « télécabines » de consultation, un point sensible, au regard de certaines « dérives » constatées. Les sénateurs ont ainsi adopté un amendement de la rapporteure LR Corinne Imbert pour renforcer le contrôle de cette implantation.
« Alors que l’implantation de cabines de téléconsultation se fait de manière désordonnée et parfois dans des conditions ou des lieux qui ne sont pas appropriés à un outil de soins, la commission souhaite mieux l’encadrer. Le présent amendement vise à soumettre les cabines de téléconsultation à une autorisation de l’agence régionale de santé tenant compte de leur localisation », a soutenu la sénatrice LR. Concrètement, il s’agit de mettre fin aux implantations de télécabines en supermarché. Seules les installations ayant reçu l’autorisation, comme celle localisées dans une structure d’exercice coordonné, pourraient proposer des soins pris en charge.
Les sénateurs ont aussi adopté un autre amendement de Corinne Imbert pour « éviter les abus en plafonnant le nombre de consultations sur une période », définie en journée ou semaine, « et en inscrivant le principe de l’alternance avec un nombre limite de téléconsultations entre deux rendez-vous de consultations classiques ». Pour les personnes en situation de handicap, le Sénat a aussi prévu des critères d’accessibilité des téléconsultations.
« La téléconsultation peut relever un peu de la science-fiction, d’un mode déshumanisé »
Plusieurs sénateurs ont tenu à alerter sur ce qui peut constituer une dérive, en matière de santé. « On voit fleurir, jusque dans les supermarchés, des cabines offrant des consultations optiques par exemple, sans qu’un praticien soit présent. Tout peut se faire de manière virtuelle par un chat bot. L’amendement adopté était indispensable », salue la sénatrice PCF Laurence Cohen, « car si la téléconsultation peut être une réponse dans l’accès aux soins et à la désertification médicale, cela peut relever aussi un peu de la science-fiction, d’un mode déshumanisé, jusque dans la santé ».
Au nom de son groupe, la sénatrice PS Emilienne Poumirol a mis en garde sur les conséquences de la téléconsultation. Même si elle peut « faciliter l’accès aux soins », la sénatrice « en appelle à notre vigilance collective face à ce qui est une dérive marchande et une ubérisation de notre offre de santé ». Regardez :
« Le recours à la télémédecine doit être encadré, et de manière stricte. Il ne peut être accepté qu’un médecin prenne en charge un patient sans possibilité de procéder à un examen clinique chaque fois que cela est souhaitable, sans ancrage territorial, […] sans se préoccuper de son parcours de soins ou apporté une garantie sur la continuité de soin ». Elle ajoute :
La consultation paraît comme un bien consommable que le patient peut acquérir sur le Net. Nous avons vu où mène cette dérive marchande avec ORPEA.
« Eviter les abus ou des orientations à visées commerciales »
La centriste Jocelyne Guidez a elle carrément proposé, en vain, de supprimer tout l’article qui propose « l’éligibilité des sociétés commerciales de téléconsultation au remboursement par l’assurance-maladie, via un système d’agrément », arguant que « la consultation se situe dans un champ trop peu encadré » et « se situe dans une perspective consumériste assumée ».
« Les actes de téléconsultation doivent être réalisés dans les structures médicales ou un lieu neutre sans connotation commerciale, afin de permettre un meilleur encadrement de cette pratique pour éviter les abus ou des orientations à visées commerciales », a dénoncé également la sénatrice LR de Seine-Saint-Denis, Annie Delmont-Koropoulis, qui a défendu un amendement signé par plusieurs de ses collègues de droite (voir début de la première vidéo). Et d’ajouter : « Nous nous faisons complices d’une marchandisation d’une pseudo-médecine ». « Bien sûr qu’il faut encadrer l’implantation des cabines de téléconsultation. Elles n’ont pas leur place dans un supermarché », a confirmé, et insisté Corinne Imbert, dans sa réponse à sa collègue LR (voir fin de la première vidéo). Si ni le gouvernement, ni la majorité sénatoriale ne veulent interdire la pratique, une volonté commune s’exprime pour éviter toute dérive, dont les premières victimes seraient les patients.