Un rapport du Sénat dénonce un « faux départ » de la politique du handicap dans les Outre-mer

Malgré un nombre plus important de personnes en situation de handicap dans les territoires ultra-marins que dans l’Hexagone, leur prise en charge est insuffisante. Les trois rapporteurs de la mission d’information sur le handicap dans les Outre-mer, Audrey Bélim, Akli Mellouli et Annick Pétrus, formulent 16 recommandations pour y remédier.
Camille Gasnier

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« Après un faux départ, un rattrapage est amorcé ». 20 ans après l’adoption de la loi Handicap du 11 février 2005, ses dispositions restent inégalement appliquées dans les départements ultramarins. C’est ce que constate la délégation sénatoriale aux Outre-mer dans un rapport rendu public aujourd’hui. « La rareté des études sur sa mise en œuvre dans les Outre-mer révèle une prise de conscience récente et de retards malgré les grands principes réaffirmés. », souligne Micheline Jacques, présidente de la délégation aux Outre-mer du Sénat.

« Les enfants en situation de handicap sont proportionnellement plus nombreux » dans les départements d’Outre-mer

Mené par Audrey Bélim, Akli Mellouli et Annick Petrus, ce rapport établit un pourcentage de personnes en situation de handicap plus important que dans l’Hexagone. Près de 8 % des jeunes de 15 à 24 ans sont concernés dans les départements et régions d’Outre-mer, contre 5 % en France hexagonale. Les chiffres s’élèvent à 12 % contre 10 % dans l’Hexagone pour les personnes de 25 à 64 ans. En outre, la présidente de la délégation sénatoriale aux Outre-mer rappelle que « les enfants en situation de handicap sont proportionnellement plus nombreux dans ces départements », avec des distinctions entre les différents territoires : Alors que près de 4 % des enfants âgés de 5 à 14 ans sont en situation de handicap, cela concerne 5 % d’entre eux en Guyane, 6 % en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion. Mayotte se caractérise par « des taux particulièrement élevés ». 21 % des enfants de 5 à 14 sont en situation de handicap, tandis que 18 % des plus jeunes enfants « souffrent de limitations cognitives ». Micheline Jacques considère que « ce chiffre à lui seul mérite d’engager un travail précis de vérification ».

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer ces taux considérables : l’alcoolisation fœtale, dont le taux est 10 fois supérieur à celui de l’Hexagone, une exposition à des polluants, comme le mercure, la pauvreté, le mal logement et la faiblesse de la détection précoce, en raison « du tabou culturel, religieux ou traditionnel que représente le handicap dans certains territoires ».

« L’accessibilité est un point noir »

Pourtant, les habitants des territoires ultramarins en situation de handicap ne bénéficient pas d’un accompagnement réellement adapté à leurs besoins. En premier lieu, « l’accessibilité est un point noir », assure Akli Mellouli, sénateur écologiste du Val-de-Marne. Que ce soit au niveau de l’offre de transports qui reste insuffisante, « voire absente », un manque d’infrastructures appropriées et l’insularité, leur déplacement n’est pas facilité. Par ailleurs, les individus en situation de handicap bénéficient d’une offre médico-légale déficiente. Le rapport dénonce « un déficit global massif en matière d’offre médico-sociale avec des disparités territoriales importantes, voire une absence totale de services dans certains territoires comme Saint-Martin ou Saint-Barthélemy, jusqu’il y a deux ans ». L’accès à la culture, aux loisirs, aux sports et aux études reste relativement faible. Akli Mellouli pointe que « le développement de l’handisport et du sport adapté reste freiné par un déficit de moyens et par un manque de structures adaptées et accessibles ». Une situation injuste que déplore le sénateur écologiste du Val-de-Marne : « Les personnes en situation de handicap ont aussi besoin d’une vie sociale ».

16 recommandations pour une meilleure prise en compte du handicap dans les territoires ultramarins

Dans le but de se rapprocher des objectifs fixés par la loi du 11 février 2005, le rapport formule plusieurs recommandations. Tout d’abord, les sénateurs proposent « d’assurer une représentation des Outre-mer au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées », considérant que « les enjeux propres aux Outre-mer ne sont pas assez visibles ». Par ailleurs, si le plan 50 000 solutions permet de simplifier l’accompagnement des personnes en situation de handicap, les sénateurs souhaitent le compléter « par un plan handicap Outre-mer de rattrapage à 10 ans, en particulier pour la Guyane, Mayotte, Saint-Barthélemy et Saint-Martin et en direction des jeunes adultes ». Ils préconisent également de « planifier la politique du handicap territoire par territoire, sur la base de données fiabilisée et mises à jour, pour bâtir des parcours cohérents ». En effet, la présidente de la délégation aux Outre-mer observe que « les données disponibles sur la question souffrent d’imprécision et leur fiabilité questionne ». Cette absence de données « complique l’élaboration d’une planification et participe à une invisibilisation des besoins spécifiques ».

Assurer un meilleur diagnostic

Les rapporteurs envisagent d’inclure des orthophonistes et des paramédicaux au sein des établissements scolaires : « Compte tenu du manque de personnels, il est impossible de voir tous les enfants concernés hors période scolaire », révèle Micheline Jacques. Dans la même perspective, ils proposent de prioriser les Outre-mer dans la mise en place du dispositif de repérage, de diagnostic et d’intervention précoce.

Quelle suite pour ce rapport ? Il sera remis à Manuel Valls, ministre des Outre-mer et Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’Autonomie et du Handicap « en espérant qu’ils en fassent bon usage », souligne Micheline Jacques. Akli Mellouli annonce que « cela pourrait faire l’objet de discussions lors du prochain projet loi de finances en ce qui concerne les allocations ou d’amendements dans la proposition de loi d’actualisation des droits des Outre-mer » : « Nous avons plusieurs véhicules législatifs ».

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