Clinique Saint Jean

« Un secteur en détresse » : les cliniques privées appellent à la grève contre la faiblesse des revalorisations des tarifs

La Fédération de l'hospitalisation privée annonce un large mouvement de débrayage sur plusieurs jours en juin, et « reconductible ». Les cliniques ne comprennent pas le traitement différencié avec l’hôpital public, concernant l’évolution des remboursements par la Sécurité sociale.
Guillaume Jacquot

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La fièvre monte dans les cliniques privées. Mécontentes de la faible revalorisation de leurs tarifs arrêtée au printemps par le gouvernement, leurs représentants appellent à « suspendre totalement » leurs activités du 3 au 5 juin. Le mouvement se prolongera dans les services d’urgence jusqu’au 9 juin, c’est-à-dire le jour des élections européennes. Le mouvement pourrait même être reconductible. L’exécutif va donc faire face à un nouveau conflit social d’ampleur, les cliniques et hôpitaux privés accueillant chaque année 9 millions de patients, soit 35 % de l’activité hospitalière du pays.

La Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) est vent debout contre cette inéquité dans la répartition de l’enveloppe dédiée aux établissements de santé, dans les remboursements de séjours hospitaliers par l’Assurance maladie. Le ministre de la Santé prévoit une progression de 0,3 % pour la part revenant au privé et de 4,3 % pour celle des hôpitaux publics.

« 50 % de mes collègues sont en déficit »

« Quand on prône l’équité et la coopération, ce ne sont pas les meilleurs indicateurs pour pouvoir continuer à travailler tous ensemble. Cela nous a mis dans une colère noire. Avec l’inflation, je ne vois pas comment on va boucler nos comptes d’exploitation », déplore Lamine Gharbi, le président de la FHP. En mars, l’inflation en rythme annuel s’est stabilisée à 2,3 % selon l’Insee. C’est trois fois moins qu’il y a un an, mais la revalorisation des tarifs reste bien inférieure à la progression générale des prix. L’an dernier, le public avait bénéficié d’une revalorisation de l’enveloppe de 7,5 % et le privé de 5 %.

Pour la FHP, la faiblesse de la revalorisation des actes intervient dans un moment difficile pour plusieurs cliniques, confrontées à une dégradation de leurs marges. « 50 % de mes collègues sont en déficit. La branche hospitalière privée, qui a un budget de 18 milliards d’euros annuels a un déficit de 800 millions d’euros. On est un secteur en détresse », insiste Lamine Gharbi. Durant l’été dernier, elles étaient 30 % à être dans le rouge. La FHP demande une augmentation de 500 millions d’euros de l’enveloppe budgétaire allouée aux établissements privés, pour pouvoir bénéficier d’une hausse équivalente à l’hôpital public.

Sans quoi, la FHP met en garde contre le risque de voir des établissements déficitaires mettre la clé sous la porte, en particulier dans les activités les moins rentables, comme certains services d’urgence et surtout les services obstétriques. « Et dans les territoires isolés, cela peut être des services de proximité. Ce sera une paupérisation dans l’accès aux soins », prévient Lamine Gharbi.

« Sur le plan économique, c’est une absurdité », selon le spécialiste Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, professeur à l’ESCP et président de l’Institut Santé, s’étonne également de la différence de traitement entre public et privé. « Sur le plan économique, rien ne justifie une telle discrimination, c’est une absurdité. Il est évident que cela va mettre en difficulté un secteur qui a des marges faibles, avec un résultat net de l’ordre de 1 % », pointe ce spécialiste de l’économie de la santé. « Cela montre qu’il y a une partie du parc qui est extrêmement fragile. Et aller au bout de la décision va réduire l’offre du privé, et surtout son champ d’activité, il se concentrera sur les activités les plus rentables. »

Le gouvernement affirme, quant à lui, qu’il « n’y pas d’ostracisme vis-à-vis du privé » et que le partage a été « équitable ». Frédéric Valletoux, le ministre de la Santé, justifie la différence entre les deux secteurs par les revalorisations de salaire de l’été dernier, décidées pour les personnels de l’hôpital public qui travaillent la nuit, qui représentent près d’un milliard d’euros. « Nos salariés en sont exclus, le ministre sait-il que nous avons aussi des infirmières qui travaillent la nuit », demande Lamine Gharbi. Selon le gouvernement, les cliniques ont reçu 450 millions d’euros depuis 2022 en guise de compensation à l’inflation, et le ministère de la Santé affirme que ces dernières ont été accompagnées à hauteur de 3,5 milliards d’euros depuis 2019 pour les revalorisations salariales.

Le gouvernement met en évidence la « forte dynamique » du secteur privé

Le ministre de la Santé met par ailleurs en évidence la « forte dynamique » qu’a connu le secteur privé ces dernières années, et qui explique, selon lui, « que ses tarifs augmentent moins vite ». « La régulation des tarifs dépend aussi des volumes d’activité », justifiait-il le 26 mars dans les colonnes des Échos. Selon lui, les pourcentages « ne sont pas décidés selon le bon vouloir du gouvernement » mais selon des « critères précis » : « On entre les données dans le shaker et cela donne un résultat quasi automatique », détaillait-il au Figaro le 22 avril. Les propos ont été très mal vécus auprès des cliniques. « Les Français seraient contents d’apprendre que l’accès aux soins est donné à un shaker. J’en conclus que la force centrifuge a dû nous faire disparaître du shaker puisqu’on n’a pas de revalorisation », s’étonne Lamine Gharbi. L’économiste Frédéric Bizard préconise à l’avenir de « mettre un système sur des bases scientifiques et démocratiques ». « Il n’est pas normal d’avoir une espèce de boîte noire ».

Cette croissance du nombre de patients dans le privé, souligné par le gouvernement, est le fruit de la dette de soins causée par la pandémie. On estime à environ trois millions et demi le nombre de séjours dans les hôpitaux qui n’ont pas été rattrapés sur la période 2019-2023. « On a traité 400 000 patients de plus que ce qui était alloué comme budget [entre 2021 et 2023, ndlr] et on nous le reproche. On fait du volume que l’hôpital public n’est pas en mesure de faire. Il est en tension et n’arrive déjà pas à retrouver son activité au niveau de 2019 », pointe Lamine Gharbi.

« Cette décision ne changera rien quasiment rien pour les établissements publics »

Le patron de la FHP, à la tête d’un groupe indépendant régional en région Occitanie, y voit une « folie idéologique » de la part de Frédéric Valletoux, connu pour avoir tenu les rênes de la Fédération hospitalière de France de 2011 à 2022. « En filigrane, il y a la volonté non dite du gouvernement de fermer des cliniques pour que l’hôpital puisse retrouver de l’activité ». Pour l’économiste Frédéric Bizard, qui en fait la même lecture, ce calcul est hautement risqué. « Cette sanction dans l’espoir d’améliorer le sort de l’hôpital public est un non-sens. Cette décision ne changera rien quasiment rien pour les établissements publics », certifie Frédéric Bizard. « Le sujet, c’est quel modèle de la santé voulons-nous. Le secteur privé ne va pas mourir, mais il va devoir sortir d’un système que l’on veut accessible à tous, et trouver de nouveaux financements, privés. »

En l’absence de sortie de crise, le mouvement de grève pourrait être très large. « 70 % des établissements sont détenus par six groupes nationaux. Ils sont tous mobilisés », comptabilise le président de la FHP, qui s’attend au global à 90 % de suivi. « On va montrer qu’on est essentiels. »

Ce matin, le gouvernement a répété son « attachement » à un système de santé reposant sur deux jambes, le public et le privé. « La porte est grande ouverte et nous dialoguons », a précisé sur Europe 1 la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin.

Le mouvement des cliniques a ceci de massif qu’il est appuyé par la médecine libérale. Cinq des six syndicats représentants ont décidé de soutenir l’initiative des établissements privés. Non seulement les négociations entre l’Assurance maladie et les médecins sont en mauvaise posture, les spécialistes réclament par exemple de meilleurs revalorisations de leurs actes. Nombre de médecins libéraux sont également concernés au premier chef puisqu’une partie de leur activité repose sur les cliniques. « Il y a 50 % de cliniques dans le rouge, certaines vont passer en liquidation. On va perdre notre outil de travail, c’est inadmissible », nous expliquait au début du mois Sophie Bauer, la présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML). « Ce mouvement n’aura de force que s’il conserve l’appui des médecins libéraux. Attention à l’effet de contagion, le gouvernement joue avec des allumettes », observe l’économiste Frédéric Bizard. À l’approche des Jeux olympique, l’ouverture d’un nouveau front social serait malvenue dans une période habituellement sous tension pour le système de santé.

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