Urgences

Urgences débordées : « Des patients sont soignés tardivement, certains ont des séquelles et d’autres en meurent »

Comme l’été dernier, plusieurs services d’urgences ferment totalement ou partiellement dans les hôpitaux. Le ministre de la Santé assure que « l’hôpital fera face », mais les sénateurs de la commission d’enquête sur l’hôpital alertent sur le risque pour les patients de ne pas être soignés. Ils demandent aussi une réforme du financement de la sécurité sociale.
Stephane Duguet

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L’été agit comme un révélateur de la profondeur des crises que traverse l’hôpital public. Les récits de services d’urgences fermés partiellement ou totalement se multiplient partout en France alors que la canicule touche sévèrement 56 départements et que l’épidémie de covid repart à la hausse.

« On ferme de plus en plus de structures, mais je ne peux pas vous donner de chiffres précis, c’est très aléatoire », confie Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France. Le ministre de la Santé Aurélien Rousseau, nommé il y a un mois, a détaillé sur France Inter samedi que « Sur 380 services d’urgences, 5 sont fermés complètement et une quarantaine sont amenés à fermer partiellement, notamment dans la nuit ».

Si Aurélien Rousseau « ne dirait pas que la situation est pire que l’an dernier […] parce qu’on anticipe mieux », Patrick Pelloux se veut moins rassurant. « Cet été, c’est du jamais vu. Des services d’urgence ferment du jour au lendemain ! » Malgré cette situation, le ministre de la Santé a affirmé sur franceinfo que « l’hôpital fera face ». « C’est difficilement tenable cette répétition d’éléments de communication sur le thème de l’hôpital fait face. Les ministres de la Santé doivent dire la vérité : des lits ferment, des services ferment et tout ça a des conséquences sur les patients », fustige Bernard Jomier, sénateur de Paris, apparenté socialiste et président de la commission d’enquête sénatoriale sur « La situation de l’hôpital et le système de santé en France ».

Surmortalité faute de prise en charge

Ce qui inquiète le sénateur, médecin de profession, c’est que des « patients sont soignés tardivement, certains ont des séquelles et d’autres en meurent ». Le syndicat Samu Urgences de France avait dénombré entre décembre 2022 et janvier 2023, le décès de 150 personnes dû à un défaut de prise en charge. Une donnée partielle puisqu’elle se base sur les remontées des médecins. Une étude présentée au Congrès des urgentistes de France en juin et révélée par France Inter fournit un éclairage sur le sujet. Une personne qui passe la nuit aux urgences en attendant sur un brancard a un risque de mourir 46 % plus élevé que si elle avait été sur un lit d’hospitalisation classique.

L’été 2023 est un témoignage supplémentaire des failles de l’hôpital public. « Tout cela n’est pas nouveau ! Je constate qu’encore un semestre vient de s’écouler et que rien de structurant n’a été décidé », déplore le sénateur de Paris. Florence Lassarade, sénatrice Les Républicains (LR) de Gironde rappelle de son côté la détresse causée par la fermeture des urgences de Sainte-Foy-la-Grande dans son département, pendant un mois cet été. Elle a aussi participé aux travaux de la commission d’enquête sur l’hôpital public et s’inquiète notamment du manque de médecins généralistes en ville et en zone rurale : « Les gens sont moins bien soignés, donc il y a une dégradation de la santé et cela cause par exemple des infarctus ou des cancers plus tardivement découverts. Moins il y aura de généralistes, plus il y aura de passages aux urgences ». La pédiatre demande une meilleure rémunération des médecins pour les inciter à recevoir les patients pour des petites urgences au lieu qu’ils se rendent à l’hôpital.

 

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Redonner de l’attractivité

Si des services d’urgences ferment totalement ou partiellement, c’est notamment à cause du manque de personnel. « Est-ce qu’il faut réquisitionner ? Je ne pense pas, les médecins sont déjà à bout », avance Florence Lassarade. Le manque d’attractivité de la profession avait été souligné par le rapport de la commission d’enquête sénatoriale. Parmi les solutions avancées, Bernard Jomier avait déposé une proposition de loi pour instaurer un ratio patient/soignant : « Les sénateurs ont voté pour, mais le gouvernement refuse toujours de donner suite. »

Les élus de la chambre haute évoquaient plus largement dans les conclusions de la commission d’enquête sur l’hôpital la qualité de vie au travail des professionnels de santé. « La dimension humaine du métier suppose qu’ils aient plus de temps avec les patients. Ça veut dire un peu moins de rentabilité des actes et renforcer les effectifs », développe Sonia de la Provôté, sénatrice centriste, elle aussi membre de la commission d’enquête et médecin du travail. « On ferme toujours des lits au rythme des départs de personnels et le nombre de professionnels par lit ne bouge pas. Ils sont même inférieurs aux pays qui nous entourent », abonde Bernard Jomier.

Réformer le financement de la sécurité sociale

Dans leurs recommandations, les sénateurs de la commission d’enquête demandaient également que le financement de l’hôpital soit révisé. « Cette année encore on va avoir un objectif national de dépenses de l’assurance maladie (Ondam) augmenté d’à peu près 3 % alors qu’on va vers une inflation à 5 %… On se restreint tous les ans », explique Bernard Jomier.

En septembre, le gouvernement va présenter son projet de loi de financement pour la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Le parlement vote à l’occasion de l’examen du texte financier, l’Ondam. « Le modèle de l’Ondam et du PLFSS doit être retravaillé à l’aune de nos besoins et pas des moyens de la sécurité sociale, estime Sonia de la Provôté. Est-ce que c’est un budget pour mener une politique de santé et soigner les gens ou seulement pour boucher le trou de la sécu ? », interroge la sénatrice centriste du Calvados.

Elle demande même à ce que le PLFSS et l’Ondam soient intégrés « dans une programmation pluriannuelle qui déborde largement des lignes budgétaires de la sécurité sociale ». Mais Sonia de la Provôté ne se fait guère d’illusion puisque la tendance n’est pas vraiment à l’explosion des dépenses. « Les considérations budgétaires sont importantes, mais ça ne doit pas être le seul critère », soutient celle qui est par ailleurs présidente de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments.

En attendant un nouveau budget pour l’hôpital, les patients qui veulent se rendre aux urgences sont pris en charge sur les parkings des hôpitaux dans plusieurs villes comme Marseille ou Arcachon. « Emmanuel Macron a promis que les urgences seront désengorgées d’ici fin 2024… et cet été, les gens sont triés sur des parkings ! C’est sûr que si on ferme les urgences, elles seront désengorgées », ironise amèrement Bernard Jomier.

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