Il n’aura fallu que quelques mois après l’élection de François Mitterrand pour que la peine de mort soit abolie. Mais si son passage à l’Assemblée nationale largement acquise à l’abolition n’est qu’une formalité, son examen au Sénat est à l’époque redouté par l’ancien garde des Sceaux : « A l’Assemblée le contrat était fait. On savait tous, qu’avec une majorité de gauche ce serait l’abolition. C’était un exercice intéressant, important, émouvant tout ce qu’on veut… mais le résultat était connu d’avance ! Pas au Sénat. Et je dois dire que c’est au Sénat que s’est jouée la partie décisive ».
Une course contre la montre
Une partie décisive et une course contre la montre pour Robert Badinter : « Mitterrand avait demandé une session extraordinaire de 15 jours pour faire passer le texte, et évidemment je savais que si le texte n’était pas voté dans les mêmes termes que l’Assemblée, allait commencer une navette qui durerait les mois suivants, et je ne pouvais pas imaginer être le garde des Sceaux d’une justice qui tuait. »
Je ne pouvais pas imaginer être le garde des Sceaux d’une justice qui tuait.
Les vieilles moustaches des sénateurs
Rétrospectivement, les yeux rieurs, l’ancien ministre de la justice se souvient des mauvais augures qui l’avaient alerté à l’époque sur l’opposition supposée des sénateurs : « On m’avait dit « ce sont des vieilles moustaches » ils vont vous promener, vous êtes un novice. Ils vont peut-être vous voter l’abolition, mais ça sera tellement conditionné que vous serez contraint de faire des navettes et le texte ne sera pas voté avant le printemps. »
Contraint de lever des obstacles pour faire adopter son texte à la haute Assemblée, Robert Badinter va user d’une autre stratégie que celle qui a été la sienne à l’Assemblée : « Premièrement je me suis dit pas de discours flamboyant comme à l’Assemblée, deuxièmement la ligne directrice qui peut conduire au succès c’est l’Europe. Nous étions le dernier Etat — ndlr : à pratiquer la peine de mort en Europe — ce qui était une honte, et cela paralysait la justice pénale : il suffisait qu’un meurtrier en France passe la frontière, et s’il était arrêté et on ne l’extradait pas pour un pays où l’on l’exécuterait. »
Les délices du parlementarisme
Au Sénat, ajoute-t-il : « j’ai retrouvé les délices du débat parlementaire […] là c’était uniquement le talent, la qualité de l’argumentation et les convictions variables des différents groupes qui pouvaient décider. Ce n’était pas monolithique comme à l’Assemblée. J’ai vu des choses étonnantes, j’ai vu à la buvette des sénateurs communistes qui se retrouvaient avec des sénateurs de la droite. Je sentais que se faisaient des alliances étonnantes et jusqu’au bout ça a été incertain. Au bout de trois jours de débat le texte a été adopté le 30 septembre 1981, il était très exactement 12 h 25. »