23645998906_ac516a3d8d_b

Abolition de la peine de mort : pour Robert Badinter « c’est au Sénat que s’est jouée la partie décisive »

Il y a 40 ans la peine de mort était abolie en France. Interrogé par Rebecca Fitoussi pour l’émission un monde en docs, Robert Badinter a accepté de revenir sur le parcours législatif du texte, et sur les obstacles qu’il a fallu dépasser pour faire adopter la mesure. Si à l’Assemblée nationale l’adoption ne faisait aucun doute, il en était tout autrement au Sénat. Récit.
Public Sénat

Temps de lecture :

3 min

Publié le

Mis à jour le

Il n’aura fallu que quelques mois après l’élection de François Mitterrand pour que la peine de mort soit abolie. Mais si son passage à l’Assemblée nationale largement acquise à l’abolition n’est qu’une formalité, son examen au Sénat est à l’époque redouté par l’ancien garde des Sceaux : « A l’Assemblée le contrat était fait. On savait tous, qu’avec une majorité de gauche ce serait l’abolition. C’était un exercice intéressant, important, émouvant tout ce qu’on veut… mais le résultat était connu d’avance ! Pas au Sénat. Et je dois dire que c’est au Sénat que s’est jouée la partie décisive ».

Une course contre la montre

Une partie décisive et une course contre la montre pour Robert Badinter : « Mitterrand avait demandé une session extraordinaire de 15 jours pour faire passer le texte, et évidemment je savais que si le texte n’était pas voté dans les mêmes termes que l’Assemblée, allait commencer une navette qui durerait les mois suivants, et je ne pouvais pas imaginer être le garde des Sceaux d’une justice qui tuait. »

Je ne pouvais pas imaginer être le garde des Sceaux d’une justice qui tuait.

Les vieilles moustaches des sénateurs

Rétrospectivement, les yeux rieurs, l’ancien ministre de la justice se souvient des mauvais augures qui l’avaient alerté à l’époque sur l’opposition supposée des sénateurs : « On m’avait dit « ce sont des vieilles moustaches » ils vont vous promener, vous êtes un novice. Ils vont peut-être vous voter l’abolition, mais ça sera tellement conditionné que vous serez contraint de faire des navettes et le texte ne sera pas voté avant le printemps. »Contraint de lever des obstacles pour faire adopter son texte à la haute Assemblée, Robert Badinter va user d’une autre stratégie que celle qui a été la sienne à l’Assemblée : « Premièrement je me suis dit pas de discours flamboyant comme à l’Assemblée, deuxièmement la ligne directrice qui peut conduire au succès c’est l’Europe. Nous étions le dernier Etat — ndlr : à pratiquer la peine de mort en Europe — ce qui était une honte, et cela paralysait la justice pénale : il suffisait qu’un meurtrier en France passe la frontière, et s’il était arrêté et on ne l’extradait pas pour un pays où l’on l’exécuterait. »

Les délices du parlementarisme

Au Sénat, ajoute-t-il : « j’ai retrouvé les délices du débat parlementaire […] là c’était uniquement le talent, la qualité de l’argumentation et les convictions variables des différents groupes qui pouvaient décider. Ce n’était pas monolithique comme à l’Assemblée. J’ai vu des choses étonnantes, j’ai vu à la buvette des sénateurs communistes qui se retrouvaient avec des sénateurs de la droite. Je sentais que se faisaient des alliances étonnantes et jusqu’au bout ça a été incertain. Au bout de trois jours de débat le texte a été adopté le 30 septembre 1981, il était très exactement 12 h 25. »

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

Weekly cabinet meeting at Elysee Palace, Paris, France – 12 Jan 2024
5min

Société

Prostitution : un nouveau plan de lutte présenté ce jeudi, huit ans après la loi pénalisant les clients

Alors que la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, peine encore à produire ses effets, le gouvernement a annoncé la présentation d’un nouveau plan pour lutter contre la prostitution, à l’aube d’une augmentation inquiétante des chiffres chez les mineurs. Selon les associations, ils seraient entre 7 000 et 10 000 à être aujourd’hui prostitués, un chiffre qui a doublé ces dernières années.

Le

Enfants et ecrans
4min

Société

Rapport sur l’usage des écrans chez les enfants : « Nous avons perdu six ans », déplore la sénatrice Catherine Morin-Desailly

Commandé par l’exécutif, le rapport d’experts sur l’usage des écrans chez les enfants a été remis au président de la République ce 30 avril. En 2018, le sujet avait déjà fait l’objet d’une proposition de loi largement votée au Sénat, mais jamais discutée à l’Assemblée. Auteure du texte, la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly dénonce aujourd’hui « une perte de temps ».

Le

A national gendarmerie van entering the Paris courthouse
7min

Société

Meurtre de Matisse à Châteauroux : qu’est-ce que l’excuse de minorité, que le gouvernement souhaite réformer ?

Alors que de multiples faits divers concernant des mineurs font l’actualité ces dernières semaines, le dernier en date, le meurtre de Matisse, 15 ans, poignardé à mort, samedi dernier à Châteauroux, par un mineur afghan âgé lui aussi de 15 ans et placé sous contrôle judiciaire, cinq jours avant le meurtre, Gabriel Attal a annoncé, le 18 avril dernier, souhaiter « ouvrir le débat » sur l’excuse de minorité. Mais au fait, à quoi fait référence cette qualification pénale, qui revient régulièrement dans les discussions ?

Le