« La France, médaille d’or du validisme. » Ce 10 février, à la veille du 20ème anniversaire de la loi de 2005 sur le handicap, des centaines de militants manifestaient à Paris pour dénoncer les discriminations dont ils sont encore aujourd’hui victimes. Pour marquer les 20 ans du texte, le Sénat organisait de son côté un colloque, pour faire le bilan de son application.
Une loi symboliquement très forte, puisqu’elle a établi deux principes fondamentaux pour l’égalité des droits des personnes en situation de handicap. « Il y a 20 ans, le Parlement adressait une promesse forte aux personnes en situation de handicap. La garantie du libre choix de leur projet de vie, grâce à la compensation des conséquences de leur handicap. Et d’autre part une participation effective à la vie sociale, grâce à l’organisation de la cité autour du principe d’accessibilité », a rappelé Gérard Larcher en ouverture de l’événement.
Sur l’accessibilité, des « mesures fortes » attendues le 6 mars prochain
Mais, au-delà du symbole, beaucoup reste à faire pour une véritable égalité entre tous. C’est le constat des rapports d’information réalisés par différentes commissions du Sénat, qui dressent « un bilan en demi-teinte » de l’application du texte. « Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi handicap, la loi de 2005 est une belle loi qui a posé un certain nombre de fondamentaux, l’enjeu c’est déjà de l’adopter dans sa globalité », a souligné le président de la commission des affaires sociales Philippe Mouiller (Les Républicains).
En matière d’accessibilité d’abord : la moitié des établissements recevant du public restent aujourd’hui inadaptés. La loi de 2005 avait pourtant donné 10 ans aux établissements pour se mettre aux normes, un délai plusieurs fois repoussé. « Il faut mettre un terme à cette capacité que nous avons, du fait de la loi, à contourner cette obligation », a ainsi alerté Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées, appuyant la nécessité de punir les établissements qui ne sont pas encore accessibles. « Ne pas être accessible, c’est un délit et comme tout délit, il doit y avoir des sanctions », a-t-il martelé.
Sur l’emploi, des freins à la formation des personnes handicapées
Mais, l’accessibilité ne se résume pas seulement aux lieux, elle touche aussi notamment à l’emploi. Un sujet sur lequel l’égalité n’est pas non plus au rendez-vous : le taux de chômage des personnes en situation de handicap reste deux fois plus élevé que la moyenne, autour de 12 %. La loi de 2005 a pourtant fixé l’objectif au secteur privé d’embaucher 6 % de travailleurs handicapés, sous peine d’amende. Une exigence ensuite élargie au secteur public.
« Dans le public, le taux atteint 5,6 % et dépasse même les 6 % dans les collectivités. En revanche, la cible reste plus éloignée dans le privé, qui est à 3,6 % », a pointé Corinne Féret, co-rapporteure du bilan du Sénat. Pour la sénatrice socialiste, « le niveau de formation reste le premier frein à l’emploi des personnes en situation de handicap ». Un faible niveau de formation qui s’explique, une fois encore, par un manque d’accessibilité des infrastructures, explique le rapport du Sénat.
Des difficultés rencontrées dès l’école, souligne par ailleurs la chambre haute. « L’école inclusive est en train de craquer avec des enseignants qui se déclarent impuissants, parfois en proie à un véritable désarroi », a alerté le président de la commission de la culture, le sénateur centriste Laurent Lafon. En déplacement dans une école élémentaire parisienne, la ministre de l’Education nationale Elisabeth Borne a annoncé le déploiement de 400 nouveaux pôles d’appui à la scolarité pour la rentrée prochaine. Ces pôles, composés d’éducateurs spécialisés, doivent accompagner les enseignants pour la prise en charge des élèves en situation de handicap sur tout le territoire.
Une nécessaire simplification administrative
Au-delà des questions d’accessibilité et d’inclusion, le volet « compensation » de la loi de 2005 reste lui aussi mal appliqué. De ce point de vue, le rapport du Sénat pointe notamment la situation des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), une forme de guichet unique vers lequel toutes les personnes peuvent se tourner dans chaque département pour demander des aides.
Si les délais de traitement des demandes sont en moyenne de 4 mois, l’objectif affiché par la loi de 2005, ce chiffre cache en réalité de fortes disparités entre les départements. En Seine-Saint-Denis, en Ille-et-Vilaine et dans la Manche, le délai d’attente moyen reste aujourd’hui de plus de 8 mois, dénonce le rapport du Sénat.
Pour améliorer ce service, la chambre haute souhaite ainsi mettre l’accent sur la simplification. « Le formulaire de demandes qu’il faut adresser à la MDPH, par exemple, fait plus de 30 pages. Il est mal compris et donc mal renseigné. Les courriers de notification des droits sont aussi inintelligibles », a alerté la sénatrice Marie-Pierre Richer (Les Républicains), présidente du groupe d’études handicap du Sénat.
L’alerte des départements sur le manque de moyens
Plus largement, l’accompagnement des personnes en situation de handicap souffre aussi d’un grand manque de moyens. C’est l’un des principaux constats de ce colloque. De ce point de vue, la situation des départements est critique. Chargés de verser la prestation de compensation du handicap (PCH), principale aide financière créée par la loi de 2005, ils tirent la sonnette d’alarme.
« Le reste à charge est croissant pour les départements, dans un contexte inédit de perte de recettes. Entre 2012 et 2023, il est passé de 851 millions à 2,1 milliards d’euros », a dénoncé Frédéric Bierry, vice-président de l’association des départements de France, en charge de la solidarité.