A un an d’intervalle, le Parlement est de nouveau appelé à se prononcer sur l’opportunité de mettre en place une commission d’enquête sur le contrôle des établissements scolaires privés sous contrat. La demande du député LFI Paul Vannier en ce sens sera examinée mercredi en commission des Affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée. Auteur d’un rapport l’année dernière, sur le financement des établissements privés sous contrat « afin de garantir la mixité sociale en leur sein », le député du Val d’Oise ne « lâche » pas le Premier ministre François Bayrou, empêtré depuis plusieurs jours dans l’affaire Bétharram.
Depuis plus d’un an, le parquet de Pau mène l’enquête sur 112 plaintes visant des violences physiques, agressions sexuelles et viols qui auraient été commis au collège-lycée Notre-Dame-de-Bétharram entre les années 1970 et 1990. Le chef du gouvernement, et maire de Pau, y a scolarisé plusieurs de ses enfants. Son épouse a enseigné le catéchisme dans l’établissement. François Bayrou était aussi ministre de l’Éducation nationale entre 1993 et 1997, période où une première plainte pour violence avait été déposée à l’encontre d’un surveillant général. Après une enquête de Mediapart, des témoins ont affirmé que le Premier ministre avait connaissance dès la fin des années 1990 d’accusations d’agressions sexuelles, ce que François Bayrou conteste.
« Une chaîne de responsabilités au sein de l’église à interroger »
« Je comprends la stratégie politique de LFI qui tombe sur Bayrou. Mais il y a une chaîne de responsabilités au sein de l’église à interroger, car depuis 50 ans personne n’a rien fait », tempère le sénateur communiste, Pierre Ouzoulias, auteur d’une proposition de loi visant à autoriser la puissance publique à conditionner les subventions accordées aux établissements privés sous contrat à des critères de mixité sociale et scolaire. Pour rappel, l’enseignement privé représente 17 % des effectifs et est financé par l’Etat à hauteur de huit milliards d’euros, pour le salaire des enseignants ou les infrastructures de fonctionnement dont la charge est assurée par les collectivités territoriales. Conformément aux contrats d’association prévus par la loi Debré de 1959, les établissements privés gardent « leur caractère propre » (un projet d’établissement fondé sur la religion catholique par exemple), mais doivent respecter les programmes scolaires et garantir de l’accueil des élèves sans distinction d’origine, de croyance et d’opinion, et respecter leur liberté de conscience.
Au début de l’année 2024, la ministre de l’Education nationale, Amélie Oudéa-Castéra avait, bien malgré elle, remis sur le devant de la scène le contrôle des établissements catholiques sous-contrats, en justifiant maladroitement les raisons pour lesquelles elle avait scolarisé ses enfants dans l’école privée parisienne Stanislas. Mediapart avait, par la suite, révélé le contenu accablant du rapport d’inspection sur l’établissement. Etaient pointées « des dérives » dans l’application du contrat d’association de l’établissement avec l’Etat, notamment par le caractère obligatoire des heures d’enseignement catholique, mais aussi de faits « susceptibles d’être qualifiés pénalement », comme des propos homophobes, propices aux risques d’homophobie, anti-avortement, ou faisant la promotion des thérapies de conversion.
« Les personnels encadrants au sein de l’enseignement privé ne relèvent pas de l’autorité académique »
En janvier 2024, la sénatrice écologiste, Monique de Marco, soutenue par les sénateurs de gauche demandait, sans succès, au président centriste de la commission de la culture et de l’éducation, Laurent Lafon (centriste) de doter la commission « des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour faire la lumière sur « l’effectivité et l’efficacité du contrôle de l’Etat sur l’ensemble des établissements scolaires ». Une demande que la sénatrice de Gironde avait renouvelée en mars 2024 en déposant une proposition de résolution. A cette époque, le journal Le Monde et Libération font état de 33 plaintes d’anciens élèves de Notre-Dame de Bétharram pour viols, agressions sexuelles et violences. L’affaire est d’ailleurs citée dans les motifs de la proposition de résolution. « J’avais été alertée sur Bétharram par l’avocat d’une des victimes, Jean-François Blanco. En tant que sénatrice de la région, il me demandait quels contrôles avaient été effectués sur l’établissement », relate l’élue qui avait dans la foulée rédigé un courrier à la rectrice d’académie de Bordeaux. En juillet 2024, la sénatrice obtient le retour de la rectrice. Dans son courrier daté du 16 juillet 2024, que Public Sénat a pu consulter, le rectorat indique, tout d’abord être en lien avec l’autorité judiciaire et en dialogue constant avec les autorités diocésaines ». La rectrice rappelle également que « conformément au contrat qui lie les établissements privés à l’académie de Bordeaux, « l’inspection académique effectue bien des contrôles sur le respect du droit à l’éducation, du droit à l’instruction, du droit à la scolarité et sur le respect des exigences pédagogiques ». En cas de défaillance sur ces points l’académie peut rompre le contrat que la lie à l’établissement privé. Néanmoins, dans le cadre de l’affaire Bétharram, les victimes font état de sévices commis par des prêtres et des surveillants laïcs. Or comme le rappelle la rectrice dans son courrier, « les personnels encadrants au sein de l’enseignement privé ne relèvent pas de l’autorité académique mais de l’Organisme de Gestion de l’Enseignement Catholique (OGEC), qui prend la forme d’une association ».
Elisabeth Borne insiste sur le renforcement des contrôles
La semaine dernière en commission de la culture et de l’éducation, Monique de Marco a interrogé la ministre de l’Education nationale, Élisabeth Borne, sur l’opportunité d’une modification du code de l’Education visant à permettre à l’Etat d’élargir les contrôles sur l’ensemble des personnels des établissements privés. La ministre a rappelé le travail fait par sa prédécesseure, Nicole Belloubet consistant à créer 60 équivalents temps plein (ETP) dans les académies, pour permettre la montée en puissance du contrôle des établissements sous contrat, mais ne s’est pas prononcée sur l’opportunité de modifier la loi pour étendre les contrôles aux encadrants des établissements privés.
Vendredi, le ministère a demandé au rectorat de Bordeaux d’inspecter le collège-lycée catholique sous contrat de Bétharram, renommé Le Beau Rameau depuis 2009. « Le ministère a demandé au rectorat de Bordeaux d’avancer ses opérations de contrôle pour disposer d’éléments sur le fonctionnement actuel de cet établissement », selon un communiqué qui précise conduire « des recherches pour retrouver d’éventuels contrôles relatifs à cet établissement. A ce stade, le ministère n’a pas au sein de ses services de tels éléments » peut-on lire. En 2023, un rapport de la Cour des comptes mettait en lumière des contrôles particulièrement lacunaires des activités pédagogiques et financières des établissements d’enseignement privés.
Du côté de la majorité sénatoriale, Max Brisson (LR), fervent défenseur de la liberté d’enseignement, reconnaît des contrôles pédagogiques lacunaires « mais aussi bien dans le privé que dans le public ». « Ce ne sont pas les établissements catholiques qui refusent les inspections mais l’Etat qui ne les fait pas. Car dans le système actuel, les IPR (inspecteurs pédagogiques) sont surchargés de missions en tout genre et les inspections ne font pas partie des taches les mieux notées ».
Max Brisson dénonce « un projet politique de remise en cause de l’établissement privé »
Quant à la proposition de contrôler les personnels encadrants des établissements privés, Max Brisson estime qu’il ne relève pas de la mission de l’Etat de contrôler des salariés du privé. « Faut-il des contrôles plus fréquents des enseignants du privé, la réponse est oui. Est-ce que les établissements privés sous contrat posent aujourd’hui un problème au service public de l’éducation ? La réponse est non. Et ceux qui extrapolent à partir d’affaires touchant un ou deux établissements, ont un projet politique de remise en cause de l’établissement privé », tance-t-il.
« Je pense au contraire que l’affaire de Bétharram n’est pas un cas isolé mais un révélateur d’un problème structurel. Il y a quelques années la commission sur les abus sexuels dans l’Église (la Ciase) avait établi à 330 000 le nombre de victimes d’abus sexuels de la part de religieux mais aussi de laïcs depuis 1950. Qu’attend l’autorité épiscopale pour organiser un recueil de la parole similaire au sein des établissements privés ? », demande Pierre Ouzoulias.
Toujours sous contrat avec l’Éducation nationale, l’établissement n’est plus dirigé, depuis 2009, par la congrégation du Sacré-Cœur de Jésus de Bétharram. Il a supprimé son pensionnat, et accueille 520 élèves de la maternelle au lycée.