Affaire PPDA : vers une modification des délais de prescription pour les affaires de violences sexuelles ?

Affaire PPDA : vers une modification des délais de prescription pour les affaires de violences sexuelles ?

Plus d’une vingtaine de femmes qui accusent le journaliste Patrick Poivre d’Arvor de viol et d’agressions sexuelles ont vu leurs plaintes classées sans suite, la plupart en raison de la prescription. Mais la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Versailles a récemment estimé que l’instruction pouvait se poursuivre même pour des faits prescrits. Explications
Simon Barbarit

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« Nous avions reçu 60 témoignages quand j’ai fini le livre. On est aujourd’hui à 90 récits ». Dans Libération, Hélène Devynck, auteure du livre Impunité (ed du Seuil) n’hésite pas à parler « d’un MeToo français mis sous cloche ».

L’ex journaliste et qui accuse Patrick Poivre d’Arvor d’un viol en 1993 a rédigé son livre dans la foulée du classement sans suite de sa plainte pour prescription. Pour rappel, c’est la journaliste Florence Porcel qui a été la première à avoir porté plainte contre l’ex-animateur vedette de TF1 en février 2021. Elle l’accuse d’un viol en 2004 et d’une fellation imposée, également en viol en droit pénal, en 2009. Sa plainte comme celle d’une vingtaine d’autres victimes a été classée sans suite quelques mois plus tard. Mais Florence Porcel a fait un recours devant la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Versailles, afin d’obtenir l’ouverture d’une nouvelle enquête confiée à des juges d’instruction pour les faits datant de 2004.

Rappelons ici que depuis une loi de 2017, le délai de prescription pour un viol est passé de 10 à 20 ans au moment où l’acte est commis. Lorsque Florence Porcel porte plainte en 2021, les faits de 2004 sont déjà prescrits avant l’entrée en vigueur de la loi de 2017, ce qui n’est pas le cas pour les faits de 2009.

« Une première pour une affaire de violences sexuelles »

Mais s’appuyant sur la jurisprudence, la Cour d’appel a estimé que l’instruction pouvait quand même se poursuivre sur des faits prescrits. « Cette décision a été un grand bouleversement pour nous, avocats, alors j’imagine ce que ça peut être pour l’ensemble de la société. En droit pénal, on a déjà vu des poursuites s’étendre à des faits prescrits mais c’est une première pour une affaire de violences sexuelles », rappelle Khadija Azougach, avocate au barreau de Paris et secrétaire générale de « Lawyers 4 Women ».

L’allongement des délais de prescription est possible pour les crimes sexuels sur mineurs depuis la loi d’origine sénatoriale, du 21 avril 2021. Elle a introduit dans le droit français deux nouveaux mécanismes. « L’acte interruptif de prescription » qui permet d’interrompre le délai de prescription, lorsque dans une autre affaire, un même auteur est soumis à un acte de procédure, comme une audition par exemple. Et « La prescription glissante » qui permet de prolonger le délai de prescription d’un crime ou délit, lorsque le même auteur présumé, viole ou agresse sexuellement par la suite un autre enfant.

« L’argument juridique de la sérialité »

Concernant les majeurs, « la justice peut enquêter sur des faits prescrits en lien avec des faits non prescrits en invoquant l’argument juridique de la sérialité. C’est-à-dire le même mode opératoire, d’un même auteur sur un même profil de victime », explique Me Tomasini, avocate au barreau de Paris, spécialiste des violences faites aux femmes. Dans l’affaire PPDA, les derniers témoignages recueillis par Hélène Devynck contre l’animateur datent de 2015.

> > Lire notre article. Affaire Nicolas Hulot: la loi sur les crimes sexuels sur mineurs peut-elle s'appliquer ?

« L’état de sidération des victimes a fait obstacle à la connaissance du crime »

Me Azougach rappelle aussi que l’allongement des délais de prescription est courant en droit pénal des affaires. « L’article 9-1 du code de procédure pénale fait partir le délai de prescription à partir du moment où l’infraction occulte, dissimulée, est révélée. La prescription ne court pas au moment où les faits sont commis, mais au moment où ils sont révélés. Dans une affaire comme celle de PPDA, on peut très bien imaginer que l’état de sidération des victimes, leur lien de subordination avec l’auteur, ont fait obstacle à la connaissance du crime », avance -t-elle

L’avocate insiste également sur un arrêt de « la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 29 novembre 2005. « Il s’agissait d’une affaire concernant un abus de faiblesse d’une personne vulnérable. La Cour a refusé la prescription est a retenu la sérialité. C’était le même mode opératoire pour faire retirer de l’argent à une personne vulnérable ».

Faut-il aller plus loin qu’une décision jurisprudentielle et aller vers une modification législative ? « Oui », répond, Me Tomasini qui aimerait voir les mécanismes permettant d’allonger les délais de prescription pour les victimes mineures, élargis aux majeurs. « Même si les faits sont prescrits j’encourage les victimes à porter plainte. Ça peut faire boule de neige et encourager d’autres personnes, pour qui les faits ne sont pas prescrits, à porter plainte ».

« Il suffirait d’ajouter un alinéa à l’’article 9-1 du code de procédure pénal en précisant que l’allongement des délais de prescription s’applique aux délits et crimes sexuels », complète Khadija Azougach

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