« Nous ne sommes pas en face d’un fait divers, nous ne sommes pas en face d’une affaire judiciaire. C’est un fait de société » a estimé, ce lundi, le Défenseur des Droits, Jacques Toubon. Les nouveaux débordements liés à « l'affaire Théo » en banlieue parisienne, ce week-end, ont fait ressurgir le spectre des émeutes de 2005. « Les relations avec la police se passent toujours aussi mal. En vingt-sept ans, rien n’a changé malgré les innombrables alertes, rapports et livres publiés à ce sujet » note le sociologue Laurent Mucchielli dans une tribune publié dans le journal le Monde.
2600 caméras-piétons pour les forces de l’ordre
Alors que Théo, grièvement blessé il y a dix jours par des policiers lors d’un contrôle d’identité, est toujours hospitalisé, le Premier ministre recevait, ce lundi, plusieurs associations de lutte contre le racisme. Bernard Cazeneuve a, d’abord, rappelé que « l'émotion légitime » suscitée par l'affaire Théo « ne saurait en rien justifier » les « violences inacceptables » provoquées samedi en marge d’un rassemblement pacifique devant le palais de justice de Bobigny. Le premier ministre a également annoncé des mesures destinées à renforcer la confiance entre la police et la population, dont le déploiement de caméras-piétons pour les forces de l’ordre. Une annonce qu’avait déjà éventée le ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux, jeudi dernier, devant les sénateurs : « 2000 caméras vont être déployées en police, 600 en gendarmerie, avec un déclenchement automatique » précisait-il. La formation des forces de l’ordre a également été au centre des discussions avec la création « d’une direction de la formation au sein de la direction générale de la police nationale » précise le communiqué de Matignon.
« Les brigades spécialisées de terrain doivent être composées de personnels expérimentés »
A l’issue de la réunion, le président de SOS Racisme, Dominique Sopo a plaidé « pour une réforme des corps d’inspection qui ne peuvent pas être laissés aux seuls policiers. Car on sait qu’il y règne un très fort corporatisme » a-t-il estimé, prenant l’exemple des conclusions de l’enquête de l’IGPN qui a qualifié d’ « accidentelles » les blessures du jeune Théo. « De la même façon, il nous semble qu’il est extrêmement important que ces brigades spécialisées de terrain soient composées de personnels expérimentés » a-t-il complété. Une autre proposition concrète rejetée par l’exécutif concerne les techniques d’interpellation. « Les techniques de pliage qui souvent aboutissent à l’asphyxie de personnes présumés innocentes, le cas d’Adama (Traore) par exemple. Nous n’avons pas obtenu satisfaction ce qui est regrettable car ça ne demande par d’argent, c’est quelque chose de très simple » a déploré Louis-Georges Tin, président du CRAN
Individus « perçus comme noirs et arabes » sont sept fois plus contrôlés que les blancs
Principal objet de déception pour les associations : le rejet par l’exécutif d’une méthode de « traçabilité » des contrôles de police par l’intermédiaire d'un « récépissé » remis après chaque contrôle d'identité. Les défenseurs de cette mesure s’appuient sur une étude publiée récemment par le Défenseur des droits. Il en ressort que sur 5.000 personnes interrogées en 2016, seuls 16% disent avoir été contrôlées lors des cinq dernières années. Ce nombre monte à 40% concernant les jeunes (18-34 ans) « et parmi eux, 80% des jeunes hommes perçus comme noirs, arabes et maghrébins rapportent avoir été contrôlés », a souligné Jacques Toubon. Des chiffres qui font écho à une autre enquête menée en 2009 par le CNRS et le réseau « open society justice initiative ». Sur cinq lieux répartis entre les gares parisiennes et leurs abords, les « individus perçus comme noirs subissaient des contrôles de police à une fréquence six fois plus élevée que ceux perçus comme blancs ». Les individus « perçus comme arabes » étaient quant à eux contrôlés en moyenne huit fois plus que ceux perçus comme blancs.
Engagement numéro 30 du candidat Hollande en 2012
Engagement numéro 30 du candidat Hollande en 2012, la lutte « contre le délit de faciès dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens », s’est toujours heurtée aux refus des ministres de l’Intérieur successifs quant à la mise en place d’un récépissé. Jusqu’à être qualifié de « chimère » par Bruno Le Roux la semaine dernière. « Sommes-nous prêts demain à faire dans notre pays un fichier des personnes contrôlées dans nos quartiers ? Moi je ne m'y résous pas », a-t-il justifié. Un argument réfuté par Jacques Toubon. « Il faudrait que, quand il y a un contrôle, soit délivré par le policier ou le gendarme une attestation nominative enregistrée pour la personne, avec un double anonyme », a-t-il proposé.
En avril dernier, les sénateurs communistes n’avaient pas réussi à faire adopter une proposition de loi en faveur de la mise en place du récépissé.