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Agriculture : qu’est-ce que les « clauses miroirs » que demandent les agriculteurs ?

Le terme revient souvent dans la crise agricole. Les « clauses » et « mesures miroirs », qu’exigent les agriculteurs, sont un moyen d’éviter une concurrence déloyale. L’idée est d’imposer aux pays tiers les mêmes normes environnementales que celles exigées en France et en Europe aux agriculteurs. Si le gouvernement affiche son volontarisme, leur mise en œuvre est complexe et semée d’embûches…
François Vignal

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C’est l’une des revendications du monde agricole. Les « clauses miroirs ». Attaché à répondre aux revendications des agriculteurs, le gouvernement en défend le principe. « Nous avons réaffirmé des principes clairs sur le refus de l’absence de mesures miroirs ou d’accords qui désavantageraient nos agriculteurs. A cet égard, le président de la République a été extrêmement ferme sur notre opposition au traité de libre-échange entre l’Union européenne et le MERCOSUR », a affirmé ce mercredi matin le premier ministre, Gabriel Attal, lors d’une conférence de presse sur l’agriculture.

  • Le principe

De quoi parle-t-on au juste ? C’est l’idée d’imposer aux pays qui veulent importer leurs produits en Europe les mêmes règles et normes, environnementales ou sanitaires, qui sont obligatoires pour les agriculteurs français ou européens. Une manière d’éviter toute concurrence déloyale, comme le demandent les syndicats agricoles. En effet, les normes sont souvent plus fortes en sein de l’Union européenne (UE), ou en France, que dans les autres pays hors UE. Exemple souvent cité : les lentilles canadiennes importées en Europe dans le cadre du CETA (accord de libre-échange entre l’UE et le Canada) sont cultivées avec des pesticides interdits au sein de l’Union, permettant aux Canadiens de produire davantage que leurs homologues européens. L’idée serait que le Canada applique les mêmes règles pour que chacun joue sur un pied d’égalité.

  • « Clauses miroirs » et « mesures miroirs »

Il faut faire la distinction entre les « clauses miroirs », qui s’appliquent dans le cadre des accords de libre-échange avec des pays partenaires de l’accord, et les « mesures miroirs », plus larges, qui sont incluses dans la législation européenne pour appliquer les standards européens à l’ensemble des produits importés venant de pays tiers.

  • L’exécutif affiche son volontarisme

Les clauses miroirs étaient auparavant absentes au niveau européen. Sous l’impulsion notamment de la France, le principe a commencé à être accepté. « Il y a 5 ans, il n’y en avait aucune, zéro. Aujourd’hui, il y en a sur les antibiotiques », comme « les traitements antibiotiques autorisés sur le bœuf aux Etats-Unis, alors qu’ils sont interdits en Europe ». Ce bœuf « ne peut plus rentrer en Europe », expliquait le 1er février sur France Info Pascal Canfin, l’eurodéputé Renaissance, président de la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire. « On l’a fait pour les néonicotinoïdes – ça a défrayé la chronique – pour la betterave et d’autres grandes cultures », ajoutait-il, avec « depuis le 1er janvier 2023 des clauses miroirs sur les néonicotinoïdes ».

Face à la crise agricole en France, Paris cherche à avancer. En marge d’un sommet européen, à Bruxelles, Emmanuel Macron s’est prononcé le 1er février pour la création d’une une « force européenne de contrôle sanitaire et agricole » qui puisse « éviter la concurrence déloyale ». « Chaque fois qu’on négocie avec d’autres, il faut leur dire qu’on veut pouvoir contrôler vos modes de production pour s’assurer que ce sont les même que nous », a expliqué le chef de l’Etat.

Ce mercredi matin, Gabriel Attal a tenté de rassurer les agriculteurs sur la volonté de son gouvernement. « Nous nous battrons, produit par produit, pour le respect d’un principe simple : si c’est interdit pour nos agriculteurs, cela ne doit pas rentrer chez nous. Je passe aux actes. La thiaclopride est un néonicotinoïde interdit en Europe depuis 2020, mais dont les importations sont encore possibles. On continue à importer des produits qui l’utilisent. Cela désavantage les agriculteurs. Cela n’avantage pas plus les Français puisque des produits contenant du thiaclopride arrivent sur les étals. Ce n’est pas acceptable. Aussi, nous avons demandé à la Commission européenne d’interdire toute importation de produits agricoles contenant de la thiaclopride », a annoncé le premier ministre. Gabriel Attal n’attend pas que les instances européennes aboutissent. Il prendra « un arrêté vendredi pour interdire son importation en France ».

Dans le dossier de presse envoyé par Matignon, on peut lire également : « Régulation du commerce international : la France défend une véritable réciprocité des normes et des mesures miroirs effectives (sur les antibiotiques, sur la déforestation, etc.) : à ce titre, la France s’oppose à l’accord de l’UE avec le Mercosur ». Statut : « Fait », depuis « février ».

  • Des difficultés nombreuses : règles de l’OMC, arguments scientifiques, contrôles difficiles

A croire le gouvernement, c’est bon, le problème est réglé alors ? Pas vraiment. Dans les faits, la mise en œuvre de clauses ou mesures miroirs est complexe et semée d’embûches. Comme l’écrivait en janvier dernier le ministère de l’Agriculture, dans une réponse à une question écrite du sénateur centriste du Nord, Guislain Cambier, « la mise en place de mesures miroirs nécessite de s’assurer qu’elles soient compatibles avec les règles de l’OMC. Elles doivent être ciblées, proportionnées et justifiées sur la base d’arguments scientifiques. L’examen doit donc être mené au cas par cas ».

Les contrôles sont clefs, comme l’a évoqué Emmanuel Macron. Mais pour être certains que les produits importés en Europe respectent les mêmes normes que celles prévalant au sein de l’Union européenne, des contrôles aux frontières ne suffisent pas dans certains cas. Il faudrait pouvoir vérifier les conditions de production sur place, dans les pays tiers… Autrement dit dans les exploitations d’Inde ou du Canada ou les abattoirs d’Argentine. Des pays souverains qui pourraient le refuser.

Et encore faut-il avoir les réels moyens de ces contrôles. Selon une mission d’information du Sénat, de février 2021, sur « les retraits et les rappels de produits à base de graines de sésame importées d’Inde ne respectant pas les normes minimales requises dans l’Union européenne », on en est loin. « Certaines substances interdites ne sont plus contrôlées fréquemment. L’Union européenne recense 1.498 substances actives et en interdit 907. Si le plan de contrôle européen, décliné par les Etats membres, ne prévoit que 176 substances à analyser, la France va plus loin en analysant, dans ses contrôles de résidus de pesticides, 568 substances. Au regard des 1.498 substances à contrôler, cela signifie tout de même que plus de 900 substances actives ne sont presque jamais contrôlées par les autorités sanitaires aujourd’hui », écrivait l’auteur du rapport, le sénateur LR Laurent Duplomb, lui-même éleveur, qui suit les questions agricoles pour son groupe.

  • Le ministre Stéphane Séjourné alertait devant le Sénat sur le « risque de rétorsions »

Du côté de la majorité présidentielle elle-même, on admet que les mesures miroirs ne peuvent pas se décréter d’un coup de baguette magique. « Pourquoi on ne le fait pas, demain matin, pour tout ? Tout simplement car vous auriez des étals de supermarché vides. La réalité, c’est quand on importe 50 % du poulet, […] si demain matin on mettait une clause miroir sur le poulet ukrainien, la moitié de nos étals de supermarché n’auraient plus de nuggets, plus de KFC. C’est ça la réalité », avançait, toujours sur France Info, Pascal Canfin. L’eurodéputé ajoutait : « On essaie de pousser au maximum, on les gagne, produit par produit, culture par culture, mais ce serait démagogique de dire qu’on le fait demain matin pour tout. Ça aurait des conséquences pour les consommateurs ».

Lors d’un débat au Sénat, le 16 janvier dernier, sur une proposition de résolution du groupe LR sur l’accord UE-Mercosur, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a mis en garde sur un autre point : « Un risque de rétorsions de la part de nos partenaires ». Les producteurs de vins et de fromages français, qui misent sur l’exportation, apprécieraient peu une hausse des taxes des pays importateurs…

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