Ce matin, la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » a été adoptée par la commission des affaires économiques du Sénat. Elle prévoit des assouplissements sur les pesticides et le stockage de l’eau, et entend calmer les tensions entre les agriculteurs et l’Office français de la biodiversité.
Après avoir décroché pendant de longs mois, ils réintègrent l’école
Par Priscillia Abereko
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Pourquoi avoir choisi de faire ce documentaire sur la problématique du « raccrochage scolaire » ?
Édouard Mills-Affif : C'est surtout pour montrer qu'il n'y a pas qu'une seule manière de retisser des liens avec des adolescents qui décrochent, en montrant des manières singulières et qui semblent fonctionner. L'adolescence est une période qui m'intéresse particulièrement car c'est un âge fragile où en plus d'être un adolescent et d'être confronté aux difficultés que cela peut impliquer, dans le cadre de mon documentaire eux sont aussi décrocheurs. Cette problématique de jeunes qui sont un peu lésés du système scolaire et qui sont ensuite repêchés en réapprenant à avoir confiance en eux, pour moi ça révèle qu'il n'y a pas de déterminismes sociaux car il y a l'idée que rien n'est jamais perdu. Je voulais décentrer le regard
D'où viennent ces décrocheurs ? Appartiennent-ils au même milieu social ?
Édouard Mills-Affif : Ce qui est intéressant c'est que lorsque je disais que je préparais un film sur le décrochage scolaire, la plupart des gens pensaient que je tournais à Aubervilliers ou à Bobigny, mais en fait pas du tout, j'ai tourné à Paris avec des élèves qui sont des fils et filles de cadre supérieur, d'architectes… Pour moi le décrochage scolaire ce n'est pas que le produit de la fracture sociale, cela y contribue peut-être mais ça n'est pas que ça.
Si de nombreux jeunes décrochent chaque année, certains comme dans votre documentaire veulent se réconcilier avec l'apprentissage. Mais est-ce que tout le monde peut intégrer ce pôle de la seconde chance ? Sur quels critères sont-ils sélectionnés ?
Édouard Mills-Affif : Le pôle innovant lycéen du XIIe arrondissement de Paris est l'un des lieux historique sur la question, le premier qui a ouvert ses portes et qui a reconnu comme spécificité le décrochage scolaire qu'on appelait auparavant phobie scolaire. Tout le monde peut y entrer, mais il faut déposer sa candidature, puis passer des entretiens individuels. Chaque année, ce sont entre 70 à 80 élèves qui bénéficient de cette pédagogie alternative.
Peut-on parler d'un contrat entre élèves et professeurs, avec des règles, des droits et des devoirs à respecter en rejoignant le PIL ?
Édouard Mills-Affif : Non pas vraiment, c'est assez souple. Ce n'est pas non plus le lycée autogéré où on peut venir ou ne pas venir, faire tout ce que l'on veut. Si on ne vient pas pendant une journée, on est rappelé à l'ordre par l'un des professeurs. Sous la forme d'un SMS ou d'un appel, l'élève doit ensuite justifier son absence. Il y a un encadrement qui est quand même présent. Les professeurs envisagent la totalité des aspects scolaires mais aussi humains et psychologiques, en s'intéressant notamment si tel ou tel élève à une addiction par exemple. Dans ces cas-là, il y a des relais qui se mettent en place, les professeurs ne travaillent pas seuls. Le travail d'équipe est très important dans cette structure.
Ce qui nous frappe dans ce documentaire c'est qu'on nous rappelle sans cesse que nous sommes dans un établissement scolaire cependant, mais le décor ne ressemble pas à une classe. Cela fait-il partie de cette pédagogie alternative ?
Édouard Mills-Affif : Oui le décor m'a beaucoup intéressé car il est assez inhabituel. J'avais visité d'autres lycées qui viennent en aide aux décrocheurs et dans ce pôle du XIIIe arrondissement de Paris, on entre dans un espace qui lui rompt avec l'idée qu'on se fait d'un établissement scolaire qui ressemble bien plus souvent à des prisons qu'à des lieux ouverts. Ici, les jeunes se retrouvent dans un ancien lycée professionnel de métallurgie, avec un décor plus proche de l'école des beaux-arts que d'un lycée classique qui dépend de l'éducation nationale. Le but de ce décor est de donner envie aux élèves de revenir au lycée. Dans cet espace, ils peuvent utiliser librement leurs téléphones, se détendre sur un canapé, c'est vraiment un lieu ouvert et d'ailleurs à l'entrée il y a marqué « la porte est ouverte ». Le PIL n'est pas simplement conçu comme un lieu d'apprentissage.
On remarque qu'il y a plusieurs ateliers manuels dans cette formation, au détriment du français, des mathématiques et de l'histoire que l'on peut apprendre au lycée… Est-ce la volonté de ce pôle éducatif de former des jeunes à des métiers manuels ?
Édouard Mills-Affif : Non pas forcément. L'intelligence a été de se dire que ces adolescents : on ne va pouvoir les asseoir toute la journée, et qu'il y a un traumatisme vis-à-vis de l'école qui fait que si, c'est seulement des savoirs scolaires qui leur sont enseignés, ils n’y arriveront pas car il y a un tel traumatisme envers le milieu scolaire. Avec ces ateliers, on les fait travailler ensemble, debout et autour d'une paillasse sur des objets à construire ou à réparer dont ils seront fiers. C'est aussi un moyen de leur apprendre certaines valeurs comme l'organisation ou la concentration et qu'ils voient concrètement ce qu'ils sont capables de faire.
À plusieurs reprises, les professeurs vont appeler les élèves qui ne se sont pas présentés en cours pour avoir des explications… Mais quelle est la place des parents dans tout ça ? Est-ce une manière de responsabiliser les élèves ?
Édouard Mills-Affif : Oui, les parents sont impliqués lors de rencontres bilan mais il y a également à l'intérieur de ce pôle que nous n'avons pas pu filmer, une structure de parole avec des psychiatres où les parents sont impliqués pas seulement comme simple parents mais aussi pour partager des expériences avec le corps enseignant et les élèves. Mais en appelant directement les élèves, c'est une manière quelque part de les forcer à se prendre en main, car intégrer ce pôle c'est avant tout une forme de volontariat.
Après votre tournage, savez-vous si l'ensemble de ces élèves ont réussi à reprendre une scolarité normale après cette formation ?
Édouard Mills-Affif : Tout le monde n'a pas réintégré un milieu scolaire, il y en a certain qui ont continué vers une autre voie : une formation, un service civique, un CAP… D'autres ont été admis en Seconde ou en Première mais ce n'est pas quelque chose de fréquent. Il arrive aussi de façon générale, que certains élèves décrochent de nouveau. Les professeurs l'admettent, il y a parfois un effet yo-yo car ce n'est pas parce qu'un tel a un projet qu'il ne va pas finir décrocheur quelques mois après. De même, un gamin complètement paumé au départ, peut très bien réussir à s'en sortir. Dans tous les cas, pour ces gamins-là, ça marche mieux que dans un système scolaire classique.
Pensez-vous que le taux de décrochage scolaire en France peut être quasi nul grâce aux différentes initiatives comme le PIL ?
Édouard Mills-Affif : Je trouve que ce genre de pôle peut faire évoluer les pratiques, cela ne veut pas dire que c'est un modèle à suivre forcément mais ça veut dire que pour certains adolescents c'est dans ce sens-là qu'il faut agir. On doit pouvoir passer du modèle de "l'école pour tous" slogan des années soixante-dix à "l'école pour chacun", en prenant en compte les individus.
Retrouvez l'intégralité du documentaire, Les raccrocheurs, le samedi 7 juillet à 23h30 et le dimanche 8 juillet à 10h sur Public Sénat.