Assassinat de Samuel Paty : trois ans après, un livre retrace la chaîne des responsabilités
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C’est dans la sidération que la France a appris, ce 13 octobre, l’attaque au couteau survenue dans un lycée d’Arras. Elle a fait, à ce stade, un mort, un professeur de lettres, et plusieurs blessés. L’auteur des faits est un jeune homme d’origine tchétchène fiché S, il a été interpellé par les forces de l’ordre. Ce qui ajoute à l’émoi provoqué par cette attaque, c’est la date à laquelle elle a eu lieu : près d’une semaine après l’attaque terroriste du Hamas sur des territoires israéliens, et trois ans, presque jour pour jour, après l’assassinat de Samuel Paty, professeurs d’histoire-géographie, dans les Yvelines, décapité après avoir montré des caricatures de Mahomet en cours.
À l’occasion de cet anniversaire, le journaliste Stéphane Simon publie chez Plon une enquête retraçant les onze derniers jours de Samuel Paty, Les derniers jours de Samuel Paty. Enquête sur une tragédie qui aurait dû être évitée. Il était l’invité de la matinale de Public Sénat ce matin, et ses propos prennent une signification toute particulière, au regard des événements récents.
L’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, par un jeune homme russe d’origine tchétchène, avait suscité un grand émoi, mais aussi soulevé de nombreuses interrogations quant à la responsabilité des autorités et de l’Education nationale, qui n’avaient pas été capables de protéger l’enseignant. C’est cette chaîne de défaillances que détaille Stéphane Simon dans son livre. Sur le plateau de Public Sénat, il détaille les résultats de son enquête, qu’il qualifie de « dure ».
« Ce professeur est désavoué avant même d’avoir pu s’expliquer »
Le journaliste décrit d’abord un professeur « désireux de rendre son cours [d’éducation civique] vivant », qui montre les caricatures de Charlie Hebdo et qui laisse le choix aux élèves de ne pas les regarder, si elles les heurtent. « Il croyait bien faire en faisant cela », explique-t-il, « il n’y a pas eu d’incident pendant ce cours ». Ce n’est que plus tard que la machine s’emballe. À la suite du mensonge d’une élève à ses parents, qui leur raconte qu’elle a été exclue du cours de Samuel Paty, parce qu’elle aurait refusé de regarder les caricatures, la famille exige de rencontrer la principale du collège. Cette dernière les aurait reçus avec « beaucoup d’égards », d’après Stéphane Simon. « C’est là que se pose le premier problème », analyse l’auteur, « il aurait fallu maintenir cette famille à distance, lui inculquer les principes d’autorité ». A la place, « ce professeur est désavoué avant même d’avoir pu s’expliquer […], on lui demande de présenter des excuses », raconte-t-il. Il décrit un Samuel Paty lâché par sa hiérarchie et par plusieurs de ses collègues.
« On voit la faillite totale des renseignements »
L’auteur de l’enquête remonte la chaîne des responsabilités jusqu’au ministère de l’Education nationale et aux services de renseignement. En effet, après avoir dépêché un référent laïcité auprès de Samuel Paty, « qui [lui] demande de ne surtout rien faire, de ne surtout plus se mêler de cette affaire », plus rien n’est fait. Et pourtant, pour Stéphane Simon, la principale du collège savait que le professeur d’histoire était menacé, et surtout, son assassin avait fait l’objet de quatorze signalements sur la plateforme Pharos. « On voit la faillite totale des renseignements, qui ne voient pas les signalements d’Abdoullakh Androzov sur Pharos, ils sont totalement débordés, aucun des quatorze signalements n’a été exploité par eux et ils n’ont rien fait pour protéger Samuel Paty », explique-t-il à Oriane Mancini. D’autant que, de jour en jour, le nom et le collège du professeur circulent sur les réseaux sociaux. Le professeur lui-même se savait menacé, puisque d’après le journaliste, il portait dans son sac à dos un petit marteau, au cas où.
Faut-il voir dans ce manque de protection une négligence ? Pour Stéphane Simon, les procédures de signalement mises en place par Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Education nationale, sont trop lourdes et ne permettent pas aux services d’agir. « Il m’a dit qu’il n’avait entendu parler de Samuel Paty que le jour de sa mort », affirme-t-il.
Après le choc de cet acte terroriste, la sécurité des professeurs a été remise sur le devant de la scène et la vigilance s’est voulue accrue. L’attaque de ce matin, qui présente quelques similitudes avec l’assassinat de Samuel Paty, fait ressurgir cette douleur et doit relancer la réflexion sur la protection des enseignants. C’est ce que le Sénat tentera de faire dans sa commission d’enquête sur les menaces contre les enseignants, lancée en juin dernier.
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