ILLUSTRATION : Portrait d’un bebe d’un mois.
Portrait d'un bebe d'un mois, allonge sur une couverture, dans l'herbe, France, mai 2011./Credit:DELAHAYE CATHERINE/SIPA/1510011632

Baisse de la natalité : « Il est important de comprendre pourquoi les personnes renoncent à avoir des enfants »

L’Insee a publié ce mardi 16 janvier son bilan démographique pour l’année 2023. Il révèle une chute de la fécondité. Le nombre de naissances a baissé de 6,6 % en 2023 par rapport à 2022. Même si la différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès s’établit au niveau le plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’inquiète pas Anne Solaz, directrice de recherches à l’Institut national d’études démographiques (Ined).
Stephane Duguet

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Le solde naturel qui se calcule en soustrayant le nombre de décès au nombre de naissances s’établit à + 47 000 en 2023 en France, un niveau au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette donnée est issue du bilan démographique 2023 publié par l’Insee. Cette étude montre également que le nombre de naissances a baissé de 6,6 % en 2023 par rapport à 2022. Il y en a 48 000 de moins que l’an passé. Depuis 2010, l’Insee relève aussi une chute des naissances de 20 %. Décryptage avec Anne Solaz, directrice d’études à l’Institut national d’études démographiques (Ined).

L’Insee indique que le rapport entre les naissances et les décès n’a jamais été aussi bas depuis la Seconde Guerre mondiale avec un solde positif de 47 000. Qu’est-ce que cela signifie ?

Le solde naturel, c’est la différence entre le nombre de naissances et de décès sur une année. Il est, en général, positif parce qu’il y a toujours plus de naissances que de décès. En 2023, il diminue par rapport à l’année précédente pour deux raisons. D’abord parce qu’il y a une baisse du nombre de naissances, mais aussi parce que l’espérance de vie augmente, donc on recense moins de décès. Il y a toujours la peur d’avoir une population qui diminue, mais là on voit que cela reste positif. En Allemagne, le solde naturel a déjà été négatif, ce qui n’est pas le cas en France cette année.

L’autre chiffre marquant publié par l’Insee, c’est le nombre de naissances. Il y en a eu 678 000 en 2023, en baisse de 6,6 % (moins 48 000 naissances par rapport à 2022). Comment peut-on expliquer cette diminution ?

Cela dépend de deux facteurs : la population en âge d’avoir des enfants et le nombre de naissances par femme. On voit depuis dix ans que les femmes d’une génération en âge de procréer sont moins nombreuses. En 2023, l’explication principale, c’est surtout que les femmes ont moins d’enfants. On sait que c’est surtout lié à l’incertitude de la situation économique des femmes. Avant d’avoir un enfant, la plupart souhaitent attendre d’avoir un emploi stable, un logement et pour remplir ces conditions, on attend plus longtemps avant d’avoir un enfant.

Est-ce que cela s’observe dans les mêmes proportions dans toutes les catégories sociales ?

Non, on observe que les femmes qui gagnent le revenu médian ont moins d’enfants que celles qui ont un revenu élevé et celles qui ont un revenu faible. Parmi les femmes les plus riches et les plus pauvres, 10 % n’ont pas d’enfants alors que pour celles qui se situent au niveau du revenu médian, c’est 20 %. Cela s’explique par les difficultés à concilier la vie de famille et le travail. Les femmes les plus riches ont généralement les moyens de les faire garder et celles se situant en bas de l’échelle des revenus, si elles ne travaillent pas, peuvent garder leurs enfants.

Les inquiétudes liées au climat ne rentrent-elles pas en ligne de compte dans le désir d’enfant ?

On réalise des études sur le sujet. Mais une enquête menée en Autriche où on demandait aux femmes de mentionner pourquoi elles ne voulaient pas d’enfants a révélé que c’était d’abord pour des raisons liées à leur condition économique avant leurs inquiétudes liées au changement du climat.

 On observe que les femmes qui gagnent le revenu médian ont moins d’enfants que celles qui ont un revenu élevé et celles qui ont un revenu faible 

Anne Solaz, démographe

L’un des enseignements du bilan démographique de l’Insee, c’est aussi l’augmentation de l’âge moyen à la maternité en vingt ans. En 2023, comme en 2022, il s’élève à 31 ans contre 29,5 ans au début des années 2000. Pourquoi ?

Il augmente depuis plusieurs années car les femmes font des études plus longues donc l’entrée dans la vie en couple est plus tardive. La vie en couple sans enfant s’allonge également. Il y a plusieurs raisons : dans un contexte de séparation élevé, dans l’attente d’avoir un emploi stable ou un logement, on attend plus longtemps et on a des enfants plus tard.

On voit aussi que les femmes ont moins d’enfants qu’il y a 13 ans. En 2010, il y avait en moyenne 2,03 enfants par femmes, en 2023, c’est 1,68. Est-ce que c’est nouveau ?

Non, la France a déjà atteint ce niveau-là en 1993-1994. Dans le détail, cela concerne surtout les familles de trois enfants. Elles ont diminué au profit de familles à un ou deux enfants. En ce qui concerne les causes, on cherche encore car elles sont difficiles à établir. Jusque-là, on disait que la baisse du nombre d’enfant par femme se compensait avec le fait que les femmes avaient des enfants plus tard. En 2023, on voit qu’il n’y a pas de rattrapage tardif, parce que la fécondité baisse à tous les âges.

Cette tendance s’observe aussi ailleurs qu’en France. L’étude de l’Insee cite, par exemple, la Suède dont le nombre d’enfant par femme est passé de 1,67 en 2021 à 1,52 en 2022. Il y a aussi l’Allemagne, la Tchéquie, la Roumanie. Est-ce que c’est une tendance uniquement européenne ?

En effet, la baisse ne s’observe pas qu’en France. Dans les pays nordiques où il y avait un taux de fécondité important, la tendance est la même. Si on regarde des pays avec des niveaux de vie similaires, on s’aperçoit qu’ailleurs dans le monde il y a des pays avec des taux de fécondité bas comme au Japon ou en Corée du Sud. En Europe, il y a aussi des niveaux bas en Espagne et en Italie même s’ils sont stabilisés. Comme on voit d’autres pays où le taux de fécondité baisse, on se dit qu’elle est durable, mais il faudra comparer avec les résultats de l’année prochaine pour affirmer cela.

Peut-on conclure que cette baisse de la fécondité est inquiétante ?

A ce niveau-là n’y a rien d’inquiétant pour l’avenir. Nous avons déjà connu cette situation dans les années 1990. C’est un niveau symbolique parce que quand on fait des bébés en France on a l’impression que tout va bien. C’est sans doute lié au passé nataliste et aux politiques familiales menées après-guerre. Sans s’alarmer, il est important de comprendre pourquoi les personnes renoncent à avoir des enfants. Est-ce que c’est parce qu’elles manquent de moyens, parce qu’elles ne reçoivent pas assez de prestations sociales ou d’aide de l’Etat ? Le cas échéant, il faut mettre en place une action publique qui permette d’avoir des enfants. Pour l’Etat, il y a aussi l’enjeu d’instaurer un climat propice à la naissance des enfants.

 

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