En recevant une dizaine de représentants du culte musulman place Beauvau, comme l’a indiqué Le Figaro ce mardi, Bruno Retailleau entend remettre sur la table un dossier lancé par son prédécesseur il y a trois ans : le Forum de l’islam de France, qui a succédé au Conseil Français du culte musulman (CFCM). En février 2022, Gérald Darmanin avait en effet créé ce format pour lutter contre l’idée que « l’islam est une religion d’étrangers, pour les étrangers, financée par les étrangers », avec comme principal enjeu la formation des imams. Structuré comme un groupe d’experts nommés au niveau départemental par les préfets, ce forum n’a pas vocation à être une instance de représentation, mais à nourrir six groupes de travail sur les sujets d’organisation du culte qui se posent.
En 2016, une mission d’information sénatoriale présidée par Corinne Féret (PS) rendait un rapport réalisé par Nathalie Goulet (Union centriste) et André Reichardt (LR) intitulé « De l’Islam en France à un islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés », qui s’attaquait précisément à ces problématiques, dont la conclusion soulignait les défis à venir :
Depuis, « on est au point mort », résume la sénatrice socialiste Corinne Féret, présidente de la mission d’information. Même constat pour sa collègue centriste, Nathalie Goulet : « Ça n’a pas avancé parce que les communautés ne veulent pas s’organiser, il faut être deux pour danser le tango. »
« Reprendre le dialogue », « une nécessité »
Le nœud du problème est assez simple à identifier, mais complexe à résoudre : la Séparation des Eglises de l’Etat présuppose que l’Etat ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. D’un autre côté, l’Etat doit « veiller à exercer pleinement ses prérogatives de puissance publique dans les domaines liés aux cultes dont il a la charge (sécurité nationale, protection des consommateurs, politique étrangère, fiscalité etc.) », explique le rapport de 2016. « L’Etat peut suggérer, inciter, proposer, encadrer mais sur les dispositifs en eux-mêmes, c’est aux communautés de s’organiser comme elles l’entendent », précise Nathalie Goulet.
À cet égard, l’initiative de Bruno Retailleau consistant à « reprendre le dialogue » – en tant que ministre de l’Intérieur et des cultes – est « une bonne chose », estime la sénatrice. Une « nécessité », pour Corinne Féret (PS), qui rejoint sa collègue centriste sur la difficulté pour l’Etat d’aller plus loin. Les deux précisent que ce cadre de la République laïc n’est absolument pas un regret, mais pose une difficulté opérationnelle dans l’organisation d’une religion qui s’est diffusée et institutionnalisée récemment sur le territoire hexagonal, et qui ne dispose pas de clergé hiérarchisé.
Formation des imams et filière halal
La formation des imams, notamment, soulève de nombreux enjeux. Dans un pays où l’islam manque de moyens matériels comme la France s’est développé le statut « d’imam détaché », sur le modèle d’un détachement de fonctionnaires réglementé par des accords bilatéraux. En 2016, au moment de la rédaction du rapport, 301 imams étaient ainsi salariés du Maroc, de l’Algérie ou de la Turquie (pour environ 2500 lieux de culte identifiés en France). Le rapport souligne l’avantage de formation et de rémunération que peut fournir ce statut, tout en déplorant le fait que ces imams ne parlent par conséquent pas français et peuvent constituer un levier d’influence pour des puissances étrangères.
Depuis le 1er janvier 2024 la France n’accueille plus d’imams détachés, mais la question de la formation des imams, et notamment de la transparence de leurs financements n’est pas pour autant réglée. Des contournements peuvent exister (rémunération directe de l’imam en France), et certaines mosquées se retrouvent obligées de faire venir temporairement des imams étrangers. Ce sera l’un des chantiers principaux du Forum de l’islam de France.
De même sur l’organisation de la filière halal, « peu lisible » selon le rapport sénatorial, de nombreuses choses restent à faire. Seules trois mosquées (Paris, Lyon et Evry) sont habilitées par l’Etat à vendre les cartes de sacrificateur à des organismes certificateurs du caractère halal des viandes qui sont des opérateurs privés soumis à la concurrence. Un système « opaque » et difficile à uniformiser, tant il mêle des « rivalités politiques, religieuses et financières », ajoute Nathalie Goulet.