« C’est un pari, mais on souffle » : les élus soulagés par le report du Tour de France

« C’est un pari, mais on souffle » : les élus soulagés par le report du Tour de France

Après plusieurs semaines de doutes sur la tenue de la Grand boucle, la course aura bien lieu mais avec deux mois de retard en raison du coronavirus. Une décision saluée par les élus et les collectivités qui restent prudents. Enjeu économique et symbolique pour les territoires, le Tour pourrait marquer la première étape du rebond tant espéré.
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Par Jonathan Dupriez

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Un simple coup de fil du directeur du Tour de France a suffi à redonner le sourire à Eric Houlley, maire de Lure en Haute-Saône. La course cycliste mythique aura bien lieu chez lui, deux mois plus tard que prévu, mais sans aucun changement au parcours initial. « C’est la première fois que la course allait passer dans notre petite commune, mais on ne savait pas si cette affaire allait tourner au vinaigre » reconnaît-t-il. L’édile socialiste, réélu en mars dernier, avoue avoir « retenu son souffle » pendant plusieurs semaines avant que Christian Prudhomme lui confirme la date du 19 septembre. « Il a été d’une correction exemplaire » note l’élu, qui précise l’avoir eu régulièrement au téléphone au gré de l’évolution de la réflexion des organisateurs.

Heureux hasard du nouveau calendrier, l’étape qui s’élance de Lure se tient un samedi et promet d’être l’une des plus suivies de la course, la veille de l’arrivée sur les Champs-Elysées. Les coureurs devront se régler « à la pédale », dans un contre-la-montre individuel de 36km jusqu’à La Planche-des-Belles-Filles, une arrivée au sommet très raide des Vosges culminant à 1140m d’altitude.« C’est l’étape où va se gagner le Tour » prédit François Patriat, sénateur LREM de la Côte-d’Or, cycliste et fin connaisseur du milieu. 

Outil de « Marketing territorial »

Lure pourrait donc crever l’écran. C’est en tout cas ce qu’espère Eric Houlley. Le maire entend bien profiter de la « vitrine » médiatique hors norme qu’offre le Tour pour promouvoir sa commune. L’épreuve, organisée par l’entreprise privée Amaury Sport Organisation (ASO), est retransmise par 190 chaînes de télévision dans le monde et est le troisième événement sportif le plus regardé sur la planète. De quoi mettre son lac sous le feu des projecteurs, ou faire connaître son « Sapeur Camember », un personnage de BD de la fin du XIXème siècle, créé par un dessinateur de la ville.

Pouvoir singulier du Tour, l'épreuve peut révéler au grand jour des territoires jusque là méconnus. Dans l’histoire de la course, les exemples ne manquent pas. « Personne ne connaissait la commune d’Orcières Merlette jusqu’en 1971, année où Luis Ocaña met 9 minutes dans la vue d’Eddy Merckx » remarque la journaliste Béatrice Houchard, qui connaît le Tour dans ses moindres recoins. « Soudainement, l’étape d’Orcières Merlette est devenue une étape de légende dans le Tour de France » poursuit-elle, relevant qu’à l’époque « la station de ski avait décollé » peu après le passage de la course. Le Tour, friand de récits et de rappels historiques, empruntera cette année cette montée lors de la 4ème étape. Lure, se prend donc à rêver du même destin. « En termes d’images, ça fait toujours bien » résume Eric Houlley.

« Ticket d’entrée »

Mais inscrire sa ville dans la légende du Tour se paye. Les villes sélectionnées par ASO, au terme d’un parcours du combattant et souvent des années de lobbying, doivent s’acquitter d’une participation dont le montant varie en fonction de la prestation. Pour le cas de Lure, un village-départ, la ville prévoit de verser à l’organisateur un chèque de 96 000 euros TTC. A cela s’ajoutent de nombreux frais annexes directement financés par le budget communal. En tout, pour sa journée Tour de France, la ville de Lure déboursera 150 000 euros, incluant frais de voirie, de logistique, de communication et personnels à sa charge, sur un budget annuel de 8 millions d’euros. Si cette somme peut paraître élevée, Eric Houlley assure qu’elle ne fait pas débat au sein du conseil municipal et qu’elle sera votée sans « aucune difficulté » en juillet. « Le consensus gauche droite est très fort sur la question du Tour » assure-t-il. D’autant que l’investissement de Lure pour le Tour sera subventionné à hauteur de 40% par la région Bourgogne Franche-Comté.

« Investissement gagnant »

Mais malgré le coût de l’organisation, le Tour reste sacré pour les élus et d’autant plus dans la perspective de l'après-crise. Pour son arrivée auvergnate spectaculaire du 11 septembre, Philippe Fabre, vice-président du Conseil départemental du Cantal en charge des sports, estime verser « autour de 100 000 euros » à ASO. « Mais ça les vaut, c’est un investissement où on est gagnant » assure-t-il, anticipant déjà l’effet boeuf produit par les images du Puy Mary tournées depuis les hélicoptères de France Télévisions. Pour François Patriat, il n’y a même pas matière à débat. « Ça n’est pas tant que ça » tempère le sénateur bourguignon. « Imaginez combien les départements devraient payer pour 5min de publicité à la télévision. »

« Bouffée d’air économique »

Le retour sur ces investissements est difficile à quantifier. Selon la Gazette des Communes, ASO estime « au doigt mouillé » le retour sur investissement à environ six fois la mise de départ. Mais au vu du climat social et de la crise économique qui se profile, personne ne fera la fine bouche. D'autant que se raccrocher au Tour est peut-être l'un des moins mauvais placement qui soit en ces temps troublés. « Le Tour à lui seul ne relancera pas l’économie française ni ne pansera toutes les plaies liées au coronavirus, mais cela marquera un vrai redémarrage » analyse Béatrice Houchard, auteure en 2019 de l’ouvrage « Le Tour de France et la France du Tour. » Eric Houlley abonde : « ça va être une bouffée d’air pour l’activité locale, les cafés, les bars, les restaurants même si l’on peut s’attendre qu’en septembre, on ait moins de touristes qu’en juillet. » Philippe Fabre, président du Syndicat mixte du Grand site du Puy Mary, qui accueille l’arrivée de la 13ème étape du Tour, préfère positiver. « Heureusement qu’on n’a pas eu l’étape un mardi mais un vendredi » dit-il.« Mais c’est sûr que l’impact économique sera moindre que ce que l’on espérait le 10 juillet. » Même si rien ne remplacera un Tour d’été, le report apparaît comme un moindre mal économique pour sauver une saison touristique très incertaine.

Optimisme prudent

De son côté, le département de l’Isère qui accueille deux étapes et une journée de repos, salue la décision d’ASO mais se garde de toute effusion de joie. Dans un communiqué, le président du conseil départemental, Jean-Pierre Barbier, compare le Tour à une « lueur d’espoir pour le secteur touristique » qui représente « plus de 23 000 emplois en Isère. »

« Je me réjouis de cette décision même si je demeure prudent et mesuré » poursuit sobrement l’élu « Les conditions sanitaires dicteront la suite des événements » assure-t-il. « Septembre, c’est une belle saison en Isère » se réjouit Michel Savin, sénateur LR du département. « Le Tour en septembre, ça sera toujours mieux que pas de Tour du tout, le secteur touristique répondra à la demande. »

Un optimisme prudent que partage le maire PS de Lure, lucide sur ce « pari » des organisateurs. La course pourrait être à nouveau décalée voire même annulée en cas d'aggravation de la crise sanitaire.« Personne n’a de certitudes sur cette crise mais, pour le moment, on souffle » abonde le vice-président du Conseil départemental du Cantal en charge des sports, Philippe Fabre.

« Une petite goutte d’insouciance dans cette année d’enfer »

« Nous sommes en guerre » avait répété six fois le Président de la république le 12 mars, avant d’entraîner le pays dans une bataille contre le covid-19. Cette « guerre » contre un ennemi invisible n’a pour le moment pas eu raison du Tour. Historiquement, seules les deux guerres mondiales ont fait s’incliner l’épreuve. « On est ni au sortir de la Première Guerre mondiale ni de l’occupation allemande » tient à nuancer Béatrice Houchard. « Mais quand on relit la presse et les déclarations des officiels en 1919 ou 1947, le fait que le Tour de France redémarre vaut presque comme un deuxième armistice ou une nouvelle signature de la paix. »

La perspective du Tour de France permet au moins de donner un horizon symbolique aux français confinés et aux territoires d’imaginer un rebond. « Le Tour de France est important pour la population, il y aura une grande fête populaire » imagine déjà le sénateur de l’Isère Michel Savin. « Le Tour va démontrer que les choses redémarrent, c’est un message au monde du sport et au monde tout court, qui veut dire que la France sera en train de repartir » poursuit le sénateur spécialiste des questions liées au sport au Palais du Luxembourg.  «Le Tour pour un territoire, c’est magique » résume simplement Philippe Fabre, qui espère une parenthèse enchantée le 11 septembre prochain, en haut du col du Pas de Peyrol. « La période n’est pas à l’insouciance mais ça sera une petite parenthèse entre la fin de l’épidémie et les suites économiques et sociales de la crise » prédit Béatrice Houchard… « Une petite goutte d’insouciance dans cette année d’enfer. »

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