ILLUSTRATION – BEER – DRINKING

Campagne de prévention contre l’alcool annulée : « C’est un nouveau renoncement de la part de l’exécutif », regrette Bernard Jomier

En pleine coupe du monde de rugby, la cellule investigation de radio France révèle que deux campagnes de sensibilisation sur les risques de la consommation d’alcool réalisées en vue de cet évènement ont été enterrées par le ministère de la Santé. Au Sénat, on n’est pas vraiment surpris
Simon Barbarit

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« Ne laissez pas l’alcool vous mettre KO », « quand on boit des coups, notre santé prend des coups », ce sont deux slogans de deux campagnes de prévention des risques liés à l’alcool que vous ne verrez pas sur les écrans ni sur les panneaux d’affichage pendant la coupe du monde de rugby.

En effet, ce lundi, la cellule d’investigation de Radio France révèle que ces deux campagnes présentées par Santé Publique France, avec l’appui de la Direction générale de la Santé ont été mises sous le tapis par le ministère de la Santé en mai 2023.

Radio France explique également que le cabinet du nouveau ministre de la Santé, Aurélien Rousseau aurait refusé de diffuser une ancienne campagne de 2019 basée sur les slogans suivants : « Au-delà de deux verres par jour, vous augmentez vos risques d’hémorragie cérébrale, de cancers et d’hypertension ». « Pour votre santé, l’alcool c’est maximum deux verres par jour. Et pas tous les jours ». Le cabinet d’Aurélien Rousseau a, néanmoins, indiqué à la cellule investigation de Radio France un renforcement prochain du site Internet « Alcool Info Service ».

« Il n’est pas possible de mener une politique de santé publique sur l’alcool »

« C’est un nouveau renoncement de la part de l’exécutif », se désole le sénateur du groupe PS, Bernard Jomier. Ce médecin de profession constate que « depuis qu’Emmanuel Macron est élu, il n’est pas possible de mener une politique de santé publique sur l’alcool. Toute mesure destinée à inciter une consommation plus modérée est combattue par les lobbys. Et le chef de l’Etat, qui a peut-être intégré son défaut d’enracinement, cède à cette pression, espérant se réconcilier avec les territoires » analyse-t-il. En début d’année, Vin et Société, qui regroupe 500 000 producteurs et acteurs de la filière, avait envoyé un courrier au vitriol à Emmanuel Macron en réaction à une campagne de sensibilisation liée à la consommation d’alcool pendant les fêtes. « Le cabinet d’Emmanuel Macron a répercuté les récriminations de la filière alcool auprès du cabinet de François Braun », détaille l’article de Radio France.

La sénatrice communiste, Laurence Cohen est également perplexe. « Vous avez deux ministres de la Santé, François Braun et Aurélien Rousseau, qui ont bloqué des campagnes de prévention. Ça démontre une fois de plus l’influence du lobby de l’alcool. A chaque examen du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale, dès qu’il est question de taxer l’alcool, vous avec des propos assez révoltants en termes de santé publique de la part de certains de mes collègues et un gouvernement qui cède.

Un temps évoqué par Bercy cet été, la piste d’une augmentation des taxes sur les boissons alcoolisées par l’augmentation des droits d’accise, le déplafonnement de l’indexation sur l’inflation, ainsi qu’un prix minimum du vin, a finalement été abandonné par la Première ministre, Élisabeth Borne.

Hausse des taxes sur les prémix, le rhum mais pas le vin

Le Sénat avait adopté en 2018 un amendement de la sénatrice centriste Jocelyn Guidez pour taxer davantage les « prémix » à base de vin et de cidre contre l’avis de la ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn. En ce début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale avait également conduit à une hausse des taxes sur le rhum, étalée sur plusieurs années, dans les départements d’Outre-Mer. Une nouvelle législation qui avait passablement agacé la sénatrice socialiste de Martinique, Catherine Conconne. « Qu’en est-il de la fiscalisation du vin ? Car il semble un être un produit indemne de toute pathologie, le champagne pareil. Le vin reste très faiblement taxé, comme la bière. Peut-être, qu’à la manière des gilets jaunes, vous avez une frayeur énorme des bidons rouges, qui pourraient surgir et venir protester ? On connaît le lobby de la viticulture. On sait qu’ils ont la dent dure. Et je les respecte. (…) Peut-être qu’on a peur de voir venir déverser des litres de vin rue du faubourg Saint-Honoré ou à Matignon ? Mais nous, tellement loin, aucun souci… Tous les arguments pour justifier cette hausse brutale (…) ne tiennent pas la route et font la preuve d’une méconnaissance chronique de nos territoires », avait-elle fustigée.

« Le modèle économique de la filière s’appuie sur des grands buveurs »

Comme chaque année, des amendements en ce sens reviendront lors de projet de loi de financement de la Sécurité Sociale. Mais à la haute assemblée, où la filière viticole est bien représentée, peu de chance de les voir adopter. « J’en appelle au sens de l’intérêt général de mes collègues. Il ne s’agit pas de mener la guerre à la filière viticole mais de conjuguer la défense d’un modèle économique à un message de santé publique. Or le modèle économique de la filière s’appuie sur des grands buveurs. Il faut se souvenir de la bataille homérique qu’il a fallu mener lorsqu’il s’est agi d’accoler sur les bouteilles le pictogramme représentant des femmes enceintes », insiste Bernard Jomier.

Dans une tribune publiée par Le Figaro en 2018, 64 domaines viticoles avaient dénoncé ce nouveau logo sur les dangers de l’alcool pour les femmes enceintes. Une image « mortifère », qui fait du vin un « produit délictueux », avaient-ils estimé.

La sénatrice radicale de Gironde et viticultrice de profession, Nathalie Delattre assure que la filière viticole est loin de s’opposer aux messages de « sensibilisation pour une consommation responsable ». « Nous avons parfaitement intégré les messages de prévention. Le vin est un produit plaisir qui doit rester festif. Quand les viticulteurs font des dégustations, ce sont les premiers à faire de la sensibilisation sur l’abus d’alcool. Je milite depuis des années pour que la politique de santé publique liée à l’alcool soit coconstruite par les viticulteurs et le gouvernement. C’est ce qui se fait au Québec et en Espagne et ça se passe très bien ».

La sénatrice regrette toutefois l’absence de distinction entre les produits dans les messages de prévention. « Quand on s’adresse aux jeunes, quand on alerte sur le binge drinking, ce n’est pas vraiment le vin qui est visé. On le voit aussi en ce moment dans les stades de la coupe du monde de rugby où on consomme surtout de la bière. Et pourtant, c’est toujours la filière du vin qui est visée. On a souvent l’impression que c’est le vin qui pose problème. Cette filière est surreprésentée. Peut-être parce qu’elle répond toujours aux critiques », esquisse-t-elle

 

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