Cancers et pesticides dans les vignes : « Tout le monde le sait, et tout le monde ferme les yeux »

Cancers et pesticides dans les vignes : « Tout le monde le sait, et tout le monde ferme les yeux »

En Gironde et en Charente, terres viticoles par excellence, les cas de cancers se multiplient à proximité des vignes. L’usage de produits chimiques phytosanitaires est pointé du doigt. Les familles se mobilisent pour dénoncer l’omerta qui règne au sujet des pesticides et faire reconnaître leur lien avec des maladies graves, en particulier le cancer. Les viticulteurs, eux, déplorent l’absence de solution alternative.
Public Sénat

Par Amélia Morghadi

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

Avec près de 800 000 hectares, la vigne représente 3.7 % de la surface agricole française mais elle consomme à elle seule environ 20 % des pesticides. La culture de la vigne n’est pas en reste, l’usage de fongicides, substance conçue pour éliminer le développement de champignons parasites, est quasi systématique. En Aquitaine, où la viticulture est particulièrement développée, la question de la dangerosité des pesticides pose question.

En 2012, James Bernard Murat, vigneron à Pujols en Gironde, décède brutalement d’un cancer. « Il était très robuste physiquement, mentalement, et il avait une vie complètement saine : il ne fumait pas, ne buvait pas, donc comment il a pu attraper ce cancer ? » témoigne sa fille, Valérie Murat, aujourd’hui militante anti-pesticide. Les médecins, Son cancer est dû à l’arsénite de soude, un pesticide qu’il a épandu pendant 42 ans pour lutter contre l’esca, une maladie des ceps de vigne, jusqu’à ce que l’État le retire du marché en 2001.

 

« Les futures générations vont hériter de quoi ? Des maladies »

Mais ces maladies ne touchent pas que les viticulteurs.
À Birac, en Charente, Claudine et Jacquis Massoulard habitent dans ce qu’on appelle désormais « la vallée du lymphome ».

La "vallée du lymphome" : pesticides et cancers
07:38

Ils sont mécaniciens, maçons, professeurs, salariés de la poste… et ont deux points communs : ils ont tous eu un cancer, et habitent à moins d’1 km les uns des autres.
En quelques années, plusieurs habitants ont développé des cancers des ganglions ou des testicules. Ils habitent tous à proximité de vignes traitées avec des produits phytosanitaires.

Jean-Louis Lévesque, médecin de campagne, a été témoin de ce phénomène : « Actuellement nous n’avons aucune preuve formelle du lien qui peut exister entre cancer et pesticide mais lorsqu’on a autant de cas sur si peu de superficie on se pose des questions » explique-t-il. Pour faire avancer les choses, le docteur Lévesque collecte les dossiers médicaux pour les faire analyser.

Une école contaminée par les pesticides
04:18

À Preignac, en Gironde, la situation est la même. Dans ce village de 2000 habitants, il y a six fois plus de cancers d’enfants que dans le reste de la France. L’école est encerclée par des vignes, traitées aux pesticides. Parmi les élèves, le petit garçon de Pascale Motte : on lui diagnostique une leucémie à l’âge de 5 ans. Depuis, elle n’a de cesse de tenter de sensibiliser les habitants pour prendre des mesures anti-pesticides.

 

« Tant qu’on ne nous en parle pas, on ne se pose pas trop de questions »

 « Tout le monde le sait, et tout le monde ferme les yeux » confie une maman d’élève. « En ce moment on voit beaucoup de femmes enceintes qui ont des problèmes : les trois quarts du temps elles sont obligées d’avorter parce qu’il y a des problèmes neurologiques » déplore-t-elle. Une autre maman d’élève a, elle, plus de réserve : « Tant qu’on ne nous en parle pas on ne se pose pas trop de questions. Parce que bien souvent la vigne, ça nous fait vivre aussi ». Dans des régions où le raisin est le poumon économique, remettre en question les pratiques des viticulteurs reste tabou. Les grands propriétaires viticoles, comme Louis Vuitton, Peugeot, Axa emploient chaque année des milliers d’ouvriers, faisant ainsi vivre la population locale, et s’attaque aux pesticides, c’est aussi s’attaquer à ces grands groupes.

La pression économique

Si poids des industriels est fort, celui de l’économie l’est aussi.
Agriculteur dans la vallée du Birac touchée par de nombreux cas de cancer, Bernard Gautier, du haut de sa sulfateuse, relativise l’impact des pesticides. « Je n’ai vraiment pas l’impression de polluer » assure le viticulteur. Ce producteur de cognac l’assure : « On ne pas faire sans, il faut qu’on défende une production, une récolte ». Sans pesticide, le rendement est considérablement diminué.

"Je n'ai pas l'impression de polluer " témoigne cet agriculteur
04:15

 

« Les phytosanitaires sont des assurances récolte »

Un ancien directeur de la FNSEA (Fédération nationales des syndicats d’exploitants agricoles) de Gironde est du même avis : « Je pense qu’on ne peut pas se passer de produits phytosanitaires de synthèse » affirme-t-il.

Mais tous les viticulteurs n’approuvent pas ce discours : « On produit de la vie, on ne doit pas semer la mort » martèle un agriculteur.

 

Retrouvez « Pesticides, le poison de la terre » le 14 juillet 2018 à 23 h 25, dimanche 15 juillet à 9 h 55, et samedi 21 juillet à 22 h 30 sur Public Sénat.

Dans la même thématique

Lea, au premier jour de sa Vie
5min

Société

Périnatalité : « Infantiliser les femmes ne mène à rien de bon » selon la journaliste Renée Greusard

Le 14 mai dernier, la mission d’information sur l’avenir de la périnatalité auditionnait quatre journalistes spécialistes des questions de grossesse et de parentalité. Une audition qui a permis d’évoquer la question de la santé mentale durant le post-partum, l’information qui est faite autour et l’insuffisance des moyens alloués aux maternités.

Le

Paris : International women s rights day
4min

Société

#Metoo : 150 personnalités réclament une « loi intégrale contre les violences sexuelles »

Ce mardi, Le Monde publie la tribune de près de 150 personnalités, notamment des actrices, appellent à la mise en place d’un ambitieux plan de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Un appel lancé alors qu’Emmanuel Macron a ouvert la voie à une évolution de la définition juridique du viol, pour y intégrer la notion de consentement. La présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes réclame de son côté une meilleure formation de la police et de la justice.

Le