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Changement de sexe : la droite sénatoriale pointe l’influence des réseaux sociaux et veut interdire toute transition médicale avant 18 ans

Après plusieurs mois de travaux, un groupe de travail composé uniquement de sénateurs LR, avec à sa tête, l’élue du Val d’Oise, Jacqueline Eustache-Brinio vient de remettre un rapport sur la transidentité des mineurs. Les sénateurs s’interrogent sur les causes de la « hausse croissante des demandes de changement de sexe chez les enfants et les adolescents ». Une proposition de loi sera bientôt déposée et reprendra ses principales recommandations telles que l’interdiction de tout traitement médical ou chirurgie avant 18 ans.
Simon Barbarit

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« C’est le premier rapport parlementaire qui traite de la transidentité des mineurs. Vous l’avez vu ? Il est énorme », à la sortie du groupe LR, Jacqueline Eustache-Brinio n’est pas peu fière de montrer l’épais document qu’elle tient sous le bras. La sénatrice du Val d’Oise vient de le présenter aux membres de son groupe. « Tout le monde m’a félicitée », confie-t-elle.

Plus de 340 pages, fruit de 67 auditions (médecins, psychologues, associations…), le rapport intitulé « La transidentification des mineurs » a nécessité plusieurs mois de travaux pour le groupe d’élus qui a la particularité de n’être composé d’une quinzaine de sénateurs LR, à la différence des missions d’information et des commissions d’enquête où l’ensemble des groupes politiques sont représentés. « On souhaitait que ce sujet soit porté par Les Républicains », répond sobrement Jacqueline Eustache-Brinio.

Le rapport pointe une hausse croissante des demandes de changement de sexe chez les mineurs

« Pour eux, l’intérêt était de faire de la politique en important des peurs qui vont nourrir un peu plus la transphobie », estime pour sa part le sénateur communiste de Paris, Ian Brossat.

Comme nous l’écrivions l’année dernière, c’est lors de l’examen de la proposition de loi visant à interdire les thérapies de conversion, que Jacqueline Eustache-Brinio s’était alarmée de ce qu’elle appelle « les dérives de certains influenceurs transactivistes » qu’elle considère comme « l‘un des vecteurs actuels du mal-être existentiel à l’adolescence ».

La sénatrice manque toutefois d’éléments chiffrés et s’appuie plus particulièrement sur des données internationales pour établir une hausse croissante des demandes de changement de sexe chez les mineurs, ces dernières années. En septembre, une lettre de cadrage publiée par la Haute Autorité de Santé (HAS) chiffrait à 294 personnes, âgées de 17 ans et moins, titulaires d’une affection de longue durée (ALD) pour « transidentité » en 2020. « On est passé de 8 mineurs en ALD pour transidentité en 2013, à 294 en 2020 », alerte le rapport qui accuse « certaines associations de tenter d’imposer dans les instances nationales et internationales le principe de l’autodétermination de l’enfant, au préjudice de l’autorité parentale et de preuves scientifiques de qualité ».

C’est d’ailleurs pour cette raison que les élus LR n’ont pas souhaité attendre les recommandations du groupe de travail engagé par la Haute autorité de santé sur la prise en charge des personnes transgenres âgées de 16 ans et plus, attendues dans quelques semaines. « J’ai demandé à la Haute autorité la communication de l’identité des membres de ce groupe de travail. Elle a refusé au motif qu’il fallait préserver la tranquillité de leurs travaux. J’ai donc saisi la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs), j’attends un retour », indique Jacqueline Eustache-Brinio.

« Une idéologie qui rappelle la manif pour tous »

« Le fait de ne même pas attendre les préconisations de la Haute autorité, c’est de l’usurpation démocratique et scientifique, au profit d’une idéologie qui rappelle la manif pour tous. On parle quand même de seulement 300 mineurs qui ont recours à des bloqueurs de puberté, un traitement réversible. Et quant à l’augmentation des cas, c’est comme les violences sexuelles. A partir du moment où on facilite la libération de la parole, les chiffres augmentent », souligne Anne Souyris, sénatrice écologiste de Paris.

« L’influence des réseaux sociaux »

Le rapport pointe le manque de fiabilité du « dutch protocol », « le traitement standard international, dans la prise en charge des mineurs souffrant de « dysphorie de genre », soit la souffrance liée à l’inadéquation entre le genre ressenti et celui de naissance. Un traitement qui consiste à administrer d’abord des bloqueurs de puberté, puis des hormones croisées à partir de 16 ans, suivis d’une chirurgie dite de réassignation. Or, s’appuyant sur une étude de la clinique Tavistock de Londres, les sénateurs LR mettent en avant « les effets secondaires néfastes des bloqueurs de puberté sur la masse osseuse, « sur le développement cognitif et émotionnel et sur le fonctionnement sexuel ». Pour la majorité sénatoriale, ce diagnostic de la dysphorie de genre « semble accélérer le parcours de nombreux adolescents en détresse pubertaire vers une transition médicale, au motif que leur ressenti à valeur de diagnostic, peu important les éventuelles comorbidités, telle que l’influence des réseaux sociaux ».

Raison pour laquelle, Les Républicains du Sénat préconisent l’interdiction de la « prescription de bloqueurs de puberté, de la prescription et l’administration d’hormones croisées ainsi que la chirurgie de réassignation sexuelle aux mineurs. Plutôt qu’une approche « transaffirmative », les élus prônent une « approche psychothérapeutique » de la souffrance de l’adolescent. Des interdictions qui se traduiront dans une proposition de loi que le groupe LR s’apprête à déposer.

En France, aucune législation n’encadre ou n’interdit les opérations de changement de sexe pour les mineurs. Les médecins s’appuient sur les recommandations internationales. Les actes chirurgicaux comme les torsoplasties (réduction du volume mammaire) peuvent être pratiqués avant 18 ans, ce qui n’est pas le cas de la chirurgie génitale, selon un rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) de 2022.

Auditionné par le groupe de travail, Nicolas Morel Journel, chirurgien, urologue au CHU Lyon-Sud et co-président de Trans Santé France a dénombré moins de 10 par an, le nombre de torsoplasties réalisées sur des mineurs de plus de 16 ans dans son service, tout en affirmant qu’aucun patient n’avait souhaité de retour en arrière.

S’appuyant là encore sur des études étrangères, le rapport sénatorial souligne que des taux de détransition, de personnes souhaitant revenir à leur identité d’origine, sont en augmentation.

« Des pays qui étaient plus avancés que nous sur ce sujet sont en train de revenir en arrière. Pas plus tard que la semaine dernière, le système public de santé en Angleterre a annoncé l’interdiction des bloqueurs de puberté aux mineurs », appuie Jacqueline Eustache-Brinio.

« Ce sont les mêmes arguments qu’utilise Vladimir Poutine pour criminaliser les personnes LGBT »

« Ce qui ressort de ce rapport, c’est une remise en cause de la liberté de prescription des médecins avec l’idée sous-jacente qu’il existerait une propagande qui conduirait les jeunes à aller vers un processus de transition parce que ce serait une mode. Ce sont les mêmes arguments qu’utilise Vladimir Poutine pour criminaliser les personnes LGBT », s’offusque Ian Brossat.

En ce qui concerne l’Education nationale, les rapporteurs demandent l’abrogation de la circulaire « Blanquer », du 29 septembre 2021, qui vise à « une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire ». « Parce qu’elle crée un régime d’exception pour les « élèves transgenres », la circulaire remet en cause les principes de neutralité et d’égalité au sein de l’institution scolaire », dénoncent les auteurs. Les élus LR préconisent aussi le respect par l’Éducation nationale de l’état civil de l’enfant, la protection des espaces non-mixtes (sanitaires, douches et vestiaires) ou encore la mise en place au sein du ministère d’une « veille sur le contenu des manuels scolaires mis à disposition des enfants et adolescents concernant l’identité sexuelle, dans un principe de neutralité de l’école ».

De quoi alarmer Anne Souyris, professeure des écoles de formation. « La circulaire Blanquer n’a pas d’autre but que de protéger les enfants par un accompagnement bienveillant afin de limiter les discriminations et les tentatives de suicide. Ce rapport ne s’inscrit pas dans une démarche politique sérieuse mais relève de l’idéologie ».

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