Il y a dix ans, l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo marquait un tournant dans la lutte contre le terrorisme. Coup sur coup, l’attaque contre le journal satirique, contre l’Hyper Casher, puis les attentats du 13 novembre 2015, ont entraîné de nouvelles lois pour mieux prévenir et réprimer la menace terroriste en France.
Avant janvier 2015, l’Etat disposait déjà d’un arsenal juridique complet, avec la création d’une juridiction spécialisée dans le traitement de ces affaires dès 1986. Avec l’enrôlement de plus en plus important de Français dans les rangs djihadistes en Irak et en Syrie, la loi s’était déjà adaptée en créant un « délit d’entreprise terroriste individuelle ». C’est sur la base de ce texte, promulgué le 13 novembre 2014, que sont désormais poursuivis les jihadistes décidant seul de passer à l’acte à leur retour en Europe.
Écoutes téléphoniques, algorithmes… les outils de renseignement et de surveillance renforcés
Après l’attentat de Charlie Hebdo, la première loi découlant directement du drame est promulguée en juillet 2015. Elle concerne les services de renseignements, que le président François Hollande avait déjà promis de réformer lors de sa campagne. Percuté par l’attaque du journal satirique, le texte sera finalement très fortement axé sur la lutte antiterroriste.
Il crée une commission chargée d’approuver, sous le contrôle du Premier ministre, la mise sous surveillance des suspects. La loi offre aussi davantage de moyens aux services, notamment avec l’autorisation d’utiliser des « IMSI-catchers », un dispositif controversé permettant d’intercepter les numéros et le contenu des conversations téléphoniques. Le texte ouvre également la voie à la surveillance par algorithme, un nouvel outil de traitement automatique des données en ligne, qui permet de détecter des « signaux faibles » de menace terroriste. À l’époque, le dispositif n’avait été mis en place qu’à titre expérimental, avant d’être pérennisé dans la loi en juillet 2021.
Depuis la promulgation de la loi relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, l’usage des algorithmes est désormais aussi autorisé dans la vidéosurveillance. Le ministère de l’Intérieur avait d’abord assuré que l’outil serait seulement expérimenté dans le cadre des JO, mais, peu après la fin des épreuves, Matignon a fait part de sa volonté de généraliser le dispositif. Les parlementaires ont, par ailleurs, imposé au gouvernement la remise d’un rapport sur le sujet avant la fin de l’année 2024. Il n’a, pour le moment, pas été rendu.
Un état d’urgence partiellement transposé dans le droit commun
Le 13 novembre 2015, quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, la France est de nouveau frappée par le terrorisme : l’attentat du Bataclan, sur les terrasses de cafés parisiens et aux abords du Stade de France, font 131 morts et plus de 400 blessés. Immédiatement, le président François Hollande déclenche l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire. Ce régime dérogatoire, très rarement utilisé avant 2015, étend les pouvoirs du ministère de l’Intérieur et des préfets pour faciliter la restriction de certaines libertés publiques ou individuelles : interdiction de manifestations, fermeture de lieux publics, interdictions de séjour, assignations à résidence…
Mi-novembre 2015, comme le prévoit la Constitution, un projet de loi est adopté au Parlement pour permettre d’étendre le délai de l’état d’urgence au-delà de 12 jours. Le 14 juillet 2016, François Hollande annonce la fin programmée du dispositif, mais quelques heures plus tard l’attentat de Nice entraîne sa prorogation, d’abord pour six mois puis jusqu’en juillet 2017.
Après la fin de l’état d’urgence, plusieurs dispositions introduites au Parlement dans le cadre des textes de prolongation ont été pérennisées. C’est dans ce contexte que la loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme », plus connue sous son abréviation Silt, est promulguée en octobre 2017. Elle autorise définitivement les préfets à instaurer des périmètres de protection autour des lieux à risque et permet, par exemple, au ministère de l’Intérieur d’autoriser durablement des surveillances et assignations à résidence.
Des pouvoirs étendus pour la justice
En parallèle de l’état d’urgence, plusieurs textes ont également permis de renforcer l’arsenal judiciaire antiterroriste. La loi du 3 juin 2016 « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement » donne aux juges et aux procureurs de nouveaux moyens d’investigation. Dans le cadre des enquêtes terroristes, les perquisitions de nuit sont ainsi autorisées dans les domiciles et la protection des témoins menacés est renforcée.
Enfin, en juillet 2021, la loi « relative à la prévention d’actes de terrorisme » instaure des mesures de sûreté pour les terroristes sortant de prison. Chargées de prévenir la récidive, ces mesures peuvent être prononcées en fin de peine pour obliger une prise en charge psychologique, psychiatrique, éducative ou sociale.
Un nouveau texte, venu du Sénat, pourrait encore compléter le volet judiciaire de la lutte antiterroriste. Adoptée au Sénat le 30 janvier 2024, la proposition de loi du sénateur Les Républicains – devenu ministre – François-Noël Buffet entend renforcer ces mesures de sûreté. Pour éviter le risque de récidive des anciens condamnés, le texte propose une injonction de soins, ou encore le placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté, lorsque la suspicion de dangerosité reste élevée. Transmis à l’Assemblée nationale dans la foulée, le texte n’a pas encore été examiné par les députés.