Check Point : l’université accessible à tous, une exception française ?

Check Point : l’université accessible à tous, une exception française ?

Au moment où la colère des étudiants gronde contre la réforme de l’accès à l’université, Check Point enquête sur ce que certains considèrent comme une exception française. Alors, l’université française ouverte à tous : mythe ou réalité ?
Public Sénat

Par Ambroise Carton - RTBF

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"Passe ton bac d'abord". C'est l'ordre donné par un sergent instructeur au Grand Duduche de Cabu à l'aube des années 80, c'est aussi le titre d'un film de Maurice Pialat en 1978. C'est surtout l'injonction lancée depuis des décennies par des parents inquiets pour l'avenir de leurs enfants. Pendant longtemps, le diplôme du baccalauréat a été l'unique sésame pour accéder aux études supérieures. Comme une promesse d'avenir et d'insertion dans le marché de l'emploi.

Pour Coralie Dubost, députée En Marche de l'Hérault (sud de la France) : "L'université française permet l'accès pour tous aux études et c'est une exception en Europe et à l'étranger de façon générale." C'est ce qu'elle a affirmé le 30 octobre 2017 sur BFM TV.

Check Point - L'université française, ouverte à tous : mythe ou réalité ?
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La députée de la majorité a en partie raison : il n'y a en théorie pas de sélection à l'entrée de l'université en France. "Le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat et à ceux qui ont obtenu l'équivalence ou la dispense de ce grade", peut-on lire dans le Code de l'Éducation.

Une sélection à la française

Mais dans la pratique, l'affirmation de Coralie Dubost ne tient pas compte de la situation des études supérieures en France : filières saturées, établissements moins bien cotés que d'autres... Sans compter que, à l'université et en dehors, les lycéens sont confrontés à des concours très sélectifs.

Pour intégrer une grande école telle que Polytechnique ou l'ENA, ce qui demande parfois de passer par des années de "prépa"; 

Pour les études dans le domaine médical, la sélection ne se fait pas à l'entrée de l'université. Elle intervient au terme de la première année commune aux études de santé (PACES). Celle-ci permet ensuite d'accéder, après réussite d'un concours, à des formations telles que médecine, dentisterie ou kinésithérapie. "Au total, seul 1 étudiant sur 3 passe en 2e année d’études de santé après 1 ou 2 années de PACES", détaille le site internet de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP).

"Le scandale APB"

Face au manque de places dans les universités, le gouvernement n'a eu d'autre choix ces dernières années que de mettre en place une sélection qui ne dit pas son nom. Lors de l'année académique 2017-2018,  le tri passait par la plate-forme "Admission post-bac" (APB). Les lycéens devaient y indiquer les facultés de leur choix. Et s'il y avait plus de candidats que de places disponibles ? Alors place au tirage au sort... avec des désillusions à la clef. "J'ai été déshumanisée par un ordinateur", expliquait en septembre 2017 au journal Le Monde une étudiante qui n'avait pas obtenu la faculté de son choix.

Une situation qui a poussé le gouvernement d'Édouard Philippe à mettre en place "Parcoursup", une nouvelle façon d'organiser l'entrée à l'université. "Il y a eu le scandale APB, le tirage au sort, ce qu’il a suscité comme angoisse, ce qu’il a révélé en absurdité et le nombre d’injustices qui en ont découlé", a reconnu le Premier ministre français le 30 octobre 2017.

« L'objectif, ça n'est pas que l'université dise "non" »

Edouard Philippe ne s'en cache pas : "Je n'ai pas et je n'ai jamais eu peur du mot 'sélection'". Le but de Parcours Sup est de mieux orienter les lycéens après le bac pour lutter contre les 60% d'échec à l'université (un chiffre à nuancer, signale cependant Le Monde). "L'objectif, ça n'est pas que l'université dise 'non'. Dans la plupart des cas, elle dira 'oui' et dans certains cas, elle dira 'oui si'. Si quoi ? Si le candidat accepte un parcours adapté qui lui permet justement de réussir dans la filière qu'il a choisie."

Dans les universités, certains professeurs émettent des doutes. Ils sont 425 à dénoncer la réforme dans une tribune publiée en avril 2018 sur le site de France Info. "On nous demande de classer les candidatures de sorte qu'un couperet tombera une fois les capacités d'accueil des filières saturées, écrivent-ils. Parcoursup est en effet conçu de telle façon qu'on ne peut y introduire des ex æquo, sauf à déployer des trésors d'ingéniosité informatique." Pour eux, "un mode de sélection se substitue à un autre".

En mars et avril, les étudiants français ont manifesté eux aussi pour dénoncer, entre autres, le système Parcoursup et la loi Orientation et Réussite des Étudiants (ORE). Des universités ont été bloquées ces dernières semaines et l'organisation des examens est compromise dans plusieurs établissements.

Des moyens supplémentaires ?

Quant à savoir si ce plan permettra de désengorger les formations les plus demandées, la réponse reste floue. Parmi ces filières dites "en tension" : Staps (éducation physique), droit, psychologie et la première année commune des études de santé. Verdict entre le 22 mai au 5 septembre, période pendant laquelle les établissements contacteront les étudiants admissibles. En attendant, Édouard Philippe l'a promis : "Nous allons investir pour construire de nouveaux locaux, pour ouvrir des places supplémentaires dans les filières en tension."

Et ailleurs en Europe, comment ça se passe ?

C'est une promesse lancée par l'Union en 2010 : "L'objectif de la stratégie Europe 2020 est qu'au moins 40% des 30-34 ans dans l'UE obtiennent, d'ici 2020, un diplôme d'enseignement supérieur". En 2016, ce chiffre était de 39%. C'est en Allemagne (pays le plus peuplé de l'Union) qu'on trouve le plus d'étudiants.  En 2015, selon Eurostat, on dénombrait trois millions d'Allemands inscrits dans l'enseignement supérieur.

Dans tous les pays européens, une tendance se dégage : la sélection à l'entrée des études universitaires... voire plus tôt dans le parcours de formation.

Belgique : "Pour être admis aux études supérieures (hautes écoles et universités), un étudiant doit être titulaire du CESS ou certificat d’enseignement secondaire supérieur", peut-on lire sur le portail officiel belgium.be. Et... c'est tout. Un peu comme en France donc. Sauf pour les formations d'ingénieur ou de médecine qui sont accessibles après la réussite d'un examen d'entrée. Autre point commun avec la France : le taux d'échec en première année est très élevé. En 2012-2013, seuls 42% des étudiants inscrits en Fédération Wallonie Bruxelles sont passés directement en deuxième année. Un chiffre similaire à celui de nos voisins français.

Royaume-Uni : chaque université a ses critères. Les établissements se basent sur les résultats au A-Level (un examen passé pendant les deux dernières années d'école secondaire) et sur le dossier des candidats qui s'inscrivent sur la plate-forme UCAS.

Allemagne : l'Allemagne est un cas particulier en Europe. Environ la moitié des jeunes d'une classe d'âge obtiennent l'Abitur, le diplôme de fin d'études secondaires. Les autres ont été dirigés avant vers d'autres types de formations. Pour ceux qui s'orientent vers l'université, "les candidats sont acceptés en fonction de leur note jusqu'à épuisement des places", écrit Le Monde. Comme c'est le cas ailleurs, des procédures plus strictes sont mises en place pour l'accès aux études de médecine qui exigent d'excellentes notes à l'Abitur.

Espagne : l'accès à l'université est conditionné par un mélange de deux notes qui donnent un résultat sur 10. Les établissements prennent en compte le résultat au "bachillerato" passé par les élèves pendant les deux dernières années du secondaire (60%), ainsi qu'une série d'épreuves organisées par les universités. Le tout donne lieu à un calcul complexe dont le résultat est une note sur 10. Il faut un minimum de 5/10 pour être admissible dans les études supérieures.

Suède : les jeunes Suédois ne passent pas de diplôme d'études secondaires. Ils sont soumis à un contrôle continu et ont l'obligation de réussir certaines matières pour entrer à l'université.

Italie : l'esame di maturità, le diplôme de fin de secondaires, ouvre en théorie l'accès à l'université publique. Mais toutes les filières ne sont pas accessibles en un claquement de doigts. On trouve des examens d'entrée pour les formations de médecine, d'ingénieur et d'architecture par exemple. Les universités ont aussi le droit de faire passer leurs propres tests d'orientation. Si un étudiant n'a pas les prérequis nécessaires, il peut alors être obligé de suivre une remise à niveau.

Le coût des études, une autre forme de sélection

Quel que soit le pays, être un bon étudiant ne suffit pas. Une sélection s'opère aussi par l'argent. Là encore, on note des différences d'un pays à l'autre. La Suède, le Danemark et la Finlande par exemple offrent des études gratuites.

En France aussi, le coût d'une inscription à l'université n'est pas très élevé. Mais tout le monde n'a pas droit à une bourse. De nombreux étudiants exercent un emploi en dehors des cours, avec des conséquences sur leurs résultats comme le montre l'infographie ci-dessous.

Dans ce domaine, la palme du cursus le plus cher revient à un État sur le point de quitter l'Union.  "Les frais les plus élevés (10.028 euros) sont demandés aux étudiants du Royaume-Uni (Angleterre)", explique Eurydice, le réseau européen d'information sur les systèmes d'enseignement.

Conclusion : plutôt vrai, mais avec de (sévères) nuances

Coralie Dubost a-t-elle raison de dire que l'accès aux études universitaires en France est "une exception en Europe" ? Oui... mais avec d'importantes nuances, à commencer par le coût des études parfois décourageant.

Le manque de places et de moyens est lui aussi pointé du doigt. C'est d'ailleurs l'un des arguments mis en avant par l'opposition : les gouvernements successifs sont accusés de ne pas avoir anticipé le boom démographique des années 2000.

Comme en France, les universités belges se veulent aussi ouvertes au plus grand nombre. Notre pays accueille d'ailleurs de nombreux étudiants français qui n'ont pas trouvé de place dans l'Hexagone. En Fédération Wallonie Bruxelles, "un étudiant étranger sur deux est Français", d'après des chiffres de l'Académie de recherche et d'enseignement supérieur (ARES).

Barometre Checkpoint plutôt vrai
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