Chlordécone : un rapport sénatorial critique sévèrement l’action de l’Etat aux Antilles

Chlordécone : un rapport sénatorial critique sévèrement l’action de l’Etat aux Antilles

Après un premier rapport, publié en 2009, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a présenté de nouvelles recommandations pour lutter contre l’impact du chlordécone aux en Martinique et en Guadeloupe.
Henri Clavier

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Trente ans après son interdiction, le chlordécone, un pesticide utilisé jusqu’en 1993 dans les bananeraies, continue de poser un problème sanitaire majeur en Guadeloupe et en Martinique. Dans ce nouveau rapport, la sénatrice Les Républicains (LR) Catherine Procaccia s’inquiète de la faiblesse des moyens, notamment scientifiques, mobilisés par l’Etat. En 2014, le chlordécone était détecté chez 90 % de la population adulte antillaise.

« Les durées de contamination des sols ont diminué »

Alors que le rapport de 2009 estimait que la durée de contamination des sols pourrait aller jusqu’à sept siècles, les derniers travaux, plus rassurants, affirment que la concentration du chlordécone dans les sols pourrait passer sous les limites de détections d’ici la fin du siècle. Néanmoins, le rapport indique qu’« en raison des importants temps de recharge des aquifères antillais, il est probable que, même après la disparition du chlordécone contenue dans les sols, la pollution des eaux se poursuive pendant plusieurs dizaines d’années ».

Naturellement, les difficultés sanitaires impliquent des risques alimentaires. La faune aquatique ou terrestre est directement concernée, au même titre que les légumes qui poussent dans le sol et les tubercules. « La question de l’alimentation est absolument centrale », affirme Catherine Procaccia. « Il faut un contrôle du circuit d’alimentation informel », estime la sénatrice LR du Val-de-Marne, selon laquelle, l’importance de ces pratiques empêche de lutter contre les contaminations, notamment pour les produits issus de la mer. Le rapport regrette également l’absence d’approche globale et le « manque de connaissances sur [les effets de le chlordécone] sur la biodiversité ».

« Il n’y a jamais eu de vrai financement de la recherche »

Néanmoins, le rapport fait état d’une évolution importante des connaissances sur le chlordécone et les moyens d’en freiner la propagation. Trois solutions ont été identifiées, une première consiste à dégrader le chlordécone grâce à des bactéries souches. L’utilisation de compost et le recours à des filtres à charbon actif sont également évoqués. Pourtant, le rapport précise qu’il faut encore « faciliter la mise en place d’études en conditions réelles de terrain ». La sénatrice LR déplore le manque d’investissement dans la recherche, véritable angle mort de l’action de l’Etat français contre la contamination au chlordécone. « Il n’y a jamais eu de vrai financement de la recherche. L’Agence nationale de la recherche a financé quelques projets mais on ne sait pas vraiment comment ils ont été choisis », regrette Catherine Procaccia.

« L’erreur a été de se concentrer uniquement sur le cancer de la prostate »

En plus d’un financement insuffisant, la recherche scientifique s’est focalisée sur le cancer de la prostate laissant de côté les autres risques sanitaires existants. « On s’est concentré sur le cancer de la prostate », soupire Catherine Procaccia. Une seule étude a permis d’aborder plus largement les risques sanitaires d’une contamination au chlordécone, notamment pour les femmes. « Nous n’avons pas fait d’études sur les femmes », indique la sénatrice LR. On ne dispose aujourd’hui que d’une seule étude sur les risques pour les femmes et les nouveau-nés. « Pourtant les dangers pour les femmes sont importants », renchérit Catherine Procaccia. En effet, la contamination au chlordécone augmenterait l’apparition de myélomes, de lymphomes et accentuerait les risques de dysfonctionnement de la thyroïde. Lors des grossesses, les risques de naissance prématurée sont accrus.

« Ce qui est arrivé aux Antilles doit servir de modèle pour anticiper les futurs défis sanitaires »

Au fil des recommandations, le rapport pointe la responsabilité de l’Etat français dans sa gestion de la crise. « Ce qui est arrivé aux Antilles doit servir de modèle pour anticiper les futurs défis sanitaires », estime Catherine Procaccia. Insuffisants, les plans d’actions élaborés n’ont pas su apporter une réponse concrète. Néanmoins la sénatrice se félicite d’une augmentation des ressources allouées au plan chlordécone IV, par rapport au premier plan. La sénatrice appelle à « utiliser les ressources des sciences sociales » pour susciter la confiance et remédier à la « défiance de la population à l’égard des recommandations sanitaires et alimentaires ». Le manque de transparence dans l’élaboration et le suivi des actions a empêché une véritable efficacité.

« Ce qui a été fait jusqu’à présent l’a été en administration centrale, sans associer la population », affirme Catherine Procaccia. La sénatrice s’est montrée plus optimiste quant aux potentiels résultats du plan chlordécone IV, « la population a été consultée en amont, la recherche scientifique a progressé donc je suis plus optimiste que par le passé ».

 

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