Chocs dans le rugby : « Il y a un risque de développer des maladies neurodégénératives précoces »

Chocs dans le rugby : « Il y a un risque de développer des maladies neurodégénératives précoces »

Toujours plus de performance, toujours plus d’entraînements, toujours plus de résultats : mais à quel prix ? Depuis quelques années le rugby professionnel s’est transformé en véritable « sport de gladiateur » encourageant la puissance, parfois aux dépens de la santé des joueurs. Ce « sport spectacle » a vu exploser le nombre de commotions cérébrales lors de la dernière saison de Top 14, un phénomène qui inquiète.
Public Sénat

Par Amélia Morghadi

Temps de lecture :

3 min

Publié le

Mis à jour le

Début septembre, la Ligue Nationale du Rugby (LNR) a organisé, en accord avec Provale un syndicat de joueurs, un Grenelle de la santé des joueurs. L'objectif : proposer un plan pour mieux prévenir les blessures des joueurs de Top 14 et de Pro D2. Un premier pas vers un meilleur encadrement des dangers pour la santé des rugbymen, face à l’urgence de la violence des chocs répétés.


La violence extrême dans le rugby, Raphaël Poulain, ancien rugbyman du Stade Français, la connaît bien. Des joueurs surpuissants lancés à toute vitesse sur d’autres joueurs, qui entraînent des chocs aux conséquences terribles pour le corps, mais aussi pour l’esprit. « Il y a une notion de guerre », témoigne cet ex-rugbyman professionnel, allant même jusqu’à comparer, dans une moindre mesure, l’expérience des rugbymans aux chocs post-traumatiques des soldats. Pour Raphaël Poulain, poussé vers une retraite anticipée pour cause de blessures en 2008 : « Aujourd’hui le rugby est un sport de gladiateur ». « On est dans du divertissement, dans du sport spectacle […] On demande aux joueurs un dépassement de soi » révèle-t-il. Mais que représente réellement ce franchissement des limites pour les joueurs ?

Le nombre des commotions cérébrales en hausse

Chocs dans le rugby : " Il y a un risque de développer des maladies neurodégénératives précoces"
01:10

La prise de conscience des risques réels des chocs dans le rugby reste relativement récente.
Le professeur et neurologue Jean Chazal l’annonce : « Il faut tirer la sonnette d'alarme, il faut arrêter le massacre et faire de la prévention ». Dans le viseur : les commotions cérébrales. Ce type de traumatisme crânien, qui résulte d'une chute ou d'un coup sur la tête et pouvant entraîner une perte de connaissance, est monnaie courante dans le rugby.

Pour le Professeur Martine Duclos, la conclusion est la même : « Ces commotions donnent des maladies d’Alzheimer ou des maladies de Parkinson et ça, c’est bien démontré » dénonce-t-elle. « Avec la violence des chocs il y a un risque de développer des maladies neurodégénératives précoces ». La dernière saison du Top 14 aurait été le théâtre de plus d’une centaine de commotions cérébrales soit une augmentation de près de 35% en un an.

« Le médecin donne son avis mais il n’est pas toujours suivi »

Rugby : "Comment est-ce qu'on peut prendre la décision de faire revenir un joueur alors qu'on l'a vu par terre les bras en croix ?"
00:54

Pour tenter de pallier les dangers de ces traumatismes crâniens, un protocole commotion a été mis en place depuis 2012. Ce protocole doit permettre aux médecins de déterminer si un rugbyman est apte à retourner sur la pelouse après un choc violent à la tête. Cet examen, composé de plusieurs tests et questionnaires,  doit désormais durer au minimum dix minutes. En mai 2017, le journal L’Équipe rappelait pourtant que 34% des joueurs ayant subi une commotion lors de la saison 2015-2016 de Top 14 étaient revenus sur le terrain, malgré le protocole.
Un constat que note également l’ex-rugbyman devenu conférencier, Raphaël Poulain : « Lors d’un match Stade Français-RC Toulon, on a vu Romain Taofitenua, un joueur de Toulon, tomber par terre,  les bras en croix, les yeux fermés, et revenir dix minutes plus tard sur le terrain ». Ce retraité du rugby s’interroge : « Comment peut-on prendre cette décision ? ».


En effet, c’est bien le médecin qui est chargé d’établir ce protocole commotion. Mais problème : ses recommandations médicales ne sont pas toujours écoutées. « Le médecin donne son avis mais il n’est pas toujours suivi » témoigne le professeur Martine Duclos. Selon elle, la responsabilité médicale dans ces affaires reste à nuancer. « Il faut augmenter le pouvoir des médecins. […] le médecin fait son boulot, mais ce n’est pas lui qui a le dernier mot ». Pour Martine Duclos, chef du service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand, la responsabilité est également celle de l’entraîneur et du personnel encadrant.


Un avis que partage le rugbyman Raphaël Poulain : « C’est aussi à l’encadrement de se responsabiliser autour du sportif pour régler ces problèmes au fur et à mesure par le changement de la règle et peut-être par une autre approche des commotions cérébrales ». Toutefois, il ne faut pas oublier que le joueur est aussi souvent responsable de ces dépassements de limite : « Le joueur qui est dans le déni, n’a qu’une seule envie c’est de revenir sur le terrain » confie Raphaël Poulain. « Il y a un déni du corps », renchérit-il, les joueurs inconscients du danger sur le moment, mettent en péril leur santé sans se préoccuper leur propre sécurité.            

« Il faut faire attention à ce que le sportif ne soit pas considéré comme une marchandise »

Julian Jappert, directeur du think tank Sport et Citoyenneté, en appelle quant à lui à la ministre des sports : « Laura Flessel doit s’emparer de ces sujets et doit réaliser qu’on va vers plus de violence, et qui dit plus de violence dit plus d’encadrement ». Pour lui l’encadrement actuel est encore en décalage avec l’escalade de violence qui est en œuvre dans le rugby professionnel, et les pouvoirs publics sont aussi à incriminer dans ces dérives.


Pour Sophie Dion, chargée des sports de 2007 à 2012 auprès de Nicolas Sarkozy, « Il faut faire attention à ce que le sportif ne soit pas considéré comme une marchandise ». Dans l’esprit du « sport spectacle », les sportifs sont souvent poussés au-delà de leur limite pour atteindre des objectifs, parfois au détriment de leur santé et de leur bien-être.  Entre sécurité des sportifs et résultats, il semble qu’il faille faire un choix… Selon elle, « les champions sont un peu instrumentalisés par les pouvoirs publics ».

 

Retrouvez notre débat sur les dangers du rugby dans l'émission Un monde en Docs, présentée par Nora Hamadi, le samedi 14 octobre à 23h20 et le dimanche 15 octobre à 9h50 sur Public Sénat.

 

Livres pour aller plus loin :

  • «  Le pouvoir du sport » de Marie-Cécile Naves et Julian Jappert – éditions FYP – 2017
  • «  Quand j’étais superman » de Raphaël Poulain – éditions Robert Laffont – 2013
  • « Peur sur le rugby: Enquête sur les dérives d'un sport extrême » de Philippe Kallenbrunn – éditions Marabout – 2017
  • « Psychologie de l’athlète : radiographie d’une carrière de sportif de haut niveau » de Marc Lévêque - éditions Vuibert - 2008

Dans la même thématique

Illustration: justice tibunal,administration penitenciaire.
6min

Société

Qu’est-ce que le « contrôle coercitif », cette notion au cœur des débats sur la proposition de loi contre les violences sexuelles ?

L’intégration dans le Code pénal de cette notion, développée dans les années 1970 pour décrire certains aspects des violences conjugales, a nourri de vifs débats au Sénat jeudi 3 avril. Les élus ont renoncé à la faire entrer strico-sensu dans la loi, mais ils s’en sont inspirés pour revoir la définition pénale du harcèlement sur conjoint.

Le

European Union defence : ‘rearming Europe’ project
6min

Société

Kit de survie : « Quand une population est préparée, elle n’est pas en mode panique », salue le sénateur Olivier Cadic

Pour que les populations soient préparées en cas de crise, la Commission européenne conseille aux citoyens d’avoir un « sac de résilience » avec tout ce qu’il faut pour tenir, en cas de catastrophe naturelle… ou de guerre. « Le but n’est pas de faire peur aux gens », soutient le sénateur LR Cédric Perrin, mais « d’anticiper les situations ». La France prépare un livret de survie, sur le modèle suédois.

Le

Chocs dans le rugby : « Il y a un risque de développer des maladies neurodégénératives précoces »
4min

Société

« Sur le handicap, le regard de la société a progressé plus vite que celui des institutions » se réjouit Eglantine Eméyé

Mannequin, animatrice de télévision et comédienne. Elle a médiatisé le combat de son second fils Samy, atteint d’autisme sévère, pour alerter sur le manque de prise en charge des enfants handicapés, mais aussi la solitude des mères et des parents. Malgré la disparition de son fils en 2023, elle a décidé de poursuivre le combat. Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Eglantine Eméyé dans « Un monde, un regard » sur Public Sénat.

Le