Coronavirus : à la frontière franco-allemande, le retour des «vieux démons»

Coronavirus : à la frontière franco-allemande, le retour des «vieux démons»

Malgré des assouplissements, le passage de la frontière reste difficile pour nombre de travailleurs français employés en Allemagne. Une situation vécue comme vexatoire par ces transfrontaliers. Des élus appellent à la réouverture des postes-frontières. 
Public Sénat

Par Fabien Recker

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Tous les matins, Angélique Spendel doit s’armer de patience. Seulement dix-sept kilomètres séparent sa maison de Seltz, dans le Bas-Rhin, de son lieu de travail à Rastatt dans le Land allemand du Bade-Wurtemberg. Mais les contrôles à la frontière rallongent son temps de trajet. « Les voitures françaises se font contrôler comme si on était des pestiférés » témoigne la jeune femme, comptable dans une entreprise de nettoyage. « On n’attend pas 15 ou 20 minutes, mais plutôt 1 heure, 1h30 ! Une fois on a contrôlé ma température pour savoir si j’avais de la fièvre. Ce n’est pas agréable. » 

Embouteillages 

Angélique Spendel fait partie des milliers de travailleurs transfrontaliers qui galèrent depuis que l’Allemagne a en grande partie fermé ses frontières. Une fermeture décidée le 15 mars par Angela Merkel, alors que l’épidémie de Coronavirus faisait rage dans la région Grand Est. « Sans-préavis » rappelle le sénateur (LR) du Bas-Rhin André Reichardt. « C'était vexatoire ».

Si des points de passages ont depuis été aménagés, certains « sont obligés de faire plus de 50 km pour aller travailler, alors qu’ils sont juste à côté de leur travail à vol d’oiseau » se désole Jean-Marc Todeschini, le sénateur (PS) de la Moselle. Sur les 35 points de passage entre la Moselle et la Sarre, « il n'y en a que 5 ou 6 qui sont ouverts. Cela crée des queues monstres » explique le sénateur, qui a écrit à l’ambassadeur allemand et alerté Jean-Yves Le Drian sur le sujet. 

L’affaire a pris un tournant diplomatique depuis que les témoignages de Français victimes de comportements hostiles de la part de leurs voisins allemands se sont multipliés. Une fois la frontière passée, « les Allemands nous regardent d’une autre façon » constate Angélique Spendel. « Comme si on était autre chose qu’eux. À mon travail, certains collègues sont restés aimables, mais d’autres n’ont pas réagi d’une manière très agréable. Ils sont devenus méchants : ‘t’es française, tu devrais rentrer, pourquoi t’es encore là’... » 

« Pourquoi tant de haine ? »

« Ils se sont fait jeter des œufs et insulter par des nationalistes allemands qui ne voulaient pas voir les Français » confirme Jean-Marc Todeschini. La presse allemande a elle-même relaté ces incidents. Au point que Heiko Maas, le ministre des affaires étrangères, a présenté ses excuses pour des comportements « inacceptables ». Rappelant que le virus « ne connaît aucune nationalité. »

« Pourquoi tant de haine ? » s’interroge Mylène Heck. Cette conseillère municipale de Seltz vient de corédiger un appel au « dialogue et à la tolérance » des deux côtés de la frontière. « Les vieux démons étaient en train de ressurgir » assure-t-elle. Le manifeste, signé par près de 200 élus français et allemands, demande l’ouverture de davantage de points de passage, et la mise en place de contrôles sur deux voies afin de fluidifier le trafic. « Nous avons été surpris par l’ampleur que ça a pris. C’est remonté jusqu’à Berlin. C’est bien qu’il y avait un problème » se félicite René Richert, maire de la commune de Riedseltz dans le Bas-Rhin, et cosignataire du manifeste.

Des salariés français à la maison

La majorité des travailleurs transfrontaliers restent pourtant chez eux. Quand le 11 mars dernier, l’Institut Robert Koch (équivalent allemand de l'Institut Pasteur) a officiellement déclaré le Grand Est « zone à haut risque », les entreprises allemandes ont d'abord été prises au dépourvu. « Elles ne savaient pas comment réagir » explique Joachim Wollschläger, de la fédération sarroise de la métallurgie et de l’électronique ME Saar. « Certaines ont décidé de demander à leurs employés français de rester chez eux. »

À Sarrebrücke, c’est le cas de l’entreprise ZF. Ce constructeur de pièces automobiles emploie 2000 salariés français dans la Sarre, tous priés de rester à la maison. « Depuis le 13 mars, nos salariés résidant en France, indépendamment de leur nationalité, n'ont plus le droit de se rendre sur notre site de Saarbrücke » confirme une porte-parole de l'entreprise. Une décision « douloureuse » pour toute la région à en croire Oliver Groll, de la chambre de commerce et d’industrie de la Sarre (IHK). « C’était un réel événement, c’est même passé à la radio » se souvient-il. L’entreprise, un temps à l’arrêt, a redémarré en partie ses chaînes de montage. Sans ses salariés français pour l’instant. 

Congés sans solde 

« Nous souhaitons que les frontières rouvrent » assure Joachim Wollschläger, de la ME Saar. « Fermer les frontières n’a pas de sens dans notre région. Nous sommes interconnectés. » L’Eurodistrict Sarre-Moselle abrite en effet près de 19 000 travailleurs transfrontaliers. « À terme, ces fermetures risquent de faire plus de dégâts que nécessaire pour les relations entre la Sarre et l’Alsace » regrette-t-il. « Il ne faudrait pas que chez nous, où l’Europe se vit tous les jours, revienne un sentiment anti-allemand » s’inquiète de son côté le sénateur Jean-Marc Todeschini. 

Car pour les Français, la mise au chômage technique a un coût. « D’une minute à l’autre, des employeurs ont dit à leurs salariés ‘tu prends tes affaires et tu rentres’ » rappelle Cédric Rosen. Le président de l’Association des Frontaliers d’Alsace Lorraine (AFAL) est confronté au désarroi de ses adhérents. « Certains se retrouvent avec 15 jours de congés sans solde sur leur fiche de paye, d’autres sont obligés de prendre leurs congés payés ». Quant au dispositif de chômage partiel mis en place par le gouvernement allemand, il souffre de « problèmes d’harmonisation » avec la France, notamment en matière fiscale. Cédric Rosen signale aussi des « premiers licenciements en raison du Covid-19. »

Ça me fait penser au nuage de Tchernobyl

« Il faut rester zen » tempère Mylène Heck, la conseillère municipale de Seltz. « On a tous de la famille en Allemagne, des familles entières y gagnent leur vie. » Jean-Marc Todeschini tient lui à rappeler « ce que les Allemands ont fait, en accueillant des Mosellans en réanimation dans leurs hôpitaux. Et qu’eux se protègent, je peux le comprendre. » « Il y a un point positif, c’est qu’il y a un potentiel d’harmonisation » en matière de coordination européenne face à la crise, ironise le maire de Riedseltz, dans le Bas-Rhin. 

Une meilleure coordination qu’appelle de ses vœux le sénateur André Reichardt dans la perspective du déconfinement. Depuis 19 avril, les magasins non-alimentaires d'une superficie inférieure à 800 m2 ont rouvert en Allemagne. Pour les écoles, ce sera le 3 mai. « A quoi ca rime d’entrer en ordre dispersé dans ce déconfinement ? » s’interroge André Reichardt. « À certains endroits, la frontière est à 50 mètres des habitations. Eux lèvent le confinement tandis que nous resterions ultra-confinés ? Ça me fait penser au nuage de Tchernobyl qui ne devait pas passer le Rhin. »

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