Coronavirus : l’aide sociale à l’enfance refuse d’être l’angle mort de l’épidémie
En France, plus de 300 000 enfants sont placés par les juges à l’aide sociale à l’enfance sous la responsabilité des départements. Alors que la protection de l’enfance représente trop souvent un angle mort des politiques publiques, les professionnels craignent d’être oubliés dans l’épidémie.

Coronavirus : l’aide sociale à l’enfance refuse d’être l’angle mort de l’épidémie

En France, plus de 300 000 enfants sont placés par les juges à l’aide sociale à l’enfance sous la responsabilité des départements. Alors que la protection de l’enfance représente trop souvent un angle mort des politiques publiques, les professionnels craignent d’être oubliés dans l’épidémie.
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Par Tâm Tran Huy

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« On a fabriqué des masques avec des filtres à cafés et du sopalin de façon artisanale faute de mieux… Les enfants vont bien pour l’instant, on arrive à les occuper » explique cette responsable d’un centre de protection de l’enfance du Grand Est. Alors que le confinement devient la règle pour les Français face à la pandémie de COVID-19, de nombreux enfants doivent rester dans ces centres. Ils y ont été placés car ils ont subi des violences dans leur famille ou parce que leurs parents sont dans une trop grande situation de précarité. Certains enfants ont aussi des handicaps physiques ou psychiques tels que leurs parents ont préféré leur placement. La crise du Coronavirus risque d’accroître leur vulnérabilité.

Des encadrants sans dispositif de garde pour leurs propres enfants

Aujourd’hui, les personnels soignants, en première ligne face au coronavirus, ont droit à un dispositif de garde afin d’assurer leur mission. C’est aussi le cas pour les intervenants en établissement médico-social pour personnes en situation de handicap. Mais ce n’est pas le cas pour les encadrants de l’aide sociale à l’enfance. Accéder au même dispositif de garde pour leurs enfants, afin de s’occuper des enfants placés, c’est la priorité pour le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso), qui réunit plus de 500 établissements et services dans le champ du handicap et de la protection de l’enfance. Une priorité également relayée par le président de la Commission des lois au Sénat, Philippe Bas, qui a écrit au Premier ministre et au ministre de la Santé.

Jean Pierre Stellittano, vice-président du GEPSO, et directeur de structures en Ille-et-Vilaine explique : « Les situations sont très variables mais les taux d’absentéisme sont plus importants. Normalement 3 à 6% des effectifs manquent. Aujourd’hui, on est plus entre 10 et 20%. » Plusieurs raisons : les malades, les personnes inaptes au poste (car elles sont à risque, maladies auto-immunes, diabète…) mais le facteur majoritaire, qui peut être régulé, est celui de la garde d’enfants. » Le problème est identifié depuis plusieurs jours mais l’exécutif s’y est jusqu’ici refusé car il ne pourra ouvrir ce service de garde à d’autres services publics, comme les policiers ou les gendarmes…

Constituer une réserve

Face à cette situation, les établissements de l’aide sociale à l’enfance, très critiqués depuis un documentaire édifiant en janvier 2019, tiennent à souligner le professionnalisme de la plupart des intervenants : « A chaque épisode exceptionnel, il y a une vraie solidarité et engagement des personnels. » explique Marie Laure de Guardia, présidente du GEPSO.  Une responsable de centre insiste : « On tient à ce que l’accueil et le confinement des enfants en internat soit serein, digne, stimulant et garantisse leur sécurité. » « On n’envisage pas aujourd’hui de renvoyer les enfants dans leurs familles. Dans des situations exceptionnelles, quand un enfant devait rentrer dans les semaines à venir, on pourra le faire s’il n’y a aucun danger à domicile. Mais en aucun autre cas. » ajoute Jean-Pierre Stellittano.

Mais pour continuer à s’occuper correctement de ces enfants vulnérables, tous demandent la constitution d’une réserve de personnels pour remplacer les encadrants malades ou bloqués chez eux.  « Il y a des professionnels dans des établissements médico-sociaux qui ont moins de travail : au moins les redéployer est une priorité. » Les propositions fleurissent : constituer une réserve avec les personnels des PMI, les ATSEM, le personnel des crèches, les intervenants en périscolaire pour qu’ils puissent venir en appui à la protection de l’enfance. Les départements aussi disposent d’éducateurs et d’équipes de travailleurs sociaux… « Au moins avoir un listing de volontaires informés qui peuvent être mis à contribution serait un début » conclut une intervenante.

Une meilleure coordination ARS, département et État

Tous soulignent enfin les difficultés de coordination auxquelles ils font face et la disparité des réponses selon les départements (qui ont la responsabilité de la protection de l’enfance), certains très actifs, d’autres aux abonnés absents. « La collaboration étroite et systématique entre ARS et Conseils départementaux est essentielle à la réussite d’une organisation coordonnée entre les établissements, dans l’intérêt des usagers » soulignaient-ils lundi dans un communiqué. Alors que le confinement se fait bien plus drastique aujourd’hui, tous réclament une organisation pour définir un cadre d’intervention pour les éventuels volontaires : « il faut qu’ils sachent à qui s’adresser : à l’ARS ? au département ? ». « Le secrétariat d’État est actif et travaille bien » estime le GEPSO « mais est-il entendu ? ». Tous constatent actuellement un flou dans l’organisation : « les directives sont assez peu claires, l’aspect opérationnel doit être plus piloté. » L’enjeu est bien d’accueillir les enfants en groupes suffisamment petits pour éviter le brassage et la contagion. Le GEPSO insiste « Nous sommes mobilisés pour limiter la propagation du virus et pour aider à l’effort de tous les soignants qui luttent contre la maladie ».

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