Coronavirus : « Les détenus font partie des oubliés de la République »

Coronavirus : « Les détenus font partie des oubliés de la République »

De nombreux chercheurs, magistrats et avocats ont alerté la semaine dernière sur la dangereuse situation carcérale en période d'épidémie de Covid-19. À son tour, Stéphane Jacquot, juriste spécialiste des prisons, dénonce dans une tribune parue ce week-end dans le JDD un milieu carcéral en alerte. Il redoute une diffusion du coronavirus dans des centres pénitentiaires surpeuplés. Entretien.
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Par Sandra Cerqueira

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Sandra Cerqueira : Stéphane Jacquot vous dénoncez dans une tribune publiée ce week-end la situation explosive dans les prisons liée à l'épidémie de Covid-19…

Stéphane Jacquot : En prison, l'angoisse est réelle. Certains détenus refusent de revenir en cellule après leur balade quotidienne. Il y a des incidents graves lors des remontées de promenade, provoquant dans certains établissements l'intervention des Équipes régionales d'intervention et de sécurité (Eris), tandis que des mutineries ont eu lieu à la prison de Perpignan, une mutinerie concernerait déjà une centaine de détenus. Ils s'opposent à la suspension des visites au parloir voulue par la garde des Sceaux. Certains le vivent comme une sanction. Il n'y a plus de masques, ni de gants. Même pas de gels. Même si les commandes sont en cours. Pour rappel, les prisons françaises abritent près de 71000 détenus, dont 1600 dorment sur des matelas au sol, ainsi que 30 000 surveillants. Entre espace clos et promiscuité, la prison est un lieu particulièrement sensible et propice à la propagation du coronavirus où les fameux gestes barrière sont difficiles à respecter.

 

Vous déplorez l'inaction du gouvernement ?

S. J. : Le gouvernement doit prendre ses responsabilités. Il y a une incohérence à suspendre les parloirs et maintenir l'organisation des marchés. Je ne comprends pas que la garde des Sceaux Nicole Belloubet n'ait pas pris la situation à bras-le-corps et n'écoute pas les remontées du terrain. La semaine dernière un détenu est mort à Fresnes, si on ne fait rien la situation sera dramatique. Il n'y a aucun moyen de savoir si les détenus sont contaminés ou pas car il n'y a pas de dépistage. Le gouvernement a dit vouloir protéger tous les Français mais ce n'est pas le cas ! Il y a deux catégories de personnes laissées pour compte aujourd'hui, les SDF et les détenus. Ce sont clairement les oubliés de la République. J'ai contacté directement la garde des Sceaux pour l'alerter afin qu'elle prenne des mesures d'urgence pour éviter une catastrophe. On ne peut pas oublier sciemment 71 000 de nos compatriotes privés de liberté.

 

Quelles mesures réclamez-vous ?

S. J. : La loi d'urgence sanitaire ne comporte que la suspension des parloirs pour limiter les entrants, rien n'est proposé pour lutter contre la surpopulation carcérale et permettre aux détenus de maintenir un lien familial en leur facilitant l'accès aux cabines téléphoniques pour appeler leurs proches gratuitement. J'encourage la garde des Sceaux et le ministre de la Santé à prendre des décisions d'urgence via ordonnances pour désengorger les prisons en instaurant un numerus clausus : une cellule, une place, une personne, comme le prévoit la loi et ramener les établissements à un niveau de population qui n'excède plus leur capacité d'accueil. C'est une des solutions pour que le virus ne se propage pas et permettre d'éviter une crise aussi bien sanitaire que sécuritaire.

 

Vous appelez également à un aménagement des peines pour réduire le nombre de détenus en prison ?

S. J. : Oui, c'est indispensable. Il faut d'urgence alléger les détentions, un décret de grâce semble incontournable pour les courtes peines et les condamnés à quelques semaines de leur fin de peine. Ces détenus pourraient être placés sous surveillance électronique. Ce sont souvent des personnes condamnées à de courtes peines qui occupent les prisons. Leur sécurité n'est plus garantie ; l'administration manquera donc à son obligation de protéger les personnes qu'elle a placées sous sa garde si elle ne prend pas d'urgence les mesures nécessaires.

Nous devons aussi permettre aux détenus condamnés à des courtes peines de réaliser du TIG (travail d'intérêt général). Cela concernerait entre 5000 et 6000 détenus qui pourraient combler les manques de la réserve civique et alléger ainsi les cellules des prisons. Il y a énormément de besoins en ce moment dans les associations et les hôpitaux et le gouvernement vient de lancer un appel à la mobilisation pour permettre à tous ceux qui le peuvent et le souhaitent de s'engager et de donner de leur temps pendant cette crise sanitaire. Les condamnés à de courtes peines ne font pas partie des 17% de détenus dangereux. Favoriser le TIG est un bon moyen de désengorger les prisons. Nous attendons un geste fort de la garde des Sceaux.

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