Couples binationaux séparés par le Covid : «Certains sont complètement désespérés»

Couples binationaux séparés par le Covid : «Certains sont complètement désespérés»

Depuis la mi-septembre, le gouvernement a commencé à délivrer des laissez-passer pour les couples binationaux séparés à cause de la fermeture des frontières. Mais les critères sont difficiles à remplir et beaucoup sont encore en attente d’une solution. La sénatrice des Français de l’étranger, Hélène Conway-Mouret, a été « sollicitée par des centaines de personnes ».
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« We feel abandoned by our governments. We are not tourists. We do not wish to travel and sightsee. We have one destination : the arms of our loved ones ». Ce message du groupe Facebook « Love is not tourism » – l’amour, ce n’est pas du tourisme – qui rassemble près de 35.000 membres, est un véritable cri du cœur. Car c’est d’amour qu’il s’agit. Celui partagé par des centaines de couples binationaux séparés contre leur gré depuis le mois de mars, depuis la pandémie de Covid-19. Leur crime ? N’être ni marié, ni pacsé. Aucun lien juridique ne les unit, ce qui les a empêchés de se trouver en France, ou les empêche encore. Pour se défendre, ces couples s’activent sur les réseaux sociaux, via un site, ou affichent leur amour en photos. Une pétition est aussi en ligne.

« Ce sont des drames »

Ce sujet des relations à distance des couples binationaux, qui ne rêvent que de se retrouver, est bien connu de certains parlementaires représentant les Français établis hors de France. « Ça fait des semaines que nous sommes sollicités par des centaines de personnes qui nous écrivent. On a reçu des centaines d’emails et des messages sur les réseaux sociaux de gens désespérés car ils ne cochent pas les cases qui leur permettent d’obtenir un laissez-passer » raconte la sénatrice PS des Français établis hors de France, Hélène Conway-Mouret.

La sénatrice a écrit au ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ainsi qu’à l’Intérieur, pour les alerter sur ces situations. Hélène Conway-Mouret, ancienne ministre chargée des Français de l’étranger, a été marquée par certains témoignages :

Ce sont des drames. On s’est retrouvé avec des gens au bord du suicide. J’ai reçu des messages absolument affreux. Certains étaient complètement désespérés, ça faisait des mois et certains ont des enfants. Il y a des messages qui brisent le cœur.

« Au début, on pensait que ça durerait quelque mois. Mais là, ça dure et c’est compliqué »

Les cas de ces couples séparés physiquement concernent notamment « l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, ou le Sénégal et le Mali, les pays où la France a des liens particuliers depuis longtemps » souligne la sénatrice. Mais pas seulement.

Patrick est Français et vit à Paris. Sa compagne est Ukrainienne et se trouve à des milliers de kilomètres. « Je suis en couple depuis trois ans. J’ai connu ma compagne Ukrainienne quand elle travaillait dans le sud de la France, comme membre d’équipage sur les yachts, sur la Côte d’Azur. On se voyait régulièrement. Fin 2019, elle part pour un an pour une mission en Arabie Saoudite pour un propriétaire de yacht. Mais depuis le confinement, on ne peut pas se voir. Au début, on pensait que ça durerait quelque mois. Mais là, ça dure et c’est compliqué » raconte le Parisien, qui travaille dans le marketing pour une grande entreprise.

Cet été, certaines frontières ont rouvert, mais pas les bonnes. « Les frontières de l’Arabie Saoudite, comme de l’Ukraine, restent fermées. Du coup, elle ne peut pas venir » constate Patrick. Aujourd’hui, il espère au mieux que sa copine obtienne un visa de tourisme exceptionnel, « ce serait juste pour se voir deux ou trois semaines ». S’il « comprend que le gouvernement soit un peu frileux que ce soit la porte ouverte à l’immigration clandestine, on pourrait cependant ouvrir provisoirement les frontières avec la fourniture de preuves ».

Kafkaïen

Reste que la fourniture des preuves est loin d’être évidente. Elle devient même carrément kafkaïenne. « Les règles actuelles demandant la preuve d'une relation amoureuse, sont irréalistes pour la plupart des couples à distance, y compris le mien. Nous n'avons ni bail de location, ni compte bancaire en commun, ou autre preuve officielle » écrivait fin juillet à la sénatrice socialiste une Américaine en couple avec un Français. Elle ne cachait pas que cette séparation forcée était « extrêmement éprouvante au niveau émotionnel ».

Le gouvernement s’est finalement emparé de la question cet été. Début août, le secrétaire d’Etat chargé des Français de l’étranger, Jean-Baptiste Lemoyne, annonce que « la France met en place un dispositif spécifique pour les partenaires de vie séparés par la fermeture des frontières. Dès cette semaine, une demande de laissez-passer peut être déposée auprès du consulat le plus proche. Ce virus n’aime pas l’amour, nous si ! » lançait-il. « C’était de la com’ » tacle aujourd’hui Hélène Conway-Mouret, « car au-delà de l’annonce, rien n’avait été envoyé à l’administration. Les gens se sont précipités dans les consulats pour retrouver leur amoureux ou amoureuse. Mais ils n’avaient pas reçu d’instructions… »

Jean-Baptiste Lemoyne : « Je veux rassurer tous ces lovers, tous ces amoureux »

Le Quai d’Orsay revoit finalement sa copie et depuis la mi-septembre, les premiers laissez-passer sont accordés. Invité mercredi 7 octobre de la matinale de Public Sénat, Jean-Baptiste Lemoyne, a pu faire un point d’étape. « On a d’ores et déjà agi, on a mis en place une procédure pour rapprocher les couples ni mariés, ni pacsé. Et il n’y a pas beaucoup de pays au monde qui l’ont fait, 10 ou 15. Cette procédure est désormais active, avec 300 laissez-passer délivrés depuis une quinzaine de jours » a-t-il affirmé.

« Je veux rassurer tous ces lovers, tous ces amoureux, en bon Français. Il y a désormais de belles histoires qui me sont rapportées. Et je m’en réjouis. Ce virus n’aime pas l’amour. Nous si » a lancé à nouveau Jean-Baptiste Lemoyne, qui reconnaît que « ça a pris du temps ». Dans le détail, le secrétaire d’Etat explique que le gouvernement a « reçu 800 dossiers : 300 ont reçu un avis positif, entre 50 et 100 un avis négatif. Il doit en rester encore 400 à 500 en cours d'examen ». Regardez :

« La situation, je crois, est en cours de résolution. On voit que ça avance » reconnaît aujourd’hui Hélène  Conway-Mouret, qui a « répertorié à peu près 2000 personnes » concernées. Elle fait « entièrement confiance aux agents consulaires qui sont capables de distinguer les cas honnêtes, d’autres qui le seraient un peu moins ».

Certains dénoncent encore des injustices

Mais à croire les réactions, notamment sur Twitter, après l’intervention du secrétaire d’Etat sur notre antenne, certains dénoncent encore des injustices. « Laissez-passer refusé alors qu'on répond à tous les critères exigés par la procédure. De qui se moque-t-on ? » demande un internaute, publication de la réponse du consulat de France à Moscou à l’appui. Une autre évoque les « 40% de couples binationaux qui ne peuvent prétendre au laissez-passer car leur conjoint n'est jamais venu en France ».

Interrogé jeudi 8 octobre par le site Français à l’étranger, Jean-Baptiste Lemoyne assure que « quand il y a un refus, tout ça est très étayé. C’est vrai que nous ne donnons pas tous les éléments qui étayent, mais pour avoir discuté avec (les services), je peux vous dire qu’ils prennent grand soin à l’examen des dossiers. Nous ne sommes pas là pour faire du mal. Nous essayons à chaque fois de trouver des solutions » assure-t-il. Quant à la possibilité d’avoir une réflexion sur certains critères, comme la rencontre sur le sol français, Jean-Baptiste Lemoyne répond que « pour l’instant, la procédure, elle vit ». Autrement dit, il faut qu’elle s’applique déjà un certain temps pour avoir du recul. Avant d’ajouter : « Si l’évaluation montre qu’il faut ajuster des critères, on regardera ». Pour le moment, certains amoureux attendront encore.

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