Covid-19 : à l’université, la crainte d’« une année perdue »

Covid-19 : à l’université, la crainte d’« une année perdue »

La reprise des cours en présentiel à l’université par groupe de dix pour les étudiants les plus fragiles s’annonce compliquée à mettre en place sans moyens supplémentaires, dénoncent les enseignants. Sans reprise des travaux dirigés, « on aura une année vraiment catastrophique » met en garde Christophe Voilliot, co-secrétaire générale du Snesup-FSU.
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Le début d’année 2021 devrait ressembler à la fin 2020 pour les étudiants. La rentrée universitaire s’annonce difficile sur le plan sanitaire et les étudiants ne sont pas près de retrouver en masse les bancs des amphis.

Le 4 décembre dernier, Emmanuel Macron donnait pourtant une perspective. « On va essayer de reprendre davantage de TD [travaux dirigés] en présentiel, reprendre peut-être, si les chiffres sont bons, début janvier, des cours mais en demi-amphi » avait espéré le chef de l’Etat, lors d’un entretien à Brut. Quelques semaines après, une circulaire du ministère de l’Enseignement supérieur arrive pour préciser le cadre. Elle n’est publiée que le 19 décembre, soit au début des vacances… Elle prévoit qu’à partir du 4 janvier, des petits groupes de dix étudiants, seulement « les plus fragiles », pourront suivre physiquement des enseignements. Le ministère vise les étudiants « nouvellement arrivés dans l’enseignement supérieur, les étudiants en situation de handicap, de précarité numérique, de décrochage, les étudiants internationaux ». Puis, à partir du 20 janvier, les TD pourront reprendre uniquement pour les premières années, par demi-jauge et si les conditions sanitaires le permettent.

« Casse-tête pour sélectionner les étudiants en difficulté »

Une circulaire accueillie froidement par les universités. Soit « avec scepticisme face à des consignes à géométrie variable, soit avec une incapacité matérielle à proposer des réponses pédagogiques dans un laps de temps aussi court. Car l’ensemble des personnels était en vacances » pointe Christophe Voilliot, co-secrétaire général du syndicat enseignant Snesup-FSU. Surtout, « il faudrait des moyens supplémentaires. Les organisations syndicales les demandent depuis le printemps et ne les ont toujours pas obtenues », enrage ce maître de conférences en Science politique à l’université de Nanterre. « Sans moyens supplémentaires, ça ne peut pas marcher. Il faut des contractuels pour assurer la séparation des classes » confirme le sénateur PCF des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias, par ailleurs chargé de recherche au CNRS, en archéologie.

La reprise par groupe de dix étudiants est pour le moins incertaine et le flou domine la rentrée. « Certaines universités vont tenter de le mettre en place. Mais il faut bien mesurer les difficultés pratiques » et le problème de la définition des « critères », met en garde le responsable du Snesup-FSU. « Vous imaginez le casse-tête pour sélectionner les étudiants en difficulté », lance Christophe Voilliot. Au final, « ça peut paraître une bonne idée, mais on a une espèce d’usine à gaz qui va se mettre en place… ou pas » ajoute le responsable du syndicat enseignant.

La ministre Frédérique Vidal vise « un point d’étape fin janvier »

Pour un retour de tous en cours, Emmanuel Macron avait fixé l’échéance de début février. « Aujourd’hui, on ne voit pas trop comment cette date pourrait être respectée » dit Christophe Voilliot. La ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, est sur ce point maintenant très prudente, alors que l’épidémie se maintient à un niveau élevé. Ce lundi matin sur BFM, elle a dit espérer faire « un point d’étape fin janvier ». « Ce qui est sûr, c’est que la prochaine étape serait d’arriver à faire venir l’ensemble des étudiants de première année, avec des jauges de 30 ou 50 %. On sera capable de le faire quand on verra ce que donne ces premiers retours à l’université ».

En attendant, entre la solitude et des petits boulots parfois à l’arrêt, « la dégradation sociale des étudiants est vraiment dramatique » alerte Pierre Ouzoulias. « Il faudrait a minima que les TD, les travaux pratiques, les cours de master puissent avoir lieu au second semestre, sinon on aura une année vraiment catastrophique, dont on ne sait pas trop comment on va sortir » met en garde Christophe Voilliot.

« Inquiétude forte sur la qualité de l’année universitaire »

« Plus le temps passe, plus l’inquiétude est forte sur la qualité de l’année universitaire pour les étudiants, notamment ceux de première année », confirme Laurent Lafon, président UDI de la commission de la culture et de l’éducation du Sénat. Il ajoute :

Pour ceux qui arrivent et qui n’ont pas les codes sur la façon de travailler, le risque est grand que l’année universitaire soit une année perdue pour un certain nombre d’élèves.

Le sénateur UDI du Val-de-Marne s’étonne qu’« on n’ait pas des données plus précises sur le taux d’étudiants décrocheurs. On devrait l’avoir pour savoir quelles actions mener ». « Mes collègues me disent que lors du premier confinement, au bout d’un mois, il ne restait qu’environ un tiers des étudiants vraiment présent avec une qualité d’écoute, avec les cours en vidéo » estime Pierre Ouzoulias.

Le responsable du Snes-up FSU pointe aussi « un décalage entre un constat avec des étudiants en grande précarité, en situation de détresse, et les conclusions du ministère, qui sont « débrouillez-vous pour en accueillir quelques-uns » ». Les universités se retrouvent au final « à bricoler ». Pierre Ouzoulias partage le constat : « Les universités ont été livrées à elle-même sur le plan sanitaire ».

« Il y a un défaut d’anticipation du ministère »

Un autre élément étonne le sénateur communiste. « Il y a quelque chose d’incompréhensible, c’est que les classes prépas ont pu assurer leurs cours de façon normale, alors qu’on empêche les universités d’accueillir les étudiants. Ça m’amène à penser que les décisions de fermeture des universités ne sont pas la conséquence d’une analyse sanitaire mais d’une décision politique », qui revient à fragiliser un peu plus le service public de l’enseignement supérieur.

Alors que janvier est la période des examens pour les licences, Christophe Voilliot demande pour sa part au ministère de penser à la fin d’année, avec des décisions en amont. « Si on a une circulaire sur les examens 15 jours avant, ce n’est pas possible. Les sessions de mai-juin s’organisent maintenant. Si le ministère ne comprend pas ça, on ne va pas s’en sortir. Il y a un défaut d’anticipation ». Reste qu’avec ce virus, le pilotage à vue semble pourtant bien la règle.

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