Covid-19 : une hausse de la pauvreté qui ne fait que commencer
La progression des dépenses départementales pour le RSA ou encore la forte hausse de l’aide alimentaire : partout, les signaux d’alerte s’allument sur la situation des plus précaires. La réponse à la crise préoccupe associations et parlementaires.

Covid-19 : une hausse de la pauvreté qui ne fait que commencer

La progression des dépenses départementales pour le RSA ou encore la forte hausse de l’aide alimentaire : partout, les signaux d’alerte s’allument sur la situation des plus précaires. La réponse à la crise préoccupe associations et parlementaires.
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La crise sociale est bien là en France, comme conséquence de la crise économique qui sévit. Les mois se suivent et apportent leur lot de statistiques effrayantes, même si le ministère du Travail estime que le nombre de demandeurs d’emploi s’est stabilisé en juillet et en août. L’aide alimentaire en est l’un des thermomètres les plus frappants. La semaine dernière, le Secours populaire a annoncé être venu en aide à près de 1,3 million de personnes pendant les deux mois du confinement. Parmi elles, 45 % étaient alors inconnus de l’association. En juillet, les banques alimentaires faisaient état d’une hausse de 20 à 30% de leurs distributions depuis le débat de la crise sanitaire.

Le versement du revenu de solidarité active (RSA) est lui aussi orienté à la hausse. L’Assemblée des départements de France (ADF) l’a relevée sur un échantillon d’une quinzaine de départements : leurs dépenses pour le RSA ont augmenté de 9,2% en août 2020, par rapport à août 2019. « C’est une première tendance, mais c’est une augmentation tout à fait significative et inhabituelle […] C’est du jamais vu », nous explique-t-on à l’ADF. Le niveau de ces dépenses de RSA dans le département de la Seine-Saint-Denis, que nous avons sollicité, s’est envolé de 11,7% en août 2020 par rapport à août 2019, pour atteindre 47,6 millions d’euros.

La progression du nombre d’allocataires du RSA s’accélère en Seine-Saint-Denis

La révision prochaine du nombre d’allocataires, estimé par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) à 1,91 million en mars, devrait sans nul doute confirmer cette tendance à ces aides de dernier recours. En Seine-Saint-Denis, la hausse du nombre de bénéficiaires en juin 2020 se chiffrait à 4,7% par rapport à juin 2019. De 85 000 bénéficiaires en mars, ils étaient 87 000 en juin. Au vu de la tendance, ils pourraient être 90 000 d’ici fin 2020, selon le département.

Les données départementales ne sont toutefois pas des chiffres en temps réel. Il faut trois mois pour apparaître dans ces statistiques. Un décalage se manifeste entre une demande de RSA, l’ouverture du droit par les caisses, puis le financement du département.

Et la dégradation du marché de l’emploi ouvre de sombres perspectives pour l’hiver et l’année 2021, une fois l’expiration des droits au chômage. « On peut prévoir, sans pouvoir le chiffrer, qu’il y aura une forte augmentation du RSA dans un délai d’un an à un an et demi », anticipe l’ADF. Les prévisions en termes d’emploi ne sont guère rassurantes. La Banque de France a estimé que le taux de chômage devrait dépasser les 10 % à la fin 2020 et dépasser les 11,5 % à la mi-2021, soit un niveau « au-dessus des précédents historiques ». En 2022, il pourrait refluer à 9,7 %, loin des 8,1 % observés avant l’épidémie.

« On n’a pas de plan de cohésion dans le plan de relance, c’est une grave erreur »

Au Parlement, l’inquiétude monte. « Sur le plan social, nous n’en sommes qu’au début. On est déjà entré dans le dur. Dans les prochaines semaines ou prochains mois, on risque d’y entrer d’une manière plus importante », redoute le sénateur socialiste Yannick Vaugrenard. Au sein de son groupe, les critiques montent face au budget 2021 et au plan de relance de 100 milliards d’euros, qui fait la part belle aux allègements d’impôt (20 milliards d’euros sur deux ans de baisse des impôts de production qui touchent les entreprises), et fait l’impasse, selon lui, sur les plus précaires, en y accordant 800 millions d’euros. « Il n’est pas suffisant, il ne va pas assez loin », reproche le sénateur de Loire-Atlantique.

Le socialiste suggère ainsi de mettre en place un RSA jeunes, pour venir en aide aux moins de 25 ans confrontés à un marché du travail qui se restreint, et à un renforcement des aides d’État en direction des associations caritatives et des collectivités territoriales.

Au nouveau groupe écologiste du Sénat, la sénatrice (Génération.s) Sophie Taillé-Polian s’indigne également du contenu des mesures sur la table. « Vous ne pouvez pas aider toutes les entreprises sans contrepartie et "en même temps", laisser des millions de gens avoir faim. Entendez les associations », a-t-elle appelé sur Twitter.

À droite, la réponse budgétaire du gouvernement rencontre aussi quelques critiques, comme chez Marc-Philippe Daubresse, ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives en 2010. « Vous ne trouvez dans le plan de relance aucune mesure significative concernant les personnes les plus pauvres […] On n’a pas de plan de cohésion à l’intérieur, c’est une grave erreur », considère le sénateur du Nord, qui voit aussi les signaux se dégrader dans certains territoires de son département. Il plaide pour une mesure « significative » ciblant par exemple la prime d’activité, pour encourager la reprise d’activité, même partielle.

Reçues à Matignon le 2 octobre, les associations caritatives et d’aide aux plus démunis ont affiché leur déception et leur impatience à la sortie. Le collectif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, Alerte (regroupant 35 structures), regrettait, après l’annonce du plan de relance, que le gouvernement fasse « l’impasse sur les plus pauvres ». Vendredi, elles demandaient une hausse des minima sociaux et une ouverture du RSA dès l’âge de 18 ans. Le président du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, le sénateur LREM François Patriat, a rappelé aux associations ce 6 octobre que le gouvernement avait déjà pris plusieurs décisions en faveur des plus démunis (allocation de rentrée scolaire, aide aux étudiants, aide aux associations). « Je peux les comprendre par ailleurs mais ne jetons pas par la fenêtre ce qui a été fait », a-t-il déclaré sur notre antenne.

Au-delà du budget 2021, c’est la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, exposée à la rentrée 2018, qui alimente le désarroi des associations. Si elles reconnaissent les « solutions temporaires » mises en place par l’exécutif pour faire face à la crise, elles regrettent l’absence de mesures de long terme en faveur des 9,3 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, soit presque 15 % des Français.

Le gouvernement fera connaître son plan d’action le 17 octobre. Selon Matignon, la table ronde du 2 octobre servira à « ajuster » ses propositions dans le cadre de cet « acte 2 » de sa stratégie contre la pauvreté.

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