Ce matin, la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » a été adoptée par la commission des affaires économiques du Sénat. Elle prévoit des assouplissements sur les pesticides et le stockage de l’eau, et entend calmer les tensions entre les agriculteurs et l’Office français de la biodiversité.
Cravate or not cravate ? « Au Sénat, nous avons une obligation de respect de l’institution »
Par Jonathan Dupriez
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Cravate or not cravate ? C’est bien simple, dans le règlement du Sénat, rien n’encadre par écrit la tenue vestimentaire des parlementaires qui siègent au Palais du Luxembourg. Pour autant, pas question de laisser croire que le sujet n’en est pas un à la Chambre haute. « De tout temps, il y a eu une tradition de la cravate dans l’hémicycle même s’il n’y a rien dans le règlement » confirme un haut fonctionnaire du palais. Une obligation coutumière avant toute chose, mais formalisée il y a peu par l’institution. Lors de sa réunion du 29 juin 2017, à l'initiative de Didier Guillaume, alors président du groupe PS, la Conférence des Présidents du Sénat a rappelé que le port de la cravate par les sénateurs était obligatoire dans l'hémicycle. Une décision confirmée le 2 novembre 2021 par le Président du Sénat lui-même, également en conférence des Présidents.
Pas le choix donc pour les hommes dans l’hémicycle. Et les entorses à la règle sont rarissimes. De mémoire d’administrateur, jamais président de séance n’a rappelé à l’ordre un sénateur pour non-respect du port de la cravate. Le bon respect de la tradition est en tout cas du ressort du président ou de la présidente de séance. Plus discrètement, en direct avec les parlementaires, les huissiers peuvent, si besoin, se charger de rappeler poliment les parlementaires à leur devoir de cravate.
« On doit du respect à ceux qui nous ont précédés »
Certains sénateurs trouvent même cela normal de porter cet attribut, voire plaisant. « Il est de bon ton d’arriver débraillé, c’est une évolution de la société que je ne juge pas, mais c’est ainsi » regrette le très apprêté Jean-Raymond Hugonet, costume italien en loro-piana bleu marine, érigé en mode de vie. Pour ce sénateur LR de l’Essonne qui admet « aimer être élégant », « cela ne fait pas l’ombre d’un doute » qu’il faut porter la cravate dans l’hémicycle. Le sénateur aux chemises blanches brodées à ses initiales poursuit : « Nous avons une obligation de représentation et de respect de l’institution. Tous les jours, je ne rentre pas au Sénat par habitude, c’est un lieu chargé d’histoire, on pense aux gens qui nous ont précédés, on leur doit du respect » explique-t-il.
Jean-Raymond Hugonet tient à cette coutume. A tel point qu’il en a fait la remarque à l’un de ses collègues du groupe LR lors des dernières Questions d’actualité au gouvernement. « Il avait oublié de la remettre et il m’a dit : « C’est bon, c’est bon… » mais je lui ai répondu que ça n’était pas possible ! » relate-t-il avec malice. « Deux huissiers partis pour lui faire la remarque m’ont même remercié » s’amuse le parlementaire de la commission de la culture. A l’image du député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti qui plaide aujourd’hui pour inscrire le port de la cravate dans le règlement de l’Assemblée nationale, Jean-Raymond Hugonet y serait lui aussi favorable.
« Cravates à bannir »
« Mais attention, on peut avoir des cravates affreuses ou des associations chemises cravates à bannir » préviennent, avec pas mal de second degré, les fondateurs du compte « Elegance Parlement », un fil twitter humoristique qui épingle principalement les tenues vestimentaires des députés. « Pour le débat actuel sur la tenue des hommes, c’est vrai qu’on est plutôt nostalgiques de l’époque de la cravate, sans remonter tout de même au trois pièces » complètent-ils. Le sujet de la cravate donne lieu à d’intenses passes d’armes entre les groupes politiques à l’Assemblée nationale ces jours-ci. « Le style peut devenir politique, mais nous n’allons pas disserter là-dessus, nous voulons rester légers » défend Elegance Parlement, tout en précisant bien sa vigilance de tous les instants au sujet des « tissus patchwork » sur les robes des députées, ainsi que les « fans de doudoune sans manches sous la veste » du côté des hommes.
Le « coup de gueule » de Joël Labbé
Si les coups d’éclat vestimentaires ne sont pas légion au Sénat, la cravate a été dans l’histoire récente du Palais du Luxembourg, l’objet d’un « coup de gueule » politique mémorable. Petit retour en arrière, le 4 février 2015. Ce jour-là, le sénateur écologiste Joël Labbé proteste contre le « verrouillage » des votes sur sa proposition de résolution pour interdire les néonicotinoïdes à l’origine de la mort des abeilles. A la tribune, il s’agace : « La cravate est obligatoire ici, heureusement » grince-t-il devant la présidente de séance Isabelle Debré. « Moi j’ai fait des efforts, je n’étais pas habitué pour la porter, et tranquillement, ça fait partie du jeu. » Il monte en pression : « Je ne suis plus dans l’esprit du Sénat qui règne actuellement, et ma cravate, je vais la tomber. Je ne la porterai plus ici ! » lance-t-il en l’ayant retirée en quatrième vitesse en signe de protestation. Il ne sera pas rappelé à l’ordre sur ce point par la présidente de séance. Un haut fonctionnaire du Sénat se rappelant de la scène, se souvient que Joël Labbé « avait remis quasi immédiatement » sa cravate une fois descendu de la tribune.
« Des sénateurs de droite se foutaient de moi, c’était bien plus indigne que de ne pas respecter le dress code »
Deux ans plus tard, Joël Labbé était revenu sur ce geste comme le rapporte cet article de Simon Barbarit en 2017. « Ce jour-là, j’avais 20 minutes de parole pour convaincre mes collègues du bien-fondé de mon texte et je vois des sénateurs de droite qui se foutent de moi. J’ai trouvé cette attitude bien plus indigne que de ne pas respecter le dress code. C’est pourquoi, j’ai décidé d’enlever la cravate pour marquer le coup »
Une tenue obligatoire pour les femmes ? Là encore, rien n’est écrit dans le règlement du Sénat et aucun usage ne s’applique pour les sénatrices en matière de tenue vestimentaire. Les femmes ont même le droit d’avoir les épaules nues dans l’hémicycle si elles le souhaitent.
« Madame, le jean ça n’est pas possible ! »
Seul hiatus : le port du jean, normalement interdit. En 2012, Corinne Bouchoux, une sénatrice écologiste l’avait appris à ses dépens. L’anecdote avait été relatée à l’époque par Cécile Duflot sur Twitter. Corinne Bouchoux, en jean et veste, quittait alors sa commission pour se diriger vers l’hémicycle du Sénat. Un huissier l’interpelle : « Madame, en jean ça n’est pas possible » relate Cécile Duflot. Piquée, Corinne Bouchoux aurait rétorqué : « aucun souci, je l’enlève, j’ai une culotte et ça tombe bien, je me suis épilée ce matin. » La réaction de l’huissier n’est pas connue à ce jour.